Introduction au système de nomination des serpents en grec ancien : l’ophionyme

Introduction au système de nomination des serpents en grec ancien : l’ophionyme dipsas et ses synonymes Liliane BODSON Membre de l’Académie royale de Belgique Liliane.Bodson@ulg.ac.be ANTHROPOZOOLOGICA • 2012 • 47.1. © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. Bodson L. 2012. Introduction au système de nomination des serpents en grec ancien : l’ophionyme dipsas et ses synonymes. Anthropozoologica 47.1 : 73-155. À peu d’exceptions près, si tant est qu’il y en ait, les noms de serpents indigènes ou exo- tiques attestés en grec ancien ne sont pas d’origine indo-européenne et n’ont pas été em- pruntés à des langues étrangères. Ils furent créés par les Grecs d’après des critères de trois catégories. La première, qui est prédominante, est fondée sur des données zoologiques (de la morphologie au comportement, à la bio-écologie ou à la zoogéographie), la deuxième sur des symptômes d’envenimation, la troisième sur des éléments anthropologiques. Dans les pages qui suivent, elles sont toutes trois définies, les deux premières sont approfondies à partir de l’ophionyme dipsas et ses synonymes. Leurs contenus linguistique, herpétologique et iologique font de ces vocables un exemple représentatif pour introduire au système de la nomination des serpents en grec ancien. Abstract Introduction to the ancient Greek system of snake naming: the ophionym dipsas and its synonyms Most — if not all — names of both indigenous and exotic snakes as evidenced in ancient Greek were neither of Indo-european origin nor borrowed from foreign languages. They were coined by the Greeks on the basis of criteria of three types. The first and predominant type referred to zoological data (from morphology to behaviour, bio-ecology or zoogeogra- phy), the second one to venomous symptoms, the third one to anthropological features. In this insight, all three are defined, the first two are surveyed with the case study of the ophionym dipsas and its synonyms. For its linguistic, herpetological and iological contents, this case provides a representative example for introducing to the ancient Greek system of snake naming. MOTS CLÉS nomination des serpents en grec ancien, dipsas, ammoatis, ammobatēs, ammodutēs, kausōn, kausos, kentrinēs, kentris, melanouros, prēstēr, prēstēs, Vipera ammodytes meridionalis, Cerastes cerastes, Cerastes gasperettii, Cerastes vipera, Eristicophis macmahonii, Pseudocerastes fieldi, herpétologie grecque ancienne, histoire de l’herpétologie Key words snake naming in ancient Greek, dipsas, ammoatis, ammobatēs, ammodutēs, kausōn, kausos, kentrinēs, kentris, melanouros, prēstēr, prēstēs, Vipera ammodytes meridionalis, Cerastes cerastes, Cerastes gasperettii, Cerastes vipera, Eristicophis macmahonii, Pseudocerastes fieldi, ancient Greek herpetology, history of herpetology. 74 ANTHROPOZOOLOGICA • 2012 • 47. 1. Bodson L. CONTENU 1. Introduction* 1.1. Entrée en matière 1.2. Observations préliminaires 1.2.1. Sources 1.2.1.1. Sources archéozoologiques 1.2.1.2. Sources iconographiques 1.2.1.3. Sources textuelles 1.2.2. Echidna, echis 1.2.2.1. Champ sémantique et règle du genre 1.2.2.2. Appréciation antique de la venimosité des vipères mâles et femelles 1.2.3. Caractères fondamentaux du syndrome vipérin 2. Dipsas (diyavı)1 2.1. Les données 2.1.1. Étymologie et sens premier 2.1.2. Dipsas épithète de echidna 2.1.3. Dipsas ophionyme 2.1.3.1. Nicandre, Ther, 125, 334 2.1.3.2. Caractéristiques zoologiques et toxicolo- giques de dipsas afro-égyptienne 2.1.3.2.1. Caractéristiques zoologiques 2.1.3.2.2. Caractéristiques toxicologiques 2.2. Interprétations et traductions modernes 2.2.1. Avant Linné 2.2.2. Après Linné 2.3. Évaluation herpétologique et toxi- cologique 2.3.1. Dipsas echidna « l’assoiffante vipère » 2.3.2. Dipsas « l’assoiffante » 2.3.2.1. Dipsas « l’assoiffante » en Grèce 2.3.2.2. Dipsas « l’assoiffante » en Libua et en Égypte 2.3.2.2.1. Critères zoologiques 2.3.2.2.2. Critères toxicologiques 2.3.3. L’étymologie légendaire de l’ophionyme dipsas * Sauf lorsque le contexte les clarifie, les datations relatives à l’ère commune sont accompagnées de l’abréviation « EC ». La résolution des abréviations des titres des ouvrages cités précède la bibliographie. 1. Source des noms français des serpents mentionnés : Stumpel- Rienks 1992 (européens) ; David & Ineich 1999 (autres continents). 3. Synonymes zoologiques 3.1. Ammoatis (ajmmoavtiı) 3.1.1. Les données 3.1.2. Interprétations et traductions modernes 3.1.2.1. Avant Linné 3.1.2.2. Après Linné 3.1.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 3.2. Ammobatēs (ajmmobavthı) 3.2.1. Les données 3.2.2. Interprétations et traductions modernes 3.2.2.1. Avant Linné 3.2.2.2. Après Linné 3.2.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 3.3. Ammodutēs (ajmmoduvthı) 3.3.1. Les données 3.3.1.1. Étymologie et sens premier 3.3.1.2. Ammodutēs ophionyme 3.3.2. Interprétations et traductions modernes 3.3.2.1. Avant Linné 3.3.2.2. Après Linné 3.3.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 3.3.3.1. Critères zoologiques 3.3.3.1.1. Strabon, XVII, 1, 21 (C. 803) 3.3.3.1.2. [Callisthène], Historia Alexandri Magni, III, 17, 19 : Lettre d’Alexandre à Aristote 3.3.3.1.3. Philouménos, De venenatis animalibus, 22 3.3.3.2. Critères toxicologiques 3.4. Kentrinēs (kentrivnhı) 3.4.1. Les données 3.4.2. Interprétations et traductions modernes 3.4.2.1. Avant Linné 3.4.2.2. Après Linné 3.4.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 3.5. Kentris (kentrivı) 3.5.1. Les données 3.5.2. Interprétations et traductions modernes 3.5.2.1. Avant Linné 3.5.2.2. Après Linné 3.5.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 3.6. Melanouros (melavnouroı) 3.6.1. Les données 3.6.1.1. Étymologie et sens premier 3.6.1.2. Melanouros ophionyme 3.6.2. Interprétations et traductions modernes 3.6.2.1. Avant Linné 3.6.2.2. Après Linné 3.6.3. Évaluation herpétologique et toxicologique ANTHROPOZOOLOGICA • 2012 • 47. 1. 75 Introduction au système de nomination des serpents en grec ancien 4. Synonymes toxicologiques 4.1. Kausōn (kauvswn) 4.1.1. Les données 4.1.1.1. Étymologie et sens premier 4.1.1.2. Kausōn ophionyme 4.1.2. Interprétations et traductions modernes 4.1.2.1. Avant Linné 4.1.2.2. Après Linné 4.1.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 4.2. Kausos (kau`soı) 4.2.1. Les données 4.2.1.1. Étymologie et sens premier 4.2.1.2. Kausos ophionyme 4.2.2. Interprétations et traductions modernes 4.2.2.1. Avant Linné 4.2.2.2. Après Linné 4.2.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 4.3. Prēstēr (prhsthvr) 4.3.1. Les données 4.3.1.1. Étymologie et sens premier 4.3.1.2. Prēstēr ophionyme 4.3.2. Interprétations et traductions modernes 4.3.2.1. Avant Linné 4.3.2.2. Après Linné 4.3.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 4.3.3.1. Obstacles zoogéographiques à diverses inter- prétations antérieures 4.3.3.2. Prēstēr « l’enfleur-enflammeur » 4.3.3.2.1. Prēstēr synonyme explicite de dipsas 4.3.3.2.2. Prēstēr indépendant de dipsas 4.3.3.2.3. [Aristote], Mirabiles auscultationes, 130 4.3.3.2.4. Dioscoride, De materia medica, II, 31, 1 4.3.3.2.5. Élien, Le propre des animaux, XVII, 4 4.4. Prēstēs (prhvsthı) 4.4.1. Les données 4.4.2. Interprétations et traductions modernes 4.4.2.1. Avant Linné 4.4.2.2. Après Linné 4.4.3. Évaluation herpétologique et toxicologique 5. Conclusion 5.1. Dipsas « l’assoiffante » 5.1.1. Vue d’ensemble 5.1.2. Dipsas « l’assoiffante » : synonyme toxicolo- gique de echidna, echis vipère grecque commune 5.1.3. Dipsas « l’assoiffante » : ophionyme pre- mier 5.1.3.1. Dipsas « l’assoiffante » : ophionyme premier de vipères afro-égyptiennes 5.1.3.2. Dipsas « l’assoiffante » : *ophionyme d’une vipère irano-afghane 5.1.4. Synthèse 5.2. La nomination des serpents en grec ancien 5.2.1. Critères naturalistes, 5.2.2. Critères toxicologiques 5.2.3. Critères anthropologiques - Remerciements - Abréviations - Références - Listes des noms scientifiques latins des ani- maux cités - Liste des noms français scientifiques ou verna- culaires des animaux cités « La dipsas, elle aussi, a quantité de noms. » (Sextus) Julius Africanus, Cestes, III, 30 (Vieillefond 1970 : 247, l. 1)2. 1. Introduction 1.1. Entrée en matière Dans le lexique animalier grec, le nombre des noms de serpents s’élève à près de 80, eu égard aux doublets (TLG, relevé arrêté au 30 mars 2010). Ils consistent en subs- tantifs (exemple : akontias ; voir ci-dessous, 3.3.1.2 : Nicandre, Ther., 491), parfois d’ori- gine adjective (exemple : dipsas ; voir ci-des- sous, 2.1.1), et en locutions (exemple : ophis thalattios « serpent marin »3). Quand ils appa- raissent à la connaissance des Modernes, les uns sont devenus des hapax, ainsi kentrinēs dans une scholie anonyme (voir ci-dessous, 3.4.1) ou sauritai « lézardeurs » dans un article 2. Voir ci-dessous, 2.1.3.2.1 [p. 86], tableau 1 et 2.1.3.2.2, tabl. 2 (dip- sas) ; 3.3.1.2 et [p. 109] tableau 5 (ammodutēs) ; 3.6.1.2 (melanouros) ; 4.1.1.2 (kausōn) ; 4.4.1 (prēstēs). 3. Aristote, HA, II, 14, 505b8-12. 76 ANTHROPOZOOLOGICA • 2012 • 47. 1. Bodson L. de lexique byzantin du ve siècle4, d’autres, tel drakōn, sont attestés par des centaines d’occur- rences, dont les plus anciennes remontent aux épopées homériques5, voire au-delà6. À l’égal de la majorité des zoonymes (Bodson 2010 : 60-61), ces appellations ont été inventées par les Grecs. Créées empiriquement dans des cir- constances aujourd’hui indéterminables, elles répondent aux mêmes motifs fondamentale- ment pratiques que celles du reste du règne ani- mal. Mais, s’agissant de serpents, et donc aussi des lézards apodes qui leur étaient assimilés7, elles ont, en outre, été inspirées par la nécessité non moins vitale de distinguer les venimeux afin d’en protéger les populations humaines et le bétail et, au fil du temps, d’extraire de cer- taines sortes (moderne : espèces8) d’ophidiens des substances antidotes9. Les ophionymes grecs (avec leurs translittéra- tions latines) concernent les herpétofaunes de l’Europe méditerranéenne surtout orientale et centrale, de la Libua (c’est-à-dire au départ, grosso modo, l’actuelle Libye, puis l’Afrique du Nord), de l’Égypte et du monde oriental (fina- lement jusqu’à l’Indus). Du point de vue lin- guistique, quelques-uns sont des mots-racines10. Plus abondants sont les dérivés formés à l’aide des divers suffixes grecs généraux11 ou spéciali- 4. Hésychios, S 276 (Hansen, III, 2005 : 271). 5. Homère, Il., II, 308 ; III, 33 ; XII, 202, 220 ; XXII, 93 ; cf. VI, 181 ; XI, 26, 39 ; Odyssée, IV, 457. 6. Cf. Aura Jorro, I, 1985 : 157, s. v. « da-ra-ko ». 7. Exemple : chez Aristote, HA, VI, 13, 567b25 ; VII (VIII), 24, 604b25, le tuphlinēs, uploads/Philosophie/ bodson-dipsas.pdf

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