NOUVELLES APPROCHES PHILOSOPHIQUES Yves Charles Zarka, Paul Audi, Ali Benmakhlo

NOUVELLES APPROCHES PHILOSOPHIQUES Yves Charles Zarka, Paul Audi, Ali Benmakhlouf, Jocelyn Benoist, Marc Crépon, Franck Fischbach, Tristan Garcia, Frédéric Gros, Bruno Karsenti, Hélène L’Heuillet, Guillaume Le Blanc, Corine Pelluchon, Charles Ramond, Pierre-Henri Tavoillot, Pierre Zaoui Presses Universitaires de France | « Cités » 2013/4 n° 56 | pages 133 à 162 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130617945 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2013-4-page-133.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) 133 Présentation Yves Charles Zarka     cités 56, Paris, puf, 2013 NOUVELLES APPROCHES PHILOSOPHIQUES Présentation Yves Charles Zarka Dans ce premier des deux numéros de Cités consacrés à la philosophie française aujourd’hui, nous avons voulu présenter quelques-unes des nouvelles démarches mise en œuvre par une nouvelle génération de philo- sophes. Dans le numéro 58 de Cités, donc le second numéro sur la phi- losophie française, nous présenterons les perspectives ouvertes par des philosophes de la génération antérieure, ceux qui ont marqué les 25 der- nières années de pratique de la philosophie en France. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) 134  Nouvelles Approches Philosophiques   Nous vivons à une époque où il est devenu difficile de poser à nou- veaux frais la question (en appa- rence éculée) du « sujet ». Il en était déjà ainsi à l’heure où je commen- çais mes études et où phénoméno­ logues, marxistes, poststructura­ listes et hermé­ neutes, jouissaient de l’es- time générale. Et il en est toujours ainsi depuis que la philosophie analytique a pris le pouvoir dans nos institutions universitaires et de recherche, et qu’une métaphysique néo-réaliste se reconstitue peu à peu sous nos yeux. Qu’en est-il d’allieurs de ce courant qui a bien sûr tout son sens et toute sa perti­ nence ? Les raisons qui pré- sident à son hégémonie ne me sem- blent pas devoir être séparées de la place qu’occupe dans notre univers mondialisé ce puritanisme d’ori­ gine protes­ tante auquel Weber rattachait déjà l’essor du capitalisme. Et il n’est pas jusqu’à la philosophie dite « de l’es­ prit » qui ne soit le rejeton d’un monde farouchement puritain, dans lequel les ques­ tions relatives au corps charnel n’entrent en ligne de compte, si jamais elles le font, que de façon tout à fait marginale. Quant au traite­ ment des questions liées au lan­ gage, à sa nature et à sa signification, il contourne, dans ce contexte, tout ce que la tradition philosophique dite « continen- tale », fût-elle la plus spécu­ lative, a toujours abordé en termes de désir et de passions. Tous ces nou­ veaux savoirs linguistiques et cognitifs ne reposent-ils pas sur la substitution de l’entende­ ment (mind) à l’esprit (spirit) et du cerveau (brain) à l’en- tendement ? Et cela ne va-t-il pas de pair avec les attaques cons­ tantes que la psycha­ nalyse essuie désormais de la part des « comporte­ menta­ listes » ? Sans doute importe-t-il aussi de résister à ce qui est devenu le modèle domi­ nant du discours philosophique (un modèle lui aussi non-« continental ») et qui en fait toute la misère actuelle, à savoir la réduction du logos à sa seule trame ar- gumentative, au nom d’une rigueur identifiée à un système de preuves et d’une pensée identifiée à une série de thèses, alors que la philoso- phie, de Socrate à Wittgenstein au moins, s’est construite dans l’écart et la tension (toujours à méditer) entre le logique et l’éthique, entre le juste au sens de la justesse et le juste au sens de la justice, cet écart ou cette tension étant seuls à même de produire le plus impor­ tant : des événements de subjectivation, c’est-à- dire des effets de libération, aussi bien chez le destinateur que chez le des- tinataire d’une parole prétendant à Paul Audi © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51)  Paul Audi     135 la vérité. C’est dire si les change- ments indiqués de perspective ont un prix exorbitant : ils s’effec­ tuent chaque fois à la condition de ne tenir aucun compte du « Soi char- nel et pulsatile », comme l’appelait le romancier D.H. Lawrence, dans la compréhension que l’homme a de la vie et du monde. Il est donc temps de remettre en cause la mise en cause de la subjecti- vité humaine (de son iden­ tité comme de son ipséité) comme figure méta- physique, voire comme suppôt du nihi­ lisme. Il ne s’agit pas pour autant de revenir sur la critique du sujet dévelop­ pée après Nietzsche, mais de la prolonger au contraire en interro­ geant cette fois, en opérant un certain déca- lage à la fois disciplinaire et méthodo- logique, notamment en faisant écho à la littérature, les limites ou les lacu- nes de cette critique (ces limites et ces lacunes étant en partie celles de la phéno­ ménolo­ gie classique). Car la question que ce prolongement exige de poser vise d’abord à comprendre pourquoi toutes les mises en cause de la subjectivité aux­ quelles nous avons as­ sisté au cours des dernières décen­ nies reposent sur une mé­ fiance ou une défiance plus ou moins affirmée, et plus ou moins aveugle, quant à ce qui est individuellement incarné et qui, par son « excé­ dence » consti­ tutive, ne peut qu’échapper à toute forme de maî­ trise comme à toute espèce d’objecti­ vation, de prévisi­ bilité et de calcula­ bilité. On a rapporté que Picasso rêvait d’un sa­ voir nouveau, d’une science nouvelle ou à venir, que l’on appel- lerait « la science de l’homme » et qui aurait pour tâche, disait-il, de « pénétrer plus avant l’homme à travers l’homme-créateur ». C’est dans le prolon­ ge­ ment de cette aspira­ tion, de ce programme ou de ce défi, donc à partir de cette possibilité supérieure où son exis­ tence ose et gagne le chaos et s’avère ainsi parfaite­ ment créatrice, que j’ai tenté de réinterro­ ger la subjec­ tivité humaine. Il m’a sem­ blé récemment qu’une autre possi­ bilité de ce que j’ap­ pellerais la critique de la critique du sujet devait consister à inter­ roger ce qu’il en est du réel de l’amour. Cette voie m’entraîne aujourd’hui à aborder plus directement des ques­ tions rela­ tives à l’existence politique et à l’idée de justice. Voilà dans quelle perspec- tive je me suis intéressé à la pen- sée de certains penseurs (tels que Platon, Rousseau, Nietzsche, Kierkegaard, Wittgenstein ; Bataille, Henry, Lyotard, Casto­ ria­ dis, Lacan) et de certains écrivains (parmi les- quels Molière, Mallarmé, Jarry, Gary, Camus, Faulkner) et artistes (notam­ ment Picasso, Van Gogh, Eugène Leroy). C’est en effet à leur contact que mon travail a pris forme. Chacun d’eux m’a conduit à mieux com­ prendre ce que pouvait être à notre époque (à l’âge de la techno- © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) 136  Nouvelles Approches Philosophiques   science et des crises du capitalisme), et si jamais elle avait encore une chance d’exister, le point de croise- ment de l’éthique et de l’esthé­ tique. Il est vrai que chacun de ces créateurs a fait, dans son œuvre, une place détermi­ nante à une problé­ ma­ tique dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne lui appar­ tient pas en propre puisqu’elle appartient en ré- alité à tout être humain (au sens générique du mot) — et cela pour autant qu’il entend se manifester à lui-même son « humanité » (au sens éthique du mot). Cette probléma- tique est celle que Wittgens­ tein aura résumée dans l’un de ses car- nets en ces termes : « La question est : Com­ ment traverses-tu cette vie ? » Sans doute n’est-il pas un seul homme qui ne doive, à un moment ou un autre de son existence, faire face à cette ques­ tion, mais parmi les hommes, seuls les « créateurs » y fait font face tout le temps. En tout uploads/Philosophie/ cite-philo 1 .pdf

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