La psychoboxe passe par l’expérience de combats de boxe anglaise – à frappes at
La psychoboxe passe par l’expérience de combats de boxe anglaise – à frappes atté- nuées – détournés de la compétition sportive afin d’être orientés vers la connais- sance. La constitution d’un cadre est essentielle dans la mesure où elle permet de contenir et de faire émerger dans le champ de la parole les composantes les plus archaï- ques de la violence qu’elle libère. À ce propos, nous retiendrons essentiellement que les psychoboxeurs ne s’affrontent pas seuls, ne se tiennent pas simplement face à face, que la présence d’un tiers observateur est ici indispensable afin de garantir le bon fonctionnement de ce dispositif. De ce point de vue, « nous n’avons pas connaissance d’une autre pratique offrant la possibilité d’explorer et d’exprimer tant de fantasmes et de souvenirs violents avec autant de douceur et de sécurité » (p. 146). Concernant toutes sortes de personnes en prise avec la violence, pratiquée dans une optique thérapeutique ou formatrice, la psychoboxe permet « d’ouvrir un espace de pensée qui offre plus de choix aux décisions que peut prendre un sujet » (p. 70). Cependant, le psychoboxeur doit fixer luci- dement les limites de son intervention sous peine de « tomber dans la pire des manipu- lations » (p. 70). Ainsi la psychoboxe ne prétend-elle nullement se substituer à la cure psychanalytique. Mais, cette limite clinique – à la fois tech- nique et déontologique – n’est-elle pas en quelque sorte transgressée « par le haut », au moyen d’une réflexion anthropologique ? En effet, ne retrouvons nous pas dans la pratique décrite par Richard Hellbrunn une démarche équivalente à celle, décrite par Claude Lévi-Strauss dans le premier tome d’Anthropologie structurale, qui fonde le travail du sorcier soutenant l’effort des malades et de leur entourage afin de rendre la maladie et la souffrance pensables ? Cet ouvrage ne met-il pas à jour, comme une nécessité « anthropogène », un travail d’élaboration symbolique qu’un ouvrage plus « technique » de psychanalyse aurait peut-être voilé ? Christian Guinchard Université de Haute-Alsace CREM, université Paul Verlaine-Metz christian.guinchard@uha.fr Bernard LAHIRE, L’esprit sociologique. Paris, Éd. La Découverte, coll.Textes à l’appui, 2005, 435 p. Par un effort permanent de réforme des illu- sions qui voilent la réalité sociale, le sociologue s’efforce d’éclaircir ce que le sens commun – trop souvent paré des atours de la science – s’acharne à obscurcir. La dimension polémique de l’ouvrage et le vocabulaire de l’auteur évoquent Gaston Bachelard mais,dans le cadre spécifique des sciences humaines, on peut reconnaître que le souci de rigueur qui s’af- firme à chaque page de ce livre assume pleinement les exigences formulées par Jean- Claude Passeron dans Le Raisonnement sociologique (Paris, Albin Michel, 2006). À cet égard, L’esprit sociologique se fonde sur des ruptures spécifiques qu’il importe de montrer à l’œuvre. Critique et souvent polémique, l’au- teur adresse de sévères remontrances à l’encontre des plus illustres auteurs de la disci- pline qui n’assument pas totalement le « contrôle intellectuel de soi » propre au métier de sociologue. De plus, il n’hésite pas à engager une véritable controverse avec les anthropologues naturalistes nourris de sciences cognitives (Dan Sperber et Pascal Boyer). La fin du livre lui donne l’occasion de dénoncer la soutenance de thèse en sociologie d’Elisabeth Tessier comme une scandaleuse imposture dont il importe d’analyser les condi- tions sociales de possibilité. La première partie de l’ouvrage, intitulée « Décrire, interpréter, objectiver », insiste tout particulièrement sur la nécessité de fonder la sociologie sur la constitution de corpus claire- ment indexés ainsi que théoriquement et méthodologiquement construits. Dans cette perspective, la description apparaît comme un « remède puissant contre toute inflation herméneutique » (p.34).On pourrait dire,à la manière de Jean-Claude Passeron, que, dans ces conditions, la description tient lieu de prin- cipe de réalité sociologique. Ensuite, l’auteur rappelle que l’interprétation ne peut être séparée des autres moments de l’enquête. Loin d’apparaître à la fin du processus d’inves- tigation lorsque le chercheur se penche sur le matériel empirique qu’il a réuni, elle est présente dès la construction de l’objet et accompagne le processus de recherche jusque dans les décisions méthodologiques les plus questions de communication, 2006, 10 507 ténues.De plus,l’auteur rappelle qu’en sciences sociales, l’interprétation créant toujours un supplément de sens, s’avance au-delà de ce que produisent d’eux-mêmes les personnes, les documents,et autres sources interrogés par le sociologue. À cet égard, la rigueur scienti- fique ne saurait se satisfaire d’un relativisme dans lequel toutes les interprétations se vaudraient et le sociologue doit accepter l’obli- gation de soumettre toutes ses interprétations à la critique rationnelle de ses pairs. Pour nous permettre de mesurer les risques de surinter- prétation liés à la faiblesse – voire à l’absence – d’un corpus de données rigoureusement construit, l’auteur n’hésite pas à dénoncer l’ab- sence de fondement empirique d’un ouvrage tel que La société de consommation (Jean Baudrillard, Paris, Gallimard, 1970) ou à criti- quer telle envolée herméneutique sur l’écriture et la lecture dans Tristes tropiques (Claude Levi- Strauss, Paris, Plon, 1955). Il ne peut exister d’herméneutique libre en sociologie. Référée à un corpus défini, exposée à la critique ration- nelle « toute interprétation sociologique pertinente est une sur/interprétation contrôlée » (p. 64). Le raisonnement analo- gique ou métaphorique est le principal outil de l’interprétation.Toujours à la limite de l’enfer- mement dans un sens convenu ou de l’envolée intempestive, les métaphores doivent être dérangeantes et créatrices de sens. L’auteur leur reconnaît une fonction heuristique indé- niable. Cependant, il ajoute à ce constat une très intéressante analyse des raisons sociales pour lesquelles une métaphore peut être maintenue hors de ses limites de validité,abusi- vement généralisée, à des fins d’identification d’un chercheur. De ce point de vue, le constructivisme peut être envisagé comme une métaphore morte, un tic de langage et de pensée, nécessaire au décollage de la pensée lorsqu’elle doit s’arracher au naturalisme, mais finissant par devenir un véritable obstacle au raisonnement sociologique lorsqu’il est systé- matisé. Les pages que Bernard Lahire consacre ensuite à Michel Foucault explicitent nettement la nécessité de fonder ses propos sur un corpus de données empiriques clairement constitué comme tel.Assumant cette position,« Foucault a partagé l’esprit d’enquête des chercheurs en sciences sociales » (p. 119), Bernard Lahire souligne au passage la convergence de ses propres travaux sur La culture des individus (Paris, Éd. La Découverte, 2004) avec les analyses foucaldiennes du souci de soi antique. Dans les deux cas, « chaque individu est potentiellement une arène de la lutte des clas- sements symboliques » (p. 136). Dans le dernier chapitre de cette première partie, l’au- teur rappelle que l’objectivation des caractéristiques d’autrui ne doit pas se confondre avec une tentative de disqualifica- tion.Visiblement,il s’agit d’une réflexion portant non seulement sur la posture adoptée par le sociologue à l’égard des personnes enquêtées, mais aussi d’une question concernant les règles de la critique sociologique.La dénonciation des intérêts plus ou moins cachés liés aux travaux d’un adversaire scientifique ne peut pas remplacer la réfutation logique des arguments avancés par cet adversaire. La seconde partie de l’ouvrage s’intitule « Ce qui se fait, ce qui se dit, ce qui s’écrit ». Abordant cette partie,le lecteur se souviendra que, dès les premières pages de l’ouvrage, l’au- teur affirme que « la description esthétique n’a pas lieu d’être en sciences sociales » (p. 35). Cependant, il semble que sa posture soit plus nuancée que certaines de ses affirmations. L’ensemble de cette partie en témoigne.Aussi le chapitre intitulé « Logiques pratiques : le faire et le dire sur le faire » crée-t-il un rapport indirect mais des plus intéressants avec la litté- rature en ouvrant une séries d’interrogations réellement fécondes, autant sur la formulation même des questions des enquêteurs, que sur les catégories mobilisées dans la restitution des résultats d’une enquête. D’après Bernard Lahire, à tous les moments de son travail, l’en- quêteur doit faire preuve d’un grand esprit de finesse afin d’éviter d’enfermer les discours sur l’action dans le cadre des catégories officielles de description des pratiques. Ici, l’auteur s’ap- puie sur ses propres travaux, visant à faire émerger une véritable description des prati- ques de lecture et d’écriture hors des normes imposées par l’école. Ainsi le sociologue travaille-t-il à redresser les effets de filtrage catégoriels imposés par les appareils d’enca- drement (école, syndicats…). Dans le chapitre suivant, il rappelle qu’une biographie accumu- lant des données empiriques disparates n’intéresse pas le sociologue.Il lui faut y mettre de la cohérence en choisissant et organisant ses matériaux pour en faire un réel objet scien- 508 Notes de lecture tifique. Mais comment sélectionner les maté- riaux pertinents et les organiser ? Au principe d’un travail sociologique à partir des biogra- phies repose l’idée que « dans le plus personnel se lit le plus impersonnel,dans le plus individuel le plus collectif » (p.170).Le chapitre suivant consacre de très intéressantes analyses des intuitions sociologiques de Georges Simenon, Albert Memmi et Luigi Pirandello. Toutefois, ces intuitions, pour pertinentes qu’elles soient, ne se substituent pas à l’analyse sociologique. C’est en quelque sorte le socio- logue qui les accomplit et les mène à terme. Si le sociologue doit lutter contre uploads/Philosophie/ bernard-lahire-l-x27-esprit-sociologique.pdf
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- Publié le Jan 21, 2021
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