387 ARTIGOS ano IX, n. 3, set/ 2 0 06 Jacques Cabassut Mohammed Ham Rev. Latino

387 ARTIGOS ano IX, n. 3, set/ 2 0 06 Jacques Cabassut Mohammed Ham Rev. Latinoam. Psicopat. Fund., IX, 3, 387-409 Le trauma à l'épreuve de l'espace transféro-transitionnel Freud, Lacan, Winnicott et quelques autres... L’ approche freudo-lacanienne, parallèlement à la mauvaise rencontre du réel, définit le traumatisme en tant qu’effet de langage potentiellement structurant pour le sujet. La pensée winnicottienne, paradoxale par excellence, offre quant à elle au jeu ou au lien précoce de l’infans à la “bonne mère”, une place centrale au détriment de la pulsion, de la sexualité infantile, de l’aspect langagier, ou du rôle du père concernant le trauma. En formulant un espace transféro-transitionnel de rencontre, les auteurs proposent de combiner différents aspects de l’heuristique et de la praxis psychanalytique, rehaussée par ces deux courants. Empruntant à l’un et à l’autre de ces apports, ils montreront leur pertinence d’articulation concernant la clinique du traumatisme. Un fragment de prise en charge de Mr A., névrosé traumatique, étayera leur propos. Mots clés: Jeu, objet a /objet transitionnel, transfert, traumatisme, witz 388 R E V I S T A L A T I N O A M E R I C A N A DE PSICOPATOLOGIA F U N D A M E N T A L ano IX, n. 3, set/20 06 D’une mauvaise à une bonne rencontre Quant à la névrose traumatique commune, elle offre deux traits susceptibles de nous servir de guides, à savoir que la surprise, la frayeur semble jouer un rôle de premier ordre dans le déterminisme de cette névrose et que celle-ci paraît incompatible avec l’existence simultanée d’une lésion ou d’une blessure. (Freud, 1919, p. 14) Cette proposition de Freud à propos de la souffrance du névrosé traumatique, nous oriente d’emblée sur la question topologique, pour ainsi dire spatiale du trauma: hors lieu, hors temps, le trauma freudien se résoudrait plus facilement s’il pouvait se nicher à même le corps, la blessure touchant son bios, l’organique attirant à elle un flux d’investissements censé contrebalancer la déperdition narcissique. Cette double caractéristique u-topique et atemporelle du traumatisme, est aisément repérable lors de l’instant d’effraction traumatogène et dans son après coup, via les efforts répétés du sujet qui tente de symboliser l’impensable de sa propre perte.1 Elle est aussi, cette fois dans son aspect sublimatoire et créatif, la caractéristique d’un espace/temps particulier, celui de l’aire transitionnelle chère à D.W. Winnicott (1971). A la “mauvaise rencontre”, éternellement manquée, de la tuché (Lacan, 1963-64, p. 61-75), qui n’est autre que celle du traumatisme elle-même, se repère la “bonne rencontre” clinique propre au dégagement de cet espace original de l’entre deux. Il donne alors sens à une autre définition possible de la tuché (traduit classiquement par fortune, hasard), du côté de la bonne fortune, d’un évènement qui, tout en échappant au mécanisme de répétition propre à l’automaton, donnera alors sa place au désir inconscient du sujet.2 1. Nous faisons là référence au syndrome de répétition avec réminiscence diurne et nocturne de la situation de danger. 2. Tuché et Automaton définissent deux modalités du hasard qui résistent à se réduire aux quatre causes (matérielle, formelle, finale, efficiente) proposées par Aristote. La tuché est une cause par accident qui survient dans les choses susceptibles de choix délibéré mais qui justement ne l’a pas été. “Par exemple, le fait pour un homme de venir sur la place par fortune et d’y rencontrer celui qu’il voulait mais sans qu’il y eut pensé, a pour cause le fait d’avoir voulu se rendre sur la place pour affaires”. Ainsi la tuché donne t-elle sa place au désir inconscient : quelque chose de voulu se réalise sans que le sujet y ait pensé. 389 ARTIGOS ano IX, n. 3, set/ 2 0 06 La rencontre amoureuse par exemple, traduit, sur un mode souvent passionnel, traumatogène, parfois négatif et brutal,3 cette mauvaise rencontre qui s’avérera in fine convertible en bonne: sans que le sujet n’y ait pensé, il fera sa vie et des enfants avec cet homme ou cette femme… Non anticipable du réel de la tuché “amoureuse”. Or, l’amour, dans le champ psychanalytique, est toujours un amour de transfert, moteur thérapeutique de la cure en tant que le traumatisme positif a justement pour particularité, de transformer les expériences ou impressions traumatiques en produisant ... des efforts pour mettre en œuvre le traumatisme, donc pour remémorer l’expérience oubliée, mieux encore pour la rendre réelle, même si ce ne fut qu’une relation affective antérieure, pour la faire revivre dans une relation analogue à une autre personne.4 On réunit ces efforts sous le nom de fixation au traumatisme et contrainte de répétition. (Freud, 1939, p. 163) Réactualisation du transfert au tenant-lieu de l’Autre donc, le clinicien. Substituer au lieu du réel (soit un non lieu: impossible de le substantifier de donner une forme, une représentation au trauma; seuls les mots peuvent tenter de traduire son “informe chaotique”) le déploiement d’un espace porteur, tel pourrait être l’objectif de la rencontre clinique avec le traumatisé. Cette analogie, entre ces deux espaces, qui n’est surtout pas un amalgame, nous pousse à nous intéresser à la passerelle transféro-transitionnelle entre non-lieu du traumatisme et aire de l’entre-deux. Comment réintroduire du jeu dans la rencontre clinique, à même de mettre de l’huile dans les rouages d’un sujet que le traumatisme a grippé? Tel est l’enjeu de ce présent travail. Rappel théorique et réminiscences cliniques “Est traumatique quelque chose qui lie le sujet à une impossibilité de répondre logiquement5 à un événement auquel il est confronté et qui est généralement de l’ordre de la cruauté du monde” (Winter, 1994). La déflagration traumatique doit ici s’entendre dans son lien à la parole, au logos: sous l’excès de jouissance (excès 3. Combien de couples ont-ils débutés leur union par une “mauvaise rencontre” au sein de laquelle l’autre est mal perçu(e), décrié(e) tant pour ce qui concerne son physique (ingrat) que son caractère (imbuvable)? 4. Souligné par nous. 5. Souligné par nous. 390 R E V I S T A L A T I N O A M E R I C A N A DE PSICOPATOLOGIA F U N D A M E N T A L ano IX, n. 3, set/20 06 de plaisir et /ou de déplaisir) la parole est mise hors jeu; l’effroi, ça nous la coupe. A sa place, surgira chez le traumatisé une image, un arrêt sur image, réminiscence post-accidentelle de la cruauté du réel, trahissant cette défense de l’imaginaire qui tente stérilement de symboliser l’innommable de la Chose: et se répètent alors les cauchemars de l’impensable évènementiel, qui signent psychopathologiquement parlant, cette sémiologie propre à la névrose traumatique. Le sujet cherche un lieu au trauma, afin de déposer et donc d’oublier, de refouler pour pouvoir dépasser, sa fixation au trauma. Il est étonnant de relever que, dans sa matérialité, l’objet transitionnel obéit également à ces caractéristiques traumatogènes: hors langage et hors lieu (première possession non-moi qui n’appartient ni à la mère ni à l’enfant), il s’avère non refoulable et non localisable (entre subjectif et objectif, entre réalité interne et externe), si ce n’est bien sûr dans l’espace entre (Winnicott, 1971, p. 13). Ex-timité et entre-deux Il se dégage alors la question du lieu, de la place du traumatisme (l’événement qui frappe le sujet) révélée par notre phrase introductive qui, en provenance de l’extérieur envahit de tous ses effets l’intérieur de l’être, pour se concrétiser en trauma (l’effet d’un tel événement chez le sujet). Il en va de même pour l’objet transitionnel, à la fois trouvé (c’est-à-dire réellement présent, voire présenté ou plutôt présentifié à l’infans (object presenting mais aussi handling et holding – Winnicott, 1971, p. 154) et créé (au fondement de sa réalité psychique interne). Le paradoxe, nous dit Winnicott, ne doit pas être résolu. Lacan a également pensé le trauma, comme le réel (et son corollaire de jouissance) de manière paradoxale, ce que révèle le néologisme d’“ex-timité” (de la Chose) (Lacan, 1968- 69, séances du 12 et 26 mars 1969). Ex-time renvoie simultanément à l’idée que la jouissance (traumatogène car désubjectivante) est à la fois ce qu’il y a de plus étranger à l’humain (ex), et donc ce dont il doit se protéger par toutes les voies (symptomatiques) possibles, mais aussi de plus familier, de plus intime à chacun. En matière d’expérience (procès structurants) ou d’épreuve psychique (traumas déstructurants), il nous semble plutôt limité d’opposer, au sein de la fiction qu’est toute théorie,6 une réalité interne à une réalité externe – ce que la théorisation des “enveloppes psychiques”, du 6. Nous faisons ici référence à l’ouvrage de M. Mannoni, la théorie comme fiction. 391 ARTIGOS ano IX, n. 3, set/ 2 0 06 “Moi-peau” propre à l’école d’Anzieu nous paraît valider. Il s’agira alors de condenser l’espace psychique en un lieu paradoxal, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur mais “entre”, (Winnicott) ou de le confondre en un lieu double, et à l’extérieur, et à l’intérieur (Lacan). Espace potentiel et espace transférentiel Cette localisation paradoxale ou impossible nous intéresse au plus haut point, non pas tant de par l’analogie qui trouve là, uploads/Philosophie/ cabassut-le-trauma-a-lepreuve-de-lespace-transfero-transitionnel.pdf

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