META: Res. in Herm., Phen., and Pract. Philosophy – II (1) / 2010 196 La mise à

META: Res. in Herm., Phen., and Pract. Philosophy – II (1) / 2010 196 La mise à jour de la philosophie de la nature hégélienne par Alexandre Kojève. La théorie des Primats Slim Charfeddine Université de Lille 3 Abstract The reinterpretation of the Hegelian philosophy of nature by Alexandre Kojève. The theory of primacy According to Kojève, all philosophical thought develops systematically. Thus, when reading Hegel, he could not go over the text without reflecting on the delicate status of the Philosophy of nature. As opposed to ordinary readings, he defends its necessity and truth, in spite of the outdated statements present in this work. Hegel is right to make a radical distinction between the philosophy of nature and the mathematics – i.e. science – of nature. Kojevian thought draws on a reflection on different forms of language. It especially opposes philosophical conceptual discourse to scientific measure. However, he is also interested in the objects of discourse or measure. He establishes the existence of three objects of phenomenological discourse: minerals, human beings and men that are characterized by the primacy of present, past and future. Keywords: philosophy of nature, epistemology, Kojève, Hegel, theory of language, phenomenology « La fin est dans le commencement » Sergiu Celibidache Philosophie de la Nature et Phénoménologie La Philosophie de la nature est sans aucun doute l'aspect le plus critiqué de l'œuvre hégélienne, si bien que certains philosophes d'inspiration hégélienne la rejettent en bloc. Cependant, on ne peut pas, d'une part, considérer Hegel comme un penseur systématique et, d'autre part, rejeter une des trois parties du système. Il faut soit renoncer à la totalité du système Slim Charfeddine / La mise à jour de la philosophie de la nature hégélienne 197 hégélien, soit chercher à le défendre dans sa totalité. C'est par une démarche hautement provocatrice que Kojève réhabilite la philosophie de la nature hégélienne. Sa « mise à jour » a pour tâche de montrer que cet ouvrage contient les fondements d'une pensée correcte de la nature si on élimine quelques passages erronés. Cette mise à jour repose sur les différents « primats » c'est-à-dire ces éléments premiers par rapport au tout et à ses parties, ou par rapport au passé, au présent et à l’avenir. L'objet de cet article est de présenter cette théorie des primats. C'est lors d'une conférence, au cours de l'année scolaire 1938-1939, donnée à l'École Pratique des Hautes Études, qu'il expose pour la première fois sa théorie des primats (Kojève 1947, 364-380). Qu'est-ce que la théorie des primats, et à quelle question répond-elle ? La théorie des primats étudie les genres de relations que peuvent entretenir les phénomènes entre eux, ou plutôt, elle étudie les différentes manières de connaître et de décrire - à l'aide du discours - les phénomènes. En établissant un parallèle entre les trois espèces de descriptions phénoménologiques et les trois moments du temps, il montre qu'il y en a trois sortes, à savoir la légalité, la causalité et la finalité. Son innovation ne réside pas tant dans la découverte de ces trois termes, mais plutôt dans le caractère systématique de son analyse, qui met de l'ordre dans la terminologie en expliquant ce qu'il faut entendre par « cause », « loi » et « finalité ». Une étude minutieuse de la théorie des primats nous permet surtout de comprendre le rapport entre la philosophie et les sciences. Les références aux notions scientifiques y sont très brèves et allusives, mais témoignent d'une connaissance très précise de certaines branches de la science. En particulier, Kojève s'est beaucoup intéressé à la physique quantique, au point de consacrer sa deuxième thèse (non soutenue) à la notion de déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne. Un lecteur superficiel pourrait croire que les références allusives sont le signe d'une méconnaissance de la science et que celles-ci ne sont pas volontairement allusives. Bien que peu nombreuses, les quelques références scientifiques META: Res. in Herm., Phen., and Pract. Philosophy – II (1) / 2010 198 montrent qu'il comprend les résultats scientifiques, même ceux qui nécessitent une certaine technicité. Le caractère allusif des citations et son attitude désinvolte sont autant de signes qu'il envoie au lecteur, afin de lui permettre de comprendre les rapports du philosophe à la science. En effet, le philosophe doit s'intéresser aux sciences, mais la philosophie ne doit pas être la servante des sciences. La philosophie des sciences ne consiste pas en une histoire des sciences où le philosophe essaierait - tant bien que mal – de comprendre et de rendre compréhensibles les découvertes scientifiques. Au contraire, Kojève montre dans sa théorie des primats que certains principes de la philosophie des sciences peuvent être dégagés sans que les découvertes futures ne remettent en question les fondements de l'épistémologie. Le système du savoir Le projet kojèvien tel qu'il est décrit dans Concept, Temps et Discours (Kojève 1990, 30-31) est de mettre à jour le système hégélien et son encyclopédie. Cette mise à jour consiste dans le système du savoir précédé par les trois introductions. Ces trois introductions (l'une « logique », l'autre « psychologique » et la dernière « historique ») ont pour fonction de faciliter la lecture et la compréhension de Hegel pour un Français au XXe siècle. Quant au système du savoir proprement dit, il se compose de trois parties : l'ontologie, l'énergologie et la phénoménologie. L'ontologie correspond à la Logique de Hegel, l'énergologie à la Philosophie de la Nature et enfin la phénoménologie correspond à la Philosophie de l'Esprit. De ce système nous n'avons que les trois introductions. De plus, chaque partie du système est elle-même divisée en sous-parties. En ce qui concerne la phénoménologie, elle se divise en trois parties: la cosmologie, la biologie et l'anthropologie. Ce qui caractérise la cosmologie c'est la notion de présence, autrement dit le primat du présent. La biologie quant à elle étudie la vie, caractérisée par la mémoire, ou le primat du passé. Quant à l'anthropologie, elle repose sur l'étude de la liberté ou de la finalité, ou le primat de l'avenir. Nous allons présenter de manière synthétique l'ensemble de la Slim Charfeddine / La mise à jour de la philosophie de la nature hégélienne 199 théorie des primats qui introduit à la troisième partie du système, à savoir la phénoménologie. Si bien que cette théorie est relativement indépendante du développement de l'énergologie. C'est pourquoi, nous pouvons étudier la théorie des primats sans présenter la totalité de la mise à jour kojèvienne. L'épistémologie faisait-elle défaut à Hegel ? Kojève présente sa théorie des primats comme une correction de la philosophie de la nature hégélienne. Le principal reproche qu'il formule à l'encontre de Hegel est de n'avoir pas tiré profit de sa distinction entre le discours dialectique - conceptuel par définition - et le discours non- conceptuel (ou algorithmique voire symbolique1), faute d'avoir distingué les différentes formes de temporalité (à savoir le temps cosmique, le temps biologique et le temps historique ou humain). En effet, la différence entre la pensée conceptuelle et le discours non-conceptuel des sciences repose sur la différence entre l'espace et le temps. Ce n'est que là où il y a du temps – et notamment du temps historique – qu'il peut y avoir une compréhension conceptuelle du réel. Or, selon Hegel, la nature est espace et espace seulement. C'est pourquoi, il ne devrait pas y avoir de compréhension conceptuelle de la nature. Cependant, Hegel propose une dialectique de la nature. La difficulté vient du statut particulier de la vie (biologique). En effet, la vie implique nécessairement le temps, ce qui pousse Hegel à développer une dialectique de la vie. Pire encore, Hegel pense le cosmos sur le mode de l'être vivant. « D'où sa philosophie absurde de la Nature, sa critique insensée de Newton, et sa propre physique "magique" qui a discrédité son Système au XIXe siècle » (Kojève 1947, 378). Cependant la distinction entre la compréhension conceptuelle et non-conceptuelle (fondatrice du rapport entre science et philosophie) on la doit à Hegel. L'hommage que Kojève rend à Hegel est donc à la hauteur de sa critique. C'est pourquoi ses corrections restent mineures et il peut être considéré sur ce point comme un authentique philosophe hégélien. META: Res. in Herm., Phen., and Pract. Philosophy – II (1) / 2010 200 Quel est donc l'enjeu de la théorie des primats? Pour comprendre les propos de Kojève, il faut s'interroger sur le statut de la philosophie de la nature. Que signifie pour le philosophe penser la nature? Le philosophe peut-il encore penser la nature, alors que les sciences prétendent déjà avoir tout dit, ou en tout cas que tout ce qu'il y a à dire sur la nature relève de la science ? Kojève écarte une grande part des objections concernant la possibilité même de la philosophie en étudiant les statuts respectifs des discours philosophiques et des discours scientifiques. Lorsqu'il définit la philosophie, il s'inspire explicitement de Kant. Ce qui distingue la philosophie n'est pas le domaine d'étude mais la manière critique de réfléchir. La philosophie ne se uploads/Philosophie/ charfeddine-s-philo-nature-hegel-kojeve 1 .pdf

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