CONNECTEURS ET MARQUES DE PERTINENCE L'EXEMPLE DE D'AILLEURS Jean-Marc Luscher
CONNECTEURS ET MARQUES DE PERTINENCE L'EXEMPLE DE D'AILLEURS Jean-Marc Luscher Université de Genève 1. Introduction Cette présentation s'inscrit dans le cadre d'une recherche FNSRS. Sous le titre de La description des marques de la cohérence et de la pertinence dans différents types de discours en français contemporain. une petite équipe, animée principalement par J. Moeschler, tente de dégager une vue d'ensemble et de définir le rôle des différentes marques linguistiques qui interviennent dans l'interprétation et la production du discours1. Cet article s'inscrit dans la première partie de la recherche et n'a d'autre but que de proposer certains instruments d'analyse. 1 1 a fallu dans un premier temps choisir le cadre théorique dans lequel une telle approche pouvait, à l'heure actuelle, efficacement s'inscrire. Pour ce type de recherche la place accordée à la pragmatique par rapport à la sémantique et à la syntaxe est déterminante quant aux résultats potentiels. En effet, toute interprétation d'énoncé nécessite un apport de données non linguistiques qui compensent les présupposés et les implicites, réduisent les ambiguïtés et permettent d'attribuer des référents. La question qui se pose alors est la suivante: quels sont les liens entre les formes linguistiques présentes dans l'énoncé et ces données extra-linguistiques? On appellera marques linguistiques ces «ponts» qui assurent une liaison entre les deux. Le cadre théorique choisi devra permettre de rendre compte de la procédure d'introduction de ces informations contextuelles dans le processus d'interprétation. Je reprendrai d'abord rapidement cette notion de place relative de la pragmatique, ensuite j'esquisserai les grandes lignes du modèle retenu: la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson (1986). Dans une seconde partie, je proposerai certaines notions et hypothèses que je ' Requête n° 1.495 - 0.86, de MM. Roulet et Moeschler. Je remercie ici Jacques Moeschler pour son aide et ses conseils inlassables et Anne Reboul pour sa patience et sa persévérenec à tenter de me faire saisir l'essentiel et les subtilités de la théorie de la pertinence. 102 mettrai finalement à l'épreuve principalement par la description du connecteur d'ailleurs. Mais auparavant, puisqu'il sera question de connecteurs tout au long de cet article, voyons comment cette notion sera appréhendée. 1.1. Les connecteurs pragmatiques Dès le début des années 1970, sous l'impulsion d'O. Ducrot, de nombreuses études ont relevé le rôle déterminant de ces morphèmes particuliers qui, en articulant les énoncés entre eux. déterminent l'armature ou le squelette du discours: les connecteurs. La classe des connecteurs devrait comprendre les marqueurs de structuration de la conversation (MSC), les marqueurs métadiscursifs. les connecteurs temporels et, bien sûr, les morphèmes habituellement nommés Connecteurs pragmatiques. Mais il me semble que ce dernier qualificatif recouvre des catégories différentes selon les auteurs ou les cadres théoriques en vigueur. Je vais rapidement distinguer trois approches: celle de la théorie de l'argumentation d'Anscornbre et Ducrot, celle de la pragmatique conversationnelle développée autour d'E. Roulet, puis finalement celle qui, basée sur la théorie de la pertinence de Spcrber et Wilson (.cf. §1.3.), émerge actuellement dans des propositions de D. Blakernore (1987). de J. Moeschler (à paraître b) et ici-même. Dans le cadre de la pragmatique intégrée, c'est à partir de la signification de la phrase que l'on dégage le sens de l'énoncé dans une situation discursive donnée. Ducrot et al. (1980) proposent d'établir pour les connecteurs une structure type, ou schéma sémantique (sous la forme P conn Q ) qui impose des instructions argumcntaiives pour l'interprétation de l'énoncé (cf. 51-2. « §2.1 J; mais comme c'est la phrase, entité abstraite, qui est concernée par les instructions, cette approche est non-contextuelle. La bonne interprétation de l'énoncé, ou l'ensemble des bonnes interprétations, doit être compatible avec les instructions. C'est la cohérence qui est recherchée et qui plus est la cohérence argumentative. L'interprétation apparaît ainsi subordonnée a la production des énoncés: seul un énoncé bien formé argumemativement est interprétable1. Selon Roulet et al. (1985), les segments reliés par les connecteurs ne sont pas des énoncés ou des contenus propositionnels. mais des unités discursives: ce sont les actes (A), les interventions (l) ou les échanges (E) qui sont articulés par des connecteurs. Les connecteurs assurent ainsi 1 Pour une analyse détaillée de l'approche argumentative comme une approche discursive, et donc comme relevant de la cohérence, voir Moeschler (1986-87). 103 une fonction de siructuration du discours. On peut résumer la classe des connecteurs pragmatiques dans le tableau suivant: connecteurs pragmatiques: • marqueurs métadiscursifs • marqueurs de structuration de la conversation (MSC) • connecteurs interactifs: • argumentatifs • comre-argumcntatifs (concessifs) • consécutifs • réévaluatifs Ce sont principalement les connecteurs dits ici interactifs qui sont habituellement considérés comme connecteurs pragmatiques. Par ailleurs, l'ensemble des connecteurs interactifs est considéré comme connecteurs argumentatifs par Ducroi (dans tous ses ouvrages) et par Moeschlcr (1985). Cela est tout à fait normal dans le cadre d'une théorie faisant de l'argumentation l'acte fondamental de la communication discursive. Les notions de connecteur pragmatique et de connecteur argumentatif se recoupent donc parfois. Dans un récent article, Moeschler (à paraître) rappelle que les connecteurs sont dits pragmatiques pour les distinguer des connecteurs logiques. Ces derniers relèvent strictement de langages formels et obéissent à des règles fixées par la syntaxe et la sémantique de ces langages. Bien qu'ils reçoivent une traduction en langue naturelle, elle ne peut convenir à la description de ces langues. Ensuite, Moeschler propose de ne plus analyser les connecteurs comme reliant des contenus prépositionnels {P conn Q) ou des unités discursives (/ conn A) mais des éléments contextuels d'une part et des propositions d'autre part ((/*/.-- Pn]conn Q). Les connecteurs conservent leur place centrale dans la compréhension du discours qui sous-tend les approches de Ducrot, où ils sont les organisateurs de l'argumentation, et de Roulet. où le discours s'articule autour d'eux. Mais ils s'intègrent dans un cadre descriptif qui permet de comprendre comment les interlocuteurs s'en servent pour mieux communiquer. Le point de vue est déplacé : nous nous intéressons au rôle des connecteurs pour la compréhension de l'énoncé par l'interlocuteur. Cette différence d'orientation nous amène à considérer tes connecteurs comme guidant l'interprétation, et donc comme facilitant la compréhension des énoncés dans lesquels ils apparaissent. C'est selon cette dernière approche que les connecteurs seront 104 - décrus dans cet article. Toutefois, pour écarter tout malentendu dû à la polysémie du terme, et pour éviter de qualifier de pragmatique les marques mêmes qui ancrent la compréhension dans la langue, je préfère nommer ces connecteurs discursifs, rejoignant en cela, d'ailleurs. Blakemore (1987) (discourse connective). Ce terme définit à peu près la même classe de morphèmes que celle des connecteurs interactifs dans Roulct et al. (1985). Mais je ne les diviserai pas. quant à moi, en classes différentes. Je préfère considérer que des caractéristiques communes permettent de regrouper certains connecteurs en familles et distinguer des emplois argumentants et non argumentatifs du même connecteur ou de connecteurs différents. Ainsi, un connecteur comme d'ailleurs ne va pas être comparé à l'intérieur d'une classe fermée, mais avec des connecteurs, proches au niveau du sens (de plus) ou éloignés (de toute façon), avec lesquels il partage un certain nombre d'instructions (cf. §3.3.). 1.2. La place de la pragmatique La conception traditionnelle des relations entre composants de la linguistique les envisage en relation linéaire ! la syntaxe traite des lêgles de bonne formation, elle fournit à la sémantique des phrases analysables en termes de valeur de vérité, qui pourront recevoir une interprétation au niveau p r a g m a t i q u e . On a donc une suite de morphèmes d'un côté et une interprétation d'un énoncé de l'autre par le jeu d'un traitement à trois niveaux différents (cf. I sur le schéma). An se ombre et Ducroc (1976) ont contesté cette conception de la théorie linguistique. Pour eux, en effet, le sens d'un énoncé reflète toujours une image de son énonciation. En d'autres termes, la description sémantique d'un énoncé doit nécessairement faire mention de l'activité énonciative à l'origine de la production de l'énoncé. Une telle activité met en place non seulement des mécanismes illocutoires (indication d'obligations d'ordre «juridique» sur les interlocuteurs), et polyphoniques (multiplicité des énonciateurs mis en scène par un locuteur), mais également des mécanismes argumentatifs (inscription d'une orientation argumentative à tout énoncé, permettant ta sélection d'une classe de conclusions). Dès lors, les indications pragmatiques faisant l'objet d'indications linguistiques. Anscombre et Ducrot proposent une conception de la pragmatique intégrée à la sémantique. Ils refusent par là-même toute relation entre traitement sémantique et traitement pragmatique et imposent au contraire, au premier niveau de la description sémantique, la prise en compte des indications îllocutoire. polyphonique et argumentative manifestées par - 105 - Tenoncé (cf. II sur le schéma). Dans le cadre de la pragmatique inférentielle de Sperbcr et Wilson, utilisé par Blafcemorc (1987). Moeschler (à paraître b) et dans cet article, ces relations sont inversées. Toute interprétation nécessite un recours à la pragmatique. 1 1 y a bien quelques informations a tirer de marques linguistiques, mais tout énoncé est interprété grâce à l'élaboration d'un contexte, non basé essentiellement sur le cotexte ou d'autres indications linguistiques. L'interprétation est donc sous-déterminée linguistiquement. Si l'on voulait uploads/Philosophie/ d-x27-ailleurs-marqueur-discursif.pdf
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- Publié le Oct 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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