Document généré le 5 jan. 2019 01:37 Laval théologique et philosophique La dual
Document généré le 5 jan. 2019 01:37 Laval théologique et philosophique La dualité dans l’oeuvre de Jean-François Mattéi Baptiste Rappin Volume 72, numéro 2, juin 2016 URI : id.erudit.org/iderudit/1039298ar https://doi.org/10.7202/1039298ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Rappin, B. (2016). La dualité dans l’oeuvre de Jean-François Mattéi. Laval théologique et philosophique, 72(2), 273–284. https://doi.org/10.7202/1039298ar Résumé de l'article Cet article appréhende la pensée de Jean-François Mattéi en prenant pour fil directeur le thème de la dualité. Pourquoi ce choix ? Parce que le philosophe y voit une fidélité à la tradition grecque caractérisée par l’éternel balancement entre deux pôles. Sont alors passés en revue les couples suivants : philosophie/sophistique, étonnement/indignation, civilisation/barbarie, Europe/autres, qui forment autant de tensions à explorer et à penser. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2016 Laval théologique et philosophique, 72, 2 (juin 2016) : 273-284 273 LA DUALITÉ DANS L’ŒUVRE DE JEAN-FRANÇOIS MATTÉI Baptiste Rappin Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Metz Université de Lorraine RÉSUMÉ : Cet article appréhende la pensée de Jean-François Mattéi en prenant pour fil directeur le thème de la dualité. Pourquoi ce choix ? Parce que le philosophe y voit une fidélité à la tradition grecque caractérisée par l’éternel balancement entre deux pôles. Sont alors passés en revue les couples suivants : philosophie/sophistique, étonnement/indignation, civilisation/bar- barie, Europe/autres, qui forment autant de tensions à explorer et à penser. ABSTRACT : This article attempts to grasp Jean-François Mattéi’s thought by exploring the theme of duality. Why do we make this choice ? Because a philosopher can see here Mattéi’s fidelity to the Greek tradition in its constant move from one pole to the other. As illustrations, we take into consideration the following couples : philosophy/sophistry, wonder/indignation, civiliza- tion/barbarism, Europe and opposites ; they all create tensions requiring a great deal of exploration and thought. ______________________ e philosophe Jean-François Mattéi naquit en 1941 à Oran et nous quitta préma- turément, au mois de mars 2014, à Marseille, à l’âge de 73 ans. Malheureuse- ment peu ou pas assez connu du grand public, il laissa toutefois une trace indélébile pour les amateurs de la pensée : il sut non seulement renouveler les études platoni- ciennes avec sa thèse magistrale, L’étranger et le simulacre, soutenue en 1979 et pa- rue en 1983 aux Presses Universitaires de France, mais également porter un diag- nostic sévère mais lucide sur les temps contemporains, n’épargnant ni la culture, ni l’éducation, ni la politique, de ses analyses profondes, sans concession et toujours justes. Comment rendre compte d’une telle œuvre, qui ne compte pas moins d’une tren- taine d’ouvrages écrits de sa seule plume, la direction de plusieurs volumes, dont les célèbres tomes III et IV de l’Encyclopédie philosophique universelle, et la participa- tion à bien d’autres projets collectifs ? La finalité de notre propos est de rendre intel- ligible la pensée de Jean-François Mattéi en en faisant ressortir un fil directeur qui permette de relier ensemble, sans les brusquer, les différents éléments de son système philosophique. La pensée de la dualité et de la polarité, qui se montre dans l’œuvre de Mattéi, nous paraît ainsi à même de faire ressortir les traits saillants de son effort philosophique. L BAPTISTE RAPPIN 274 Mais comment doit-on entendre l’expression « pensée de la dualité » ? La pensée de Mattéi procéderait-elle du dualisme ? Si par ce terme il faut entendre, avec le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, « un rapport de termes qui se correspondent chacun à chacun », ou encore « une doctrine qui, dans un domaine déterminé, dans une question donnée, quelle qu’elle soit, admet deux principes essen- tiellement irréductibles1 », alors oui, il faut bien considérer Mattéi comme un tenant du dualisme, à l’époque où ce dernier a bien mauvaise presse, notamment sous les coups de butoir du monisme naturaliste et informationnel issu de la révolution cyber- nétique. Comment caractériser plus précisément ce dualisme ou, formulé en d’autres termes, cette pensée de la dualité ? Il s’agit, fondamentalement, d’une fidélité à la tradition grecque, que Mattéi ex- prime ainsi : La cohérence de la représentation grecque du monde manifestée par l’épopée homérique, la théogonie hésiodique et la tragédie athénienne incite à penser qu’elle se retrouvera dans les domaines plus tardifs de la connaissance. Elle s’ordonne toujours selon le même jeu d’oppositions polaires — les puissances archaïques et les divinités olympiennes, les forces de la Nuit et les formes du Jour, l’éruption dionysiaque et le rêve apollinien — qui pré- sentent autant de variations sur la lutte farouche, et perpétuelle, d’hubris et de dikè2. La pensée de la dualité dans l’œuvre de Mattéi s’exprime ainsi moins en termes de séparations, de coupures et de cloisonnements, que de polarités et de tensions anti- nomiques, dont l’un des termes emporte le primat sur l’autre. Ce que les Grecs, et plus particulièrement Héraclite, nommaient le Polemos, ce combat roi de toutes choses, maintient l’unité des pôles dans leur affrontement ou leur opposition, chacun se posant en s’opposant, unité dynamique, interne à la dualité, sans dépassement vers une forme de synthèse ou de délivrance caractérisant un schème « judéo-chrétien » jusques et y compris dans ses formes sécularisées. Tout comme Camus, à qui il con- sacra plusieurs écrits, Mattéi est convaincu que le monde nous enseigne que la lumière est balancée par l’ombre, la vie par la mort, l’envers par l’endroit, de sorte que les oppositions tranchées s’équilibrent les unes les autres et laissent l’homme dans l’expectative3. Il arrive que les couples d’opposés tendent à se regrouper et à s’agencer dans une croix, grecque bien sûre, ou un carrefour, redoublant la dualité pour former un qua- tuor symphonique dont Mattéi retrouve la trace dans l’histoire de la philosophie, de Platon à Aristote jusqu’à Heidegger en passant par Kant et Hölderlin. La Croisée des Quatre forme en effet une croix, « le plus totalisant des symboles4 », qui sert de base à tous les systèmes d’orientation par sa projection dans les quatre directions du haut et du bas, de la gauche et de la droite. Mais elle marque en outre la primordialité du 1. André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF (coll. « Quadrige Dico Poches »), 2010, p. 253. 2. Jean-François MATTÉI, Le sens de la démesure. Hubris et Dikè, Arles, Sulliver (coll. « Archéologie de la modernité »), 2009, p. 79. 3. ID., Camus, Paris, Max Milo (coll. « Comprendre/Essai graphique »), illustrations d’Aseyn, 2013, p. 18. 4. Jean CHEVALIER, Alain GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles. Mythes, rêves, coutumes, gestes, for- mes, figures, couleurs, nombres, Paris, Robert Laffont (coll. « Bouquins »), 2000, p. 318. LA DUALITÉ DANS L’ŒUVRE DE JEAN-FRANÇOIS MATTÉI 275 centre, point en lequel convergent la Terre et le Ciel, les Dieux et les Mortels, lieu nodal par lequel les Quatre communiquent : il est puissance de communauté, comme l’Être qui, dans Le sophiste, assure le tenir-ensemble de la quadrature du Même et de l’Autre, du Repos et du Mouvement. C’est par lui que les pôles communiquent, se croisent et s’entrecroisent pour former la figure du retour ; il est implicitement pré- sent dans le chiasme qui, dans l’inversion des termes qu’il accomplit, réalise dans l’écriture la symétrie visuelle qu’offre le miroir : voici la raison pour laquelle Mattéi accorde tant d’importance à cette figure de style. Le philosophe marseillais formule cette tétrastructure du monde, que Socrate énonce à Calliclès dans le Gorgias, et qui réapparaît au terme près dans le Geviert de Heidegger, de façon majestueuse : Lorsque Socrate, celui que la prêtresse de Delphes avait appelé le plus sage des hommes, évoquait l’égalité géométrique qui unit le ciel et la terre, les hommes et les dieux dans la juste mesure de l’existence, il ne succombait pas à une image de poète. On peut interpréter cette communauté comme l’union des énergies primordiales, Gaïa et Ouranos, qui ont fait naître le monde, et des dieux olympiens qui créeront ensuite les hommes, ou comme l’in- dissolubilité des puissances de la Nuit et des divinités du Jour. On peut y voir, de façon plus modeste, l’articulation que l’homme tente d’assurer, pour donner un sens à sa vie, entre le Monde, Cosmos, dans la hauteur du ciel et de la terre, et le Langage, Logos, dans l’horizon des hommes et des dieux5. Avoir choisi cette porte d’entrée de la dualité, du Deux, pour présenter l’œuvre de Mattéi nous place ainsi d’emblée face au vertige d’une pensée uploads/Philosophie/ jean-francois-mattei.pdf
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- Publié le Mai 13, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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