87 John H. Gillespie University of Ulster Synopsis: This article seeks to analy

87 John H. Gillespie University of Ulster Synopsis: This article seeks to analyse the mythological structure of Le Mythe de Sisyphe and outlines how the myths and metaphors used by Camus are the most important elements of this essay. The presentation of the concept of absurdity by means of this mythological structure compensates for the deficiencies in the arguments that he puts forward. The description of the heroes of the absurd, including Sisyphus, and their dramatic confrontation with the eternal and the ‘walls of the absurd’ helps the reader understand the state of mind and heart that its illustrates. In consequence, the mythological structure of Le Mythe de Sisyphe serves, in fact, as its metaphysical position, a metaphysics of the liberty of the individual in revolt against a transcendence that does not exist. Keywords: absurd; nostalgia; sensibility; heart; absolute; suicide; lucidity; awareness; limits; confrontation; divorce; exile; quantity; leap; escape; struggle; revolt; myth; metaphor; metaphysics Ainsi cette science qui devait tout m’apprendre finit dans l’hypothèse, cette lucidité sombre dans la métaphore, cette incertitude se résout en oeuvre d’art 1(233). Penser, c’est avant tout vouloir créer un monde (ou limiter le sien, ce qui revient au même) (287). Le Mythe de Sisyphe, le premier texte philosophique d’Albert Camus, nous explique son concept de l’absurdité de la vie et nous aide à comprendre ses autres ‘absurdes’ de Synergies Inde n° 5 - 2010 pp. 87-103 Mythes, métaphores et métaphysique : le drame du Mythe de Sisyphe Résumé : Cet article fait une analyse de la structure mythologique du Mythe de Sisyphe et démontre comment les métaphores et les mythes employés par Camus sont l’aspect le plus important de cet essai. La présentation du concept de l’absurdité par l’entremise de cette structure mythologique sert à compenser la faiblesse des arguments philosophiques du texte. La narration de cette confrontation dramatique des héros absurdes, y compris Sisyphe, avec l’éternel et les murs de l’absurde aide le lecteur à comprendre l’état d’âme qu’elle illustre. La structure mythologique du Mythe de Sisyphe est donc sa métaphysique, une métaphysique de la liberté de l’individu qui se révolte contre une transcendance qui n’existe pas. Mots-clés : absurde ; nostalgie ; sensibilité ; coeur ; absolu ; suicide ; lucidité ; conscience ; limites ; confrontation ; divorce ; exil ; quantité ; saut ; évasion ; lutte ; révolte ; mythe ; métaphore ; métaphysique 88 cette époque, L’Etranger et Caligula. Camus met l’accent sur l’aspect philosophique de ce texte, mais l’argument du Mythe de Sisyphe ne se limite pas uniquement aux idées présentées à la surface du texte. Il est important, donc, de comprendre ses aspects littéraires. Si l’on étudie non seulement la logique des arguments du Mythe mais aussi les mythes et les métaphores qu’on y trouve, ces idées deviennent beaucoup plus claires2. En parlant du mythe de Sisyphe, Camus dit que « Les mythes sont faits pour que l’imagination les anime » (302). Il a utilisé son imagination pour réanimer l’ancien mythe grec, comme on va voir. Mais il l’a aussi utilisé pour créer sa propre mythologie de l’homme absurde. Par mythe dans cet essai on entend un récit comme objet de croyance, qui raconte une situation cosmologique, théologique, philosophique ou religieuse sous une forme narrative3. Cette définition va être notre instrument de travail. Notre étude va considérer la structure mythologique du Mythe comme l’aspect le plus important de son argument. Ce qu’on va suggérer , c’est que Camus pense par ses métaphores, ses mythes et cette structure mythologique, et que c’est ainsi qu’est révélée l’architecture métaphysique de sa pensée4. Cette métaphysique est présente, d’une manière plus révélatrice, dans le monde mythique qu’il dépeint. Camus est un artiste tout d’abord, qui voit le monde en des termes dramatiques et narratifs. Et ce monde absurde qu’il décrit, c’est un monde qu’il a choisi, l’objet d’un acte de foi de sa part. En effet le Mythe est la description5 d’un paysage d’âme, d’ « une sensibilité absurde » (219), la construction d’un monde et une description du caractère et du comportement des héros de ce monde. C’est un monde à la fois mythique et dramatique. Il est une description de des sentiments profonds : « Les grands sentiments promènent avec eux leur univers, splendide ou misérable. Ils éclairent de leur passion un monde exclusif où ils retrouvent leur climat … Un univers, c›est-à-dire une métaphysique et une attitude d›esprit. » (226). Ces émotions sont révélatrices de la vérité du monde absurde. Le Monde de la nostalgie Le premier monde que Camus dépeint, c’est le monde de la nostalgie6, le monde que Camus veut voir , mais qui n’existe pas. Cela s’exprime comme son besoin de l’absolu : « Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain » (231). C’est une situation dramatique : Etre homme, c’est vouloir l’unité. Nous sommes caractérisés par « Notre appétit de comprendre, notre nostalgie d’absolu » (243). En effet, cette nostalgie dépend d’une imagination créatrice qui peut concevoir un monde parfait. C’est une vision totalisatrice du monde et de l’univers. Sans cette capacité imaginative de voir et de désirer un monde rationnel, unifié et heureux, le monde absurde n’existerait pas. Mais l’emploi du terme ‘nostalgie’ est intéressant, car il implique un monde parfait qui n’existe plus, un âge d’or , plutôt qu’un monde désiré qui n’a jamais existé. Pour Camus, le monde actuel n’offre rien à cet esprit nostalgique. Ce monde de la nostalgie révèle le monde de l’absurde. Ce que trouve Camus est bien connu : « C’est ce divorce entre l’esprit qui désire et le monde qui déçoit, ma nostalgie d’unité, cet univers dispersé et la contradiction qui les enchaîne » (253). Voilà la situation dramatique qui constitue la structure fondamentale de la pensée de Camus. Il veut un univers où tout serait unifié et ouvert à la raison, un univers sans fêlure, où l’absolu et l’individu seraient étroitement liés, mais il constate que cet univers n’existe pas. Synergies Inde n° 5 - 2010 pp. 87-103 89 Camus ne définit pas exactement ce qu’il veut dire par ‘l’absolu’ mais on peut le deviner. Cela implique la capacité de la raison humaine de tout comprendre, d’expliquer tous les aspects de cet univers. Ce serait aussi un univers humanisé, comme la patrie de l’homme. Cela implique l’immortalité, et une autonomie morale totale, bref, une volonté de déité. Ce sentiment s’exprime par des métaphores de manque et d’exclusion, d’exil d’un paradis perdu : dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu’il est privé des souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité (223). Il utilise le terme ‘sentiment’ parce qu’il n’est pas question d’arguments qui prouveraient l’absence de cette ’patrie perdue’ ou d’une ‘terre promise’. Camus utilise ces images bibliques de la patrie perdue et de la terre promise pour souligner le fait que, quoique désirables, elles sont imaginaires. Il a, comme Proust et Baudelaire, « la nostalgie des paradis perdus » (206). L’homme est exilé de sa vraie patrie; il est marginalisé dans l’univers; il est étranger à tout ce qui l’entoure : « voici l’étrangeté : s’apercevoir que le monde est « épais» » (228). Il s’aperçoit que même « une pierre est étrangère » (228). L’homme n’est pas lié intimement aux objets, à la nature. Au contraire il est conscient de l’intensité avec laquelle la nature où un paysage peut le nier (228). Et surtout, il sait qu’il va mourir, mais que cet univers va continuer et qu’en dépit de ses besoins d’explication, et d’immortalité, il va disparaître. Ces références au paradis perdu d’un monde absolu et uni et à son impossibilité sont aux racines de son idée et son sentiment de l’absurde: « cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c’est l’absurde » (229). « Comprendre le monde pour un homme, c›est le réduire à l’humain, le marquer de son sceau » (231). C’est tout simple : « Si l’homme reconnaissait que l’univers lui aussi peut aimer et souffrir, il serait réconcilié » (231). Camus veut un univers personnel, un monde personnel, à l’échelle humaine, un monde uni où l’esprit, le corps et les choses seraient en harmonie perpétuelle, facilement explicable par la raison humaine. C’est une personnification du monde, qui est toujours accompagnée de la déception parce que ce monde n’existe pas et, en fait, ne pourrait pas exister. C’est dans ce contexte que Camus aborde l’idée de la justice de l’univers dans lequel il se trouve. Il déclare qu’il est conscient de « son innocence irréparable » (255) et de l’injustice du monde. La difficulté, c’est que, si le monde est absurde, il ne pourrait pas être question de justice ou d’un univers humain. Mais pourquoi, si le monde est absurde, pense-t-il qu’un monde humain devrait exister ? On peut voir qu’il souligne l’absence de toute vérité transcendante a priori. Ce refus du uploads/Philosophie/ mythes-metaphores-et-metaphysique.pdf

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