Patrick Charaudeau, « L’argumentation dans une problématique d’influence », Arg

Patrick Charaudeau, « L’argumentation dans une problématique d’influence », Argumentation et Analyse du Discours, n° 1 | 2008, [En ligne], mis en ligne le 02 octobre 2008. URL : http://aad.revues.org/index193.html. Consulté le 21 octobre 2008. (Fragmente) Auteur Patrick Charaudeau Texte intégral Signaler ce document 10 Pour répondre à la seconde question (quels processus langagiers participent de cet acte d’influence ?), et en prenant le point de vue du sujet du discours, il suffit d’envisager les problèmes qui se présentent à lui dès lors qu’il veut parler à quelqu’un dans quelque situation de communication que ce soit. On peut en envisager quatre : Comment entrer en contact avec l’autre, à travers quelle relation ? Il s’agit ici de s’interroger sur le processus de prise de contact, sachant qu’entrer en contact avec l’autre est, pour le sujet parlant, un acte d’imposition de sa présence à l’autre, et sachant que toute mise en place d’une relation instaure des positions de supériorité / infériorité. Les rituels socio-langagiers étudiés par l’ethnométhodologie du langage masquent cette difficulté et tentent de justifier ce qui autorise le sujet parlant à obliger l’autre à entrer en relation avec lui. 3 Question reprise par certains analystes du discours comme Ruth Amossy (1999) et Dominique (...) 4 Pour l’ethos dans la situation de communication politique, voir Charaudeau 2005. Quelle position d’autorité adopter vis-à-vis de l’autre ? Il s’agit ici de s’interroger sur le processus de construction de l’image du sujet parlant, de sorte que l’autre le considère crédible ou aille jusqu’à s’identifier à sa personne. On retrouve l’ethos de la rhétorique3 qui est constitutif de tout acte de langage, mais prend des caractéristiques particulières selon la situation de communication dans laquelle il s’inscrit4. Comment toucher l’autre ? Sachant qu’il n’est pas acquis par avance d’influencer l’autre, il s’agit de s’interroger sur le processus langagier qui permet de faire en sorte que l’autre adhère sans résistance au point de vue du sujet. On retrouve ici le pathos de la rhétorique qui, s’appuyant sur les émotions susceptibles de faire se mouvoir l’individu dans telle ou telle direction, met en place des stratégies discursives de dramatisation afin d’emprisonner l’autre dans un univers affectuel qui le mettra à la merci du sujet parlant. Enfin, comment ordonnancer son dire de telle sorte que celui-ci soit au service du processus d’influence du sujet ? Car il faut bien parler du monde et le transmettre à l’autre pour qu’il lui soit compréhensible. Il s’agit ici de s’interroger sur les modes d’organisation du discours selon que l’on choisit de raconter ou d’argumenter. Raconter suppose que l’on organise son discours de façon descriptive et narrative ; argumenter que l’on organise son discours de manière argumentative. 11 Chacun de ces modes d’organisation a, comme on va le voir, des particularités qui lui sont propres, mais on remarquera qu’ils se distinguent en ce que le premier est « identificatoire » : il permet à l’autre de se projeter librement dans le récit qui lui est proposé, et de s’identifier ou non à tel ou tel aspect du récit ; le second est « impositif » : il oblige l’autre à entrer dans un mode de pensée et à l’évaluer en fonction de son propre point de vue. C’est pourquoi le premier est générateur de discours mythiques, le second de discours savants, mais tous deux participent d’un processus de rationalisation. 12 Chacun de ces processus (voir Figure 1) fait l’objet d’une mise en scène qui obéit à une certaine mécanique et a recours à certains procédés que l’on peut décrire et catégoriser : mise en scène et catégories des rituels de prise de contact ; mise en scène et catégories de l’ethos ; procédés des stratégies du pathos, mécanique et catégories de la mise en scène narrative et argumentative. Ici, il ne sera question que de cette dernière. 2. L’organisation argumentative du processus d’influence 13 La raison argumentative, considérée du point de vue d’une problématique de l’influence, ne réside pas seulement dans la force du raisonnement (existe-t-il un raisonnement imparable ?) ni dans la seule force des idées (qu’est-ce qu’une idée forte ?). Si c’était le cas, on saurait par avance ce qu’est un raisonnement imparable et tout le monde utiliserait le même, ou ce qu’est une idée forte et tout le monde y aurait recours. Un même raisonnement peut servir des idées opposées, une même idée peut s’insérer dans des raisonnements différents. On en conclura qu’aucun raisonnement, aucune idée, n’a de force en soi. Quand un pays qui veut défendre son droit à se doter d’une force nucléaire utilise l’argument « nationaliste » vis-à-vis de son peuple contre l’ingérence étrangère, on conviendra que l’argument en question n’a de force que dans cette situation et par rapport au peuple concerné, et non pas en soi puisque dans un autre contexte il pourra être rejeté comme négatif. On ne retiendra donc pas cette idée qui traîne dans la rhétorique argumentative, à savoir que l’on peut établir une hiérarchie entre des modes de raisonnements et entre des types d’arguments. Figure 1 14 On posera donc que la raison argumentative dépend des considérations suivantes : tout acte de langage se produit dans une situation de communication qui donne des instructions de production et d’interprétation du sens aux partenaires de l’échange ; le sens résulte d’une co-construction et donc l’acte argumentatif, qui s’y trouve, tire sa validité (et non point sa valeur) des instructions de cette situation ; le processus de rationalisation argumentative obéit à certaines conditions de mise en scène discursive, faisant que la pertinence de l’argumentation ne peut être jugée que rapportée aux conditions de cette mise en scène ; le processus argumentatif tire sa force d’influence d’un certain type d’argument, à l’intérieur d’une certaine situation, et selon la fonction que remplit l’argument considéré au regard de la mise en scène discursive. 15 On évoquera rapidement le premier considérant, pour s’attacher plus particulièrement aux deux autres. 3. Validité de l’acte argumentatif et situation de communication 16 Il est important de souligner ici la différence entre les notions de valeur et de validité. La valeur renvoie à un sémantisme à la fois référentiel et axiologisé qui se trouve inscrit dans les mots de par leur usage social, comme serait par exemple le mot « crime », porteur, par son usage social, d’un sémantisme à valeur négative. La validité concerne l’effet sémantique qui est produit en cohérence avec la situation dans laquelle sont employés les mots, et dont les partenaires de l’acte de langage sont comptables. Ainsi, le slogan publicitaire « Pas de vrai plaisir sans Perrier » sera interprété - et donc validé - comme : « si vous voulez un vrai plaisir, alors buvez Perrier », parce qu’on a connaissance des instructions de la situation de communication publicitaire qui nous dit, à la fois que : « vous ne pouvez pas ne pas vouloir avoir du plaisir », et que : « seul Perrier peut vous donner ce plaisir »5. Mais sortez cet énoncé de cette situation, plongez- le dans une autre situation, et il signifiera autre chose, les inférences que permettra cette nouvelle situation seront autres, et l’acte argumentatif sera validé différemment. 5 Pour le contrat implicite du discours publicitaire, voir Charaudeau 1994. 17 Sans pouvoir développer ici ce point, considérer que c’est la situation de communication qui donne force de validité à l’acte argumentatif est ce qui permet de définir trois grands ordres argumentatifs : la démonstration, l’explication, la persuasion. L’ordre de la démonstration correspond aux situations dont la finalité consiste à établir une vérité (un article scientifique) ; l’ordre de l’explication correspond aux situations dont la finalité consiste à faire savoir une vérité déjà établie (un manuel scolaire de physique) ; l’ordre de la persuasion correspond aux situations dont la finalité est de faire croire (une publicité, une déclaration politique). Cette distinction de « genres » (si l’on veut employer ce terme) à l’intérieur de l’activité argumentative ne tient donc pas aux caractéristiques linguistiques des énoncés, mais aux enjeux situationnels. 4. Les conditions de mise en scène discursive de l’acte argumentatif 18 Adoptant le point de vue du sujet argumentant, on posera que celui-ci, tenant compte des instructions de la situation de communication dans laquelle il se trouve, doit se livrer à une triple activité discursive de mise en argumentation (Figure 2). Il doit faire savoir à l’autre (interlocuteur unique ou auditoire multiple) : (1) de quoi il s’agit (problématiser) ; (2) qu’elle position il adopte (se positionner) ; (3) quelle est la force de son argumentation (prouver). Figure 2 4.1. Problématiser 19 Problématiser est une activité discursive qui consiste à proposer à quelqu’un, non seulement ce dont il est question, mais aussi ce qu’il faut en penser : d’une part, faire savoir à l’interlocuteur (ou à l’auditoire) de quoi il s’agit, c’est-à-dire quel domaine thématique on lui propose de prendre en considération ; d’autre part, lui dire quelle est la question qui se pose à son propos. 20 En effet, une assertion ne prête à aucune discussion tant qu’on n’en perçoit uploads/Philosophie/ charaudeau-discurs.pdf

  • 10
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager