Olivier Boulnois Conférence de M. Olivier Boulnois In: École pratique des haute
Olivier Boulnois Conférence de M. Olivier Boulnois In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 104, 1995-1996. 1995. pp. 417-421. Citer ce document / Cite this document : Boulnois Olivier. Conférence de M. Olivier Boulnois. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 104, 1995-1996. 1995. pp. 417-421. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_1995_num_108_104_15195 Religions et philosophies dans le christianisme au Moyen- Age Conférence de M. Olivier Boulnois Maître de conférences I. De la représentation selon Duns Scot (II) Ce séminaire sera prochainement publié sous le même titre. II. Théologie et métaphysique au xivèm* siècle Ce séminaire a été consacré aux relations entre la connaissance méta physique de Dieu et le développement de la science théologique, de Bonaventure à Duns Scot (donc entre la seconde moitié du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle). Avec la distinction de plus en plus nette entre connaissance abstractive et connaissance intuitive, croît l'exigence d'une délimitation précise de la science et de son statut. Qu'est-ce qui relève d'une connaissance directe (intuitive) de Dieu ? Qu'est-ce qui se laisse atteindre par la construction d'un concept ? Mais avant de répondre à cette question, il fallait s'interroger sur le type de science qui permet de démontrer l'existence de Dieu. Celle-ci est- elle atteinte par la physique, ou par la philosophie première ? Avicenne soutenait la seconde position, la démonstration métaphysique : « Nous avons une voie pour établir le premier principe, non point par voie d'induction (testimonium) à partir du sensible, mais par la voie des propositions universelles, intelligibles, connues par soi, voie qui rend nécessaire que l'étant ait un principe : le nécessairement-être » (Philosophia prima I, 3, Van Riet, 23, 1.29-44). Averroès, au contraire, s'y était vigoureusement opposé, au nom d'une preuve physique : « II faut noter que l'existence de ce genre d'étants, celui des étants séparés de la matière, n'est établie que dans cette science naturelle, et que celui qui affirme que la philosophie première peut établir l'existence d'étants séparés, pèche [contre la raison]. En effet ces étants sont les sujets de la philosophie première, et il a été établi dans les Seconds Analytiques qu'il Annuaire EPHE, Section sciences religieuses. 1. 104 (1995-1996) 41 8 Religions et philosophies dans le christianisme au Moyen-Age est impossible qu'une science établisse l'existence de son sujet, mais qu'elle admet cette existence » {In Aristolelis Physicorum I comm. 83, Venise 1562, f.47rv F). Comment les théologiens latins abordent-ils la controverse ? D'abord, ils la formalisent : alors que Thomas d'Aquin juxtapose sans états d'âme la réponse d'Averroès et celle d'Avicenne, Henri de Gand et Duns Scot signalent les deux interprétations et y voient une contradiction qu'il est nécessaire de trancher. On peut voir à cela un motif interne : le choix entre une science du mouvement et une science de l'être en général reposerait sur le choix d'une ontologie de l'être sensible et mû, ou de l'étant dans son abstraction. La voie physique suppose aussi une théorie de la cause et du mouvement qui rend problématique la liberté humaine : Scot refuse l'adage « tout ce qui est mû est mû par un autre », parce qu'il interdit de penser l'autodétermination spontanée d'un être libre. Mais ces motifs internes sont le résultat d'une décision plus fondamentale encore, qui touche à l'harmonie entre philosophie et théologie. Lorsque Henri de Gand défend la position d'Avicenne, c'est parce qu'elle lui semble plus propre à conduire au véritable Dieu, celui que connaît le théologien. En effet, la physique d'Aristote, commentée par Averroès, ne mène qu'à un premier moteur, tandis que la métaphysique d'Avicenne conduit à l'être nécessaire. Seconde difficulté : l'existence de Dieu est-elle connue par soi ? On aurait alors une connaissance non-démonstrative, évidente ou innée, équi valente à celle que suppose la théologie, et qui ferait précisément l'éc onomie d'une construction philosophique. En des figures diverses (et qu'il fallait prendre en compte) Thomas d'Aquin, Gilles de Rome, Henri de Gand et Duns Scot distinguent entre l'évidence de l'existence de Dieu en elle-même, dans son éblouissement inaccessible, telle que Dieu la connaît, et une connaissance imparfaite de Dieu, mais accessible à l'homme. En elle-même, la proposition « Dieu est », puisqu'elle signifie « l'être lui- même est » est une proposition dont le prédicat est inclus dans le sujet, une proposition analytique et toujours vraie. Mais le concept qui nous permettrait de voir cette vérité, il ne nous appartient pas de le former ici- bas, dans l'état actuel de notre intellect uni au corps et voué à l'abstrac tion. Nous devrons donc user d'un détour : la démonstration de l'existence de Dieu à partir, non de lui-même, mais d'un autre, des propriétés de la créature. Cette manifestation appartient à l'ordre de la philosophie. La théologie ne se construit pas dans l'évidence immédiate de l'absolu, mais part du fini pour remonter à Dieu par les voies de la philosophie. Elle a besoin de la philosophie. La théologie révélée se trouve alors conduite à juger de la pertinence de la physico-théologie naturelle d'Aristote. La pluralité des démonstrat ions de l'existence de Dieu peut-elle conduire au Dieu unique ? Comme le dit Henri de Gand, dans une critique implicite des « cinq voies » de Thomas d'Aquin (Somme théologique I, q.2, a.3), chacune des voies ari stotéliciennes conduit d'un terme postérieur à un terme premier. Mais qu'est-ce qui prouve que le résultat de la première voie est identique à celui de la seconde ? Et en admettant qu'une telle identité soit démontrée, Olivier Boulnois 419 qu'est-ce qui prouve ensuite que le terme premier ainsi atteint est bien Dieu (Summa 22, 5 ; Paris, 1520, 1, 135 E) ? Henri de Gand en déduit la nécessité d'articuler deux démarches : la démarche aristotélicienne, a posteriori , n'a de valeur que prise dans un concept a priori de Dieu, qui implique en lui-même à la fois l'unité de ces diverses voies et l'unicité du Dieu signifié par ce concept. Pour Henri de Gand, cette clé de voûte est donnée par le concept (avicennien) de necesse- esse (nécessairement- être), qui implique nécessairement en lui-même son existence, son unicité, et l'unité de tous les concepts relatifs de Dieu auxquels il correspond. J'ai donc pu analyser la structure de la distinction 2 du Commentaire des Sentences de Scot comme une réalisation et un déplacement du projet d'Henri de Gand (Ordinatio I, 2, 4 ; cf. Lectura I, 2, 39). Le concept fon damental de Dieu est maintenant celui d'étant infini (ens infinitum). La preuve de l'existence de Dieu comprendra ainsi trois articles : 1°) établir par trois voies métaphysiques (l'efficience, la finalité et l'éminence) qu'il y a quelque chose de premier dans chacun de ces ordres (un premier effi cient, une fin dernière, et une forme suprême) ; 2°) montrer l'identité de ces trois termes premiers (le premier efficient est aussi la fin dernière, qui, à son tour, est aussi la forme suprême) ; 3°) prouver que cette triple pr imauté atteint un étant singulier par essence (l'étant premier est unique, parce qu'il est infini). Il reste en troisième lieu à s'interroger sur l'adéquation entre le concept de Dieu et Dieu. C'est là que nous retrouvons la correspondance entre philosophie et théologie. La philosophie prend maintenant le visage précis d'une métaphysique, qui construit un concept de Dieu à partir du fini. La théologie, en elle-même, part de Dieu tel qu'il se donne à connaître, donc tel qu'il se manifeste en lui-même, intuitionnable et sans concept. Il n'y a donc pas, entre elles, de correspondance possible. Néanmoins, Scot rappelle que la théologie en soi ne nous est pas access ible, pas plus que n'est compréhensible par nous le Dieu infini sur lequel elle s'appuie. Il y a donc une autre théologie, celle des bienheureux, qui procède par intuition de l'essence divine et qui en déduit rationnellement certaines propriétés nécessaires, ou qui en reçoit par révélation certaines vérités contingentes. Et au troisième degré, le plus bas, vient notre théologie, qui s'appuie sur un substitut de cette essence divine, le concept abstrait, représentatif, de Dieu, comme étant infini. Ce concept coïncide manifestement avec celui que construit la métaphysique. La théologie a donc besoin de la métaphysique pour nous être accessible. Et la métaphys ique s'achève par la théologie. Le cercle est donc parfait. Théologie et métaphysique s'appellent l'une l'autre. Mais ceci se traduit en une évolution historique : le déploiement de la métaphysique en théologie naturelle, qui s'achève avec la preuve de l'existence de Dieu, de son unité et de sa nature. La naissance d'une théodicée. 420 Religions et philosophies dans le christianisme au Moyen-Age III. Exposés Un séminaire s'est tenu sous le titre : La généalogie du sujet. Sont intervenus : Bemd Goebel (Bonn), « La liberté et le moi selon Anselme », Olivier Boulnois, « Duns Scot et la généalogie du sujet », Anne-Hélène Nicolas (EPHE), « La constitution de soi chez Eckhart », F.-X. Putallaz (Fonds National de la Recherche Suisse, invité par l'Institut Universitaire de France), « Controverses autour de la liberté humaine uploads/Philosophie/ boulnois-olivier-conference-ii-theologie-et-metaphysique-au-xivem-siecle-1995.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2021
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