Eschatologies du corps spirituel: Porphyre et Avicenne Même si la doctrine esch

Eschatologies du corps spirituel: Porphyre et Avicenne Même si la doctrine eschatologique de Porphyre ne nous est pas, à cause de l'état lacunaire de notre documentation, parfaitement connue dans tous ses détails, nous pouvons en restituer les grandes lignes avec un certain degré de probabilité. Ce qui est certain en tout cas, c'est que chez Porphyre, les destin post-mortem de l'âme est étroitement lié au comportement éthique de l'individu au cours de son séjour terrestre, et cela, notamment à travers l’action du corps pneumatique qui enveloppe son âme. En bon néoplatonicien, Porphyre croit fermement à la préexistence de l'âme. Pour lui, l'âme particulaière se trouve avant son incarnation dans le monde intelligible, ou plus exactement au-dessus de la sphère des étoiles fixes, à la frontière entre l’intelligible et le sensible1; mais elle est destinée à descendre s'incarner dans un corps situé dans le monde sensible2. A cet effet, selon l'interprétation que donne Porphyre dans son traité Connais-toi toi-même du Mythe d'Er dans la République de Plato3, l'âme dans son état pré-sensible doit choisir parmi un certain nombre de «lots» qui prescrivent l'existence qu'elle va mener sur terre. Son choix, libre, dictera par la suite tous les détails de l’existence terrestre de l’individu. En fait, ce choix s'avère être double: dans un premier temps, l’âme choisit un type d’existence «générique» – homme ou chien, par exemple. Ce premier choix induit l'âme à se plonger dans le monde des sept sphères planétaires, et à se choisir un signe zodiacal qui lui convienne. Là elle devra effectuer un deuxième choix: en effet, on lui montre, comme projétée sur un écran, toute une gamme de constellations stellaires dont chacune indique l’existence spécifique que l'âme va mener sur terre: par exemple, si l’âme a d'abord choisi une vie d’homme, ce deuxième choix déterminera si c’est une vie de soldat, de marchand, ou de philosophe qu’elle mènera. Le voyage à travers les sphères et l’acquisition de l’okhêma/pneuma Quoi qu’il en soit, lorsqu’arrive le moment où l'âme doit s'incarner dans un corps – corps humain, par exemple – il y a deux manières d'envisager ce processus d'animation. Selon la première — celle que l'on trouve décrite dans le traité Ad Gaurum — ce processus de l’entrée dans le corps d’une âme rationnelle, et donc proprement humaine, a lieu de manière instantanée, dès le moment où un corps humain qui lui est «adaptée» ou «propre» émerge du ventre de sa mère4. Jusqu’à ce moment-là, le fétus ne possédait qu’une âme de plante. Selon une autre perspective, cependant, dans ce processus de l'animation — toujours intemporel, mais cette fois envisagé comme se déroulant à travers un certain nombre 1 Deuse 1983, 155 2 Dans le De regressu animae (fr. 298 Smith), Porphyre enseignait que cette première incarnation a lieu pour que l’âme prenne connaissance des maux du monde matériel, et ne désire désormais qu’une chose: s’en libérer de manière définitive. 3 Voir, sur cette doctrine, Chase 2015. 4 Porphyre, Ad Gaurum, 11, 2sqq , p; 48, 17sqq. Kalbfleisch, p. 00 Brisson et al., 2012. d’étapes bien distinctes – l'âme destinée à s’incarner dans un corps humain doit entreprendre un voyage stellaire qui l'amènera depuis le monde supracéleste jusqu'à la Terre. Or une entité incorporelle, telle l'âme dans sont état précosmique, ne saurait se déplacer localement, dépourvue comme elle l’est de toute localisation spatio- temporelle. Elle doit donc se servir d'un «vaisseau», okhêma en grec, pour se transporter, vaisseau qui est envisagé comme une sorte de véhicule de l'âme, fait d'une substance quasi-matérielle, le pneuma, dans la constitution de laquelle prédominent les éléments du feu et de l'air. Nous avons sur cette doctrine le témoignage de Proclus, qui l'attribue aux «sectateurs de Porphyre» (Texte 1)5: D'autres, avec plus de modération que ces premiers6, comme Porphyre, (...) disent que ces deux7 se dissolvent et se résolvent de quelque manière dans les sphères à partir desquelles ils ont été constitués8, qu'ils sont des mixtures issues des sphères célestes et que l'âme les collige au cours de sa descente (...). Ces gens-là sont, à ce qu'il semble, en accord avec les Oracles qui disent que, dans sa descente, l'âme collige les éléments du véhicule en prenant une portion de l'éther et du soleil et de la lune et de tout ce qui flotte dans l'air9. Nous voyons d'après ce témoignage que la constitution de l’okhêma-pneuma est une doctrine reprise des Oracles Chaldaïques (fr. 61e Des Places), selon laquelle le véhicule de l'âme est colligé (συλλέγειν) à partir des sphères célestes au cours de sa descente10. Ce véhicule se forme à partir de «mixtures» (φυράματα) constituées à partir des sphères célestes, auxquelles l'âme les restitue lorsque, après la mort de l'individu, elle 5 Attribution rendue très probable par la doctrine semblable évoquée par Proclus, In Tim., III, 355, 13sq. 6 C’est-à-dire, des moyen-platoniciens tels qu’Albinus qui, comme Proclus vient de nous informer, croyaient qu’à la mort aussi bien l’âme irrationnelle que le véhicule de l’âme étaient détruits. 7 C’est-à-dire, comme il ressort de ce qui précède, l’âme irrationnelle et le véhicule pneumatique de l’âme. 8 Cf. Jamblique, De anima, ap. Stobée, Anthologie, I, 384, 24f. Wachsmuth = §37 Finamore-Dillon: τοὺς δὲ περὶ Πλωτῖνον τῆς στάσεως προισταμένους ἐκείνης τῆς χωριζούσης αὐτὰς ἀπὸ τοῦ λόγου, ἢ καὶ ἀφιείσης εἰς τὴν γένεσιν, ἢ καὶ ἀφαιρούσης ἀπὸ τῆς διανοίας, ἀφ’ ἧς πάλιν διττῆς δόξης γίγνεται διάκρισις. Ἤτοι γὰρ λύεται ἑκάστη δύναμις ἄλογος εἰς τὴν ὅλην ζωὴν τοῦ παντὸς ἀφ’ ἧς ἀπεμερίσθη, ᾗ καὶ ὅτι μάλιστα μένει ἀμετάβλητος, ὥσπερ ἡγεῖται Πορφύριος· 9 Proclus, In Tim., III, 234, 18-32, traduction Festugière: οἱ δὲ τούτων μετριώτεροι, ὥσπερ οἱ περὶ Πορφύριον, καὶ πρᾳότεροι παραιτοῦνται μὲν τὴν καλουμένην φθορὰν κατασκεδαννύναι τοῦ τε ὀχήματος καὶ τῆς ἀλόγου ψυχῆς, ἀναστοιχειοῦσθαι δὲ αὐτά φασι καὶ ἀναλύεσθαί τινα τρόπον εἰς τὰς σφαίρας, ἀφ’ ὧν τὴν σύνθεσιν ἔλαχε,φυράματα δὲ εἶναι ταῦτα ἐκ τῶν οὐρανίων σφαιρῶν καὶ κατιοῦσαν αὐτὰ συλλέγειν τὴν ψυχήν, (...) καὶ δοκοῦσιν ἕπεσθαι τοῖς λογίοις ἐν τῇ καθόδῳ τὴν ψυχὴν λέγουσι συλλέγειν αὐτὸ λαμβάνουσαν αἴθρης μέρος ἠελίου τε σεληναίης τε καὶ ὅσ<σ>α ἠέρι συννήχονται· Voir aussi Hieroclès, In Carmen aureum, c. 26-27; Proclus, In Remp., II, 349, 2sq. 10 Cp. Synésius, De insom., VII: ἣν δανείζεται μὲν ἀπὸ τῶν σφαιρῶν ἡ πρώτη ψυχὴ κατιοῦσα, κἀκείνης ὥσπερ σκάφους ἐπιβᾶσα, τῷ σωματικῷ κόσμῳ συγγίνεται. entreprend sa remontée vers l’intelligible à travers ces même sphères, mais dans l'ordre inverse. L’un des témoignages les plus explicites sur le mécanisme de l’acquisition et de l’abandon du véhicule de l’âme nous est fourni par une source latine, Macrobe (c. 370- 430), qui, dans son commentaire sur Le Songe de Scipion dépend largement, selon la plupart des historiens de la philosophie, d’un ou de plusieurs écrits aujourd’hui perdus de Porphyre. Macrobe décrit la doctrine d’un groupe de platoniciens selon lesquelles l’âme individuelle, initialement située dans la sphère des étoiles fixes, est saisie par un désir pour les choses terrestres. Alourdie et entraînée vers les bas par ce désir même, elle entrepend sa descente à travers les sept sphères en direction de la terre (Texte 2): Elle ne se revêtit point tout d’un coup un corps de boue à partir d’un état d’incorporéité totale, mais, en subissant peu à peu des pertes imperceptibles et en s’éloignant de plus en plus de son état de pureté absolue et simple, elle se gonfle du fait de certains augmentations d’un corps stellaire. Dans chacune des sphères qui se trouvent au-dessous du ciel elle se revêt d’une enveloppe éthérée, de sorte que, par leur intermédiaire elle se réconcilie à la compagnie de ce vêtement d’argile, et, de cette façon, qu’elle passe par autant de morts qu’elle n’en traverse de sphères, parvenant à ce qui, sur la tere, s’appelle vie11. La source de Macrobe, vraisemblablement Porphyre, envisage donc cette enveloppe (obvolutio) de l’âme, constituée des «augmentations» qu’elle reçoit de chaque sphère, comme une sorte de préparation pour la réception du corps humain fait de chair et d’os. En effet, étant donné la doctrine néoplatonicienne de la continuité, selon laquelle la nature ne fait point de sauts, deux entités aussi différentes qu’une âme incorporelle et un corps physique ne sauraient entrer en contact immédiat. Il leur fait un intermédiaire, d’une nature à mi-chemin entre les deux extrêmes: et c’est précisément le rôle de l’okhêma-pneuma. Macrobe continue en nous fournissant davantage de détails sur l’acquisition de ce véhicule pneumatique de l’âme (Texte 3): (...) l’âme, ayant commencé sa descente vers le bas à partir de l’intersection entre le Zodiaque et la Voie Lactée jusqu’aux sphères sous-jacentes, au fur et à mesure qu’elle glisse à travers elles, non seulement elle se drape [dans ces enveloppes] dans chacune d’entre elles, comme nous l’avons dit, lorsqu’elle s’approche du corps lumineux, mais aussi elle produit chacun des mouvements dont elle se servira par la suite. 14. En effet, dans la sphère de Saturne elle acquiert le raisonnement et l’intelligence, qu’on appelle logistikon et theôrêtikon; dans la sphère de Jupiter, la puissance d’agir, qu’on appelle praktikon; dans la sphère de Mars, ce qu’on designe comme l’ardeur (thumikon); dans la sphère du Soleil, la nature du sentir uploads/Philosophie/ chase-michael-eschatologies-du-corps-spirituel-porphyre-et-avicenne.pdf

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