Linx Baudouin de Courtenay et la linguistique générale Darius Adamski Citer ce
Linx Baudouin de Courtenay et la linguistique générale Darius Adamski Citer ce document / Cite this document : Adamski Darius. Baudouin de Courtenay et la linguistique générale. In: Linx, n°23, 1990. Traductions de textes peu ou mal connus. pp. 67-80; doi : https://doi.org/10.3406/linx.1990.1154 https://www.persee.fr/doc/linx_0246-8743_1990_num_23_1_1154 Fichier pdf généré le 04/04/2018 Baudouin de Courtenay et la linguistique générale Dariusz Adamski Cl an Ignacy Niecislaw Baudouin de Courtenay (1845-1929), Polonais d'origine française, occupait les chaires de grammaire comparée, de sanskrit ou de linguistique dans les universités de Kazan, de Dorpat, de Cracovie/ de Saint-Pétersbourg et de Varsovie. Au cours de l'année scolaire 1922-1923, il donna une série de conférences à Prague et à Copenhague. Les années 1875-1883 qu'il passa à Kazan semblent être les plus fructueuses de sa carrière universitaire, du moins selon Jakobson qui consacra nombre d'articles à Baudouin et à son élève Kruszewski (Jakobson, 1973). L'optique selon laquelle Jakobson évalue l'œuvre de Baudouin est celle d'un structuraliste en quête de ses origines. Il est vrai que le travail accompli par Baudouin à Kazan annonce le structuralisme ; il est aussi vrai que, par la suite, Baudouin élabore une conception différente que Jakobson qualifie de "psychologisme dépassé" (ibid., p. 228). Depuis, la pensée de Baudouin est regardée avec les œillères du structuralisme : le choix des textes inclus dans ses anthologies, anglaise ou italienne, en témoigne. En France, faute d'anthologie, on évoque le témoignage de Saussure : "Baudouin de Courtenay et Kruszewski étaient plus près que personne d'une vue théorique de la langue" (Godel, 1957, p. 51). Benveniste, pour sa part, se charge d'élucider le secret de leur rencontre (Benveniste, 1964). On sait que deux linguistes se sont rencontrés, lus et estimés. Baudouin a certainement influencé Saussure, mais son œuvre ne se réduit pas à cette référence, aussi prestigieuse soit-elle. Les écrits de Baudouin, rédigés en polonais, en russe ou en allemand, ne sont pas faciles d'accès : les descriptions détaillées du matériel linguistique abritent ça et là de rares remarques théoriques. Le style de Baudouin n'arrange rien. Le linguiste écrit mal : son polonais n'est pas des 67 Dariusz Adamski plus purs, son russe grouille de polonismes et son discours de néologismes. La concision n'est pas sa qualité : sa figure rhétorique préférée, c'est le pléonasme. Le premier travail de Baudouin appartient à la grammaire comparée, ne serait-ce que par son titre : Quelques exemples de l'action de l'analogie dans la déclinaison polonaise (1868a). Le jeune linguiste le remet à son professeur Schleicher, eminent comparatiste, qui le publie dans son journal après avoir rayé un passage. Dans le passage en question, Baudouin conteste la division des mots en racines et en désinences, telle qu'elle est effectuée d'après leur succession historique. Il les divise selon le sentiment linguistique qu'ont des individus employant une langue donnée : autrefois, dans le vocatif du singulier masculin, tel boz-e (dieu), la désinence -e faisait partie du thème nominal (ibid., p. 228) ; à présent, dans le sentiment linguistique, elle est devenue une désinence de déclinaison. Baudouin avance donc que, dans les langues indo-européennes, les racines se sont abrégées au profit des désinences, ce qui implique l'impossibilité de reconstruire la Ursprache (langue d'origine). Reconstruire la Ursprache, tel fut à l'époque l'objectif de la grammaire comparée. Schleicher croyait y parvenir : il composait même des poèmes en indo-européen. La découverte de Baudouin rend irréalisable l'entreprise de reconstruction : il est donc compréhensible que Schleicher n'ait pas voulu "supporter de pareilles hérésies" dans son journal (B. 1888, p. 116) : comme "tout amant", il était "aveuglé" (fî. 1869, p. 38). Malgré ce rejet de la part d'une sommité comparatiste, Baudouin n'abandonne pas l'idée que les racines se réduisent au profit des désinences. Au contraire, il persiste à étudier les places dans les mots où le thème touche la désinence. Cette étude aboutira au concept d'alternance. Ainsi dans l'article : Echange entre le s (s, s) et le ch dans la langue polonaise (1868b), il montre que la différence entre les consonnes [s, §, s] et le [xl sert à "distinguer les significations". Il illustre sa thèse d'une série d'exemples, parmi lesquels nos [nos] (un nez) et noch [nox] (un grand nez). En effet, le ch [x] peut indiquer la forme augmentative d'un nom. Son intense activité pédagogique empêche Baudouin de produire des articles scientifiques, mais il fait paraître les programmes de ses cours de linguistique générale. La méthode qu'il préconise, c'est "l'analyse du langage", analyse qui, "à partir de la parole concrète (...), débouche d'une part sur les phrases, des phrases sur les mots, des mots sur leurs parties significatives dotées de sens, et d'autre part sur (...) les sons (mots en tant que complexes de sons articulés)". Cette analyse, qui discerne aussi l'élément zéro, privilégie l'étude des sons du langage envisagés de trois points de vue : acoustico-physiologique, psychique (ou morphologique) et historique. La phonétique physiologique 68 Baudouin de Courtenay et morphologique examine les sons de langage "à un moment donné de l'existence de la langue" : c'est la statique. La phonétique historique s'occupe de l'histoire de l'aspect phonique d'une langue : c'est la dynamique. Dans la statique, les sons sont classés d'après leurs oppositions (ou leurs parallélismes) "fondées sur la relation entre la signification et le son" (1877). Tout cela préfigure les postulats du structuralisme : le principe de double articulation du langage, la prédominance de la phonétique, la distinction entre l'aspect synchronique et diachronique d'une langue, enfin l'établissement des oppositions formelles en fonction du sens qu'elles véhiculent. En 1878, Mikolaj Kruszewski devient l'élève, et vite le collaborateur, de Baudouin. A l'inverse de son maître, il possède un esprit théorique. En 1881, il publie son mémoire de maîtrise dont l'introduction : Réflexions générales sur les alternances de sons i, est généralement considérée comme le premier exposé de la théorie des alternances. Baudouin ne partage pas cet avis : il apprécie les capacités peu communes de Kruszewski, mais lui dénie l'originalité. Et pour cause. Le mot d'alternance figure dans les programmes de ses cours. De même pour le mot de guna qui désigne la gradation des voyelles du sanskrit. Baudouin s'y intéresse, car l'analyse du vocalisme des dialectes Slovènes était sa thèse de doctorat : Esquisse de la phonétique des dialectes de Rezia (1875). On sait que le problème du vocalisme préoccupa également Saussure : en 1879, il en fit le sujet de son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indoeuropéennes. Kruszewski se réfère à cet ouvrage, mais Baudouin le lui reproche : il n'est pas bien de "suivre servilement Saussure" et de "plier les mots du slavon aux catégories établies par ce linguiste" (1888, p. 118). Dans la monographie qu'il rédige après la disparition de son élève, mort aphasique en 1887, Baudouin commence la critique de sa théorie des alternances par l'énumération des exemples qui rappellent le problème du racourcissement des racines au profit des désinences. On l'étudiera sur l'alternance du [g] avec [k] dans le mot polonais rôg - la corne (ibid., p. 120). Le mot rôg est un nominatif du singulier masculin : son thème est rôg- [ruk] et son suffixe le zéro ; le génitif sing. masc. de ce mot possède la forme rogu [rogu] où rog- [rogl est le thème et -u [u] le suffixe. A l'intérieur du thème rôg-, le [u] alterne avec le [o] : c'est l'alternance vocalique du polonais. Quant au dernier son du thème rôg-, il est réalisé soit comme [k], soit comme [g], en fonction du son qui suit, et qui est une désinence de déclinaison. Baudouin donne toute une série d'exemples ; ce qui n'est pas difficile, car en polonais, si la consonne finale du nominatif sing. masc. est sourde, elle devient sonore dans d'autres cas. C'est un processus bien connu qui est codifié depuis longtemps dans l'orthographe du polonais selon la règle suivante : dans le mot rôg, on écrit la lettre "g" (bien qu'on entende [k]), parce que dans les autres formes de ce mot, on entend [g]. Ainsi dans le 69 Dariusz Adamski concept d'alternance, Baudouin théorisa la réalité de la langue que l'orthographe avait déjà réglée. Ce qui ne diminue en rien la valeur de son travail, car pour son concept d'alternance, il transposa dans l'étude des formes grammaticales d'un mot les procédés que la grammaire comparée avait élaborés en étudiant un mot au cours de son histoire. Pour les comparatistes à un moment ti, un mot a eu la forme xy ; à un moment t2, il a eu la forme xz ; d'où le passage du y au z au cours du temps ti-t2, si le y a été après le x (on sait que le xy et le xz sont le même mot parce qu'ils ont le même sens). La démarche de Baudouin est la suivante : à un moment t, il existe différentes formes du même mot, p.ex. xy-a et xz-b où le xy et le xz sont le même thème et -a, -b des désinences nominales ; d'où l'alternance du y avec le z uploads/Philosophie/ baudouin-de-courtenay.pdf
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- Publié le Jul 23, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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