~ LA LEGENDE DU GRAND INQUISIIEUR .. DE DOSTOIEVSKI COMMENTÉE PAR KONSTANTIN LÉ

~ LA LEGENDE DU GRAND INQUISIIEUR .. DE DOSTOIEVSKI COMMENTÉE PAR KONSTANTIN LÉONTIEV • VLADIMIR SOLOVIEV VASSILI ROZANOV • SERGE BOULGAKOV NICOLAS BERDIAEV • SÉMION FRANK TRADUIT DU RUSSE PAR LUBA JURGENSON Comme le dit Nicolas Berdiaev, la Légende du Grand Inquisiteur, c'est le sommet de l 'œuvre créatrice de Dostoïevski, le couronnement de la dialectique de ses idées. Dès la parution de la Légende dans les Frères Karamazov, les penseurs russes ont saisi la portée du mythe dévoilé par Dostoïevski, aussi bien pour son œuvre que pour la cons- cience humaine en général. Ce dilemme aigu entre le salut individuel et la masse, entre liberté et contrainte, n'est-il pas le fond même de la condition humaine ? Plus qu'à la forme littéraire, ces textes s'attachent au contenu de l'énigmatique fable de Dostoïevski. Méditations sur l'utopie et l'anti- utopie, sur le problème du mal dans l'histoire, ils s'efforcent d'éluci- der des visions qui deviendront des questions essentielles du xxe siè- cle: la relation entre l'unicité de l'individu, la masse et le pouvoir. Le lecteur voit au travers de cet ensemble de contributions com- bien l'œuvre de Dostoïevski est importante dès son vivant, mais aussi combien la richesse et l'intensité de ses idées orientent la lecture, dans les années qui suivent la parution de l'œuvre, vers des interprétations philosophiques et spirituelles. Ce recueil qui, à la suite du texte original, réunit les textes de six grands philosophes, théologiens et critiques littéraires russes, apporte une contribution capitale à la compréhension métaphysique du grand écrivain. Il permet de suivre de près la manière dont s'est élaborée, au cours des décennies qui ont suivi sa mort, la perception de ses œuvres en Russie. Il montre aussi toute la fertilité et la profondeur de la philosophie russe et de la théologie orthodoxe, largement ignorées en Occident. Des mêmes auteurs, L'Age d'Homme a également publié: NICOLAS BERDIAEV: De l'inégalité, De la Destination de l'homme, Khomiakov! L'Épître aux Serbes, Le nouveau Moyen Âge. 1 - - SERGE BouLGAKov: L'ami de l'Époux, Le Buisson ardent, Du Verbe incarne, L'Échelle de Jacob, L'Épouse de l'Agneau, L'icône et sa vénération, La Lumière sans déclin, L'Orthodoxie, Le Paraclet, La Philosophie de l'économie, La Philosophie du Verbe et du Nom, La Sagesse de Dieu. KONSTANTIN LÉONTIEV: Écrits essentiels suivis du Pigeon Égyptien, !/ Européen moyen, idéal et outil de la destruction universelle. VASSILI RozANOV : L'Apocalypse de notre temps, Esseulement suivi de Mortellement, Feuilles tombées, Les Motifs orientaux. VLADIMIR SoLOVIEV: La Sophia et les autres écrits français. ISBN: 2-8251-1706-4 www.agedhomme.com 911~11~~~lllllJIJIJ~Ull . PG 3328 .Z4 L44 2004 ~ " Q ~ d ~ ~ LA LÉGENDE DU GRAND INQUISITEUR LA LÉGENDE DU GRAND INQUISITEUR F. DOSTOÏEVSKI K.LÉONTIEV V. SOLOVIEV V.ROZANOV S. BOULGAKOV N. BERDIAÏEV S. FRANK Traduction du russe et introduction de Luba ]urgenson L'AGE D'HOMME Collection Au cœur du monde <D 2004 by Editions L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse. Catalogue et injàrmations: écrire à L'Age d'Homme, CP 32, 1000 ùwsanne 9 (Suisse) ou 5'.;ue Férou, 75006 Paris (France) Scanned by The Dostoevsky Circle 2015 thedostoevskycircle@gmail.com UN CHAPITRE DU LIVRE La Nouvelle conscience religieuse et la société Chapitre 1 - Le Grand Inquisiteur I A première vue, dans« La Légende du Grand Inquisiteur» Dos- toïevski a critiqué le catholicisme, qu'il n'aimait pas, dénonçant les aspects antichrétiens de cette branche du christianisme, les menson- ges de l'anthropologie catholique. Or, le thème de la célèbre « Légende » est bien plus vaste, il est universel : on y trouve une véri- table philosophie de l'histoire. Elle recèle des prophéties d'une grande profondeur sur le destin des hommes. « Le Grand Inquisiteur » conduit à une philosophie religieuse de la vie sociale; nous y puisons sans cesse de nouveaux enseignements. De nouvelles vérités religieuses y ont vu le jour, une nouvelle conscience religieuse est sur le point de naître. Il ne s'agit pas d'une querelle entre la vérité de 1' orthodoxie et le mensonge du catholicisme, mais d'une opposi- tion, infiniment plus profonde, entre deux principes de l'histoire mondiale, deux forces métaphysiques. Le Grand Inquisiteur est apparu et apparaîtra encore dans l'histoire sous des apparences diffé- rentes. Son esprit a été bien présent dans le catholicisme et, en géné- ral, dans l'Église ancienne, et dans l'autocratie russe, et dans tout État absolutiste; aujourd'hui, on retrouve cet esprit dans le positivisme, le 325 socialisme qui prétend remplacer la religion et construit la tour de Babel. Partout où l'homme est pris sous tutelle, partout où l'apparent souci de son bonheur et de son bien-être va de pair avec le mépris, le refus d'admettre son origine et sa destination supérieures, l'esprit du Grand Inquisiteur est bien vivant. Partout où l'on préfère le bonheur à la liberté, où le temporel prime sur l'éternel, où l'amour des hommes s'oppose à celui de Dieu, il est vivant. Partout où l'on affirme que pour être heureux l'homme n'a pas besoin de vérité, qu'on peut vivre bien sans connaître le sens de la vie, il est présent. Partout où l'humanité succombe aux trois tentations du diable, la transformation des pierres en pains, le miracle matériel et l'autorité sur les royaumes de ce monde, on rencontre le Grand Inquisiteur. Son esprit se cache sous des apparences diverses, souvent incompatibles. Le Grand Inquisi- teur, manifestation du principe mauvais, du mal métaphysique dans le monde et dans l'histoire, fut présent dans l'Église ancienne, qui niait la liberté de la conscience et brùlait les hérétiques, plaçant l'auto- rité au-dessus de la liberté; il est présent dans le positivisme, cette religion qui idolâtre l'homme et sacrifie la liberté suprême au bien- être; il est présent dans les institutions de l'État qui adore César et son glaive, dans toutes les formes de l'absolutisme où l'État est ido- lâtré, la liberté bannie et l'homme protégé tel un animal méprisable, dans le socialisme qui nie l'éternité et la liberté au nom d'un ordre ter- restre, de la satiété terrestre du troupeau humain. Les premières paroles que le Grand Inquisiteur adresse au Christ en prison, sont : « De quel droit voudrais-Tu, du reste, ajouter quoi que ce soit à ce que Tu as enseigné jadis? Pourquoi donc viens-Tu, aujourd'hui, nous déranger? Car Tu es venu pour nous déranger, c'est certain, et Tu ne l'ignores pas Toi-même. » Toujours, toujours dans l'histoire, lorsque le Christ est apparu dans la vie des hommes pour apporter une parole de liberté venue d'ailleurs, pour rappeler l'éternelle destination de l'homme, chaque fois que Son Esprit est descendu sur les hommes il fut accueilli de la sorte par les puissants de ce monde. Le Grand Inquisiteur, représen- tant du catholicisme, lui dit: «Tout a été remis par Toi au Pape et 326 c'est au Pape qu'il appartient de décider désormais. Tu n'as qu'à ne plus revenir, ne viens pas avant l'heure fixée en tout cas! »L'État con- sidère que tout a été confié à son pouvoir et il repousse méchamment la liberté en la personne du Christ. Les forces historiques, inspirées par l'esprit du Grand Inquisiteur,« ont corrigé» l'œuvre du Christ et accompli leur besogne en son nom. De nos jours, les hommes réa- gissent aussi avec colère et dégoût à tout rappel de leur liberté suprême, de leur destination éternelle. L'esprit du Christ est éga- lement insupportable aux gardiens de l'édifice ancien, l'État et l'Église anciens, et aux constructeurs de l'édifice nouveau, de la tour de Babel socialiste et positiviste. Le Grand Inquisiteur qui se dissi- mule sous cet édifice humain s'élève, ouvertement ou en secret, contre la liberté du Christ, ses valeurs éternelles. Les hommes voudraient une terre sans ciel, une humanité sans Dieu, une vie qui n'aurait point besoin de sens, une temporalité sans éternité; ils n'aiment pas ceux qui viennent leur parler de la destination ultime de l'homme, de la liberté absolue, du sens et de la pérennité. Ces derniers gênent les constructeurs dans leur organisation du bien-être et de la tranquillité terrestres. On n'a pas besoin de paroles libres et vraies, on a besoin de paroles utiles qui permettent d'arranger nos affaires ici-bas. Je vois la scène suivante : on apporte les dernières briques pour achever le royaume de ce monde. Les pierres sont transformées en pains, l'inventivité humaine fait des prouesses, rendant heureux les citoyens de cet État où la société est élevée au rang d'un absolu ter- restre. Soudain, un homme vient. Il prononce une parole, et l'agita- tion cesse : plus personne n'a envie d'achever l'édifice, on s'est rappelé l'autre monde, on aime de nouveau sa liberté plus que son bonheur, on se languit du sens de la vie, on désire l'éternité davantage que le royaume temporel. Mais voilà qu'on tue, on assassine cet homme fou, on le crucifie au nom d'un bien-être purement matériel, au nom de l'utilité, de l'organisation du troupeau humain. Les hommes qui, séduits par le royaume terrestre, se complaisent dans le refus du sens universel, n'ont pas besoin d'une vérité objective, éternelle; ils n'ont besoin que de choses utiles, ils ne veulent connaître que les lois per- 327 mettant de transformer les pierres en pains, uploads/Philosophie/ berdiaev-le-grand-inquisiteur.pdf

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