Revue Philosophique de Louvain Philosophie première, philosophie seconde et mét

Revue Philosophique de Louvain Philosophie première, philosophie seconde et métaphysique chez Aristote Auguste Mansion Citer ce document / Cite this document : Mansion Auguste. Philosophie première, philosophie seconde et métaphysique chez Aristote. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 56, n°50, 1958. pp. 165-221; doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1958.4955 https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4955 Fichier pdf généré le 24/04/2018 Philosophie première, philosophie seconde et métaphysique chez Aristote Aristote, dit-on, n'usait pas du terme « métaphysique », mais désignait cette discipline philosophique, la plus haute de toutes, par l'expression « philosophie première ». Nous voudrions examiner ce qu'il y a d'exact, mais aussi d'inexact, dans cette dernière affirmation, qui est devenue un lieu commun des exposés de philosophie aristotélicienne. Elle a pénétré jusque dans les manuels et peut d'ailleurs se réclamer d'une longue et vénérable tradition, car on ta trouve dans Alexandre d'Aphrodise, qui sans doute ne faisait que répéter ce qu'on enseignait déjà avant lui (1>. A considérer d'un peu près les textes d'Aristote lui-même, on s'aperçoit que l'identification pure et simple de la « philosophie première » avec la métaphysique ne va pas sans difficulté. Si, pour ne préjuger de rien, on commence par identifier la « métaphysique » avec la science philosophique suprême d'Aristote, on se heurte au problème soulevé par W. Jaeger : est-ce toujours le même objet qu'Aristote a assigné à cette science suprême, ou plutôt, comme Jaeger l'a brillamment esquissé, ne doit-on pas reconnaître qu'au cours de l'évolution de sa pensée, le Stagirite a adhéré à des conceptions notoirement différentes et de cette science et de son objet ? Que l'on admette ou que l'on rejette ces vues du critiques allemand, on devra lui concéder tout au moins qu'Aristote s'est servi d'expressions passablement divergentes les unes des autres pour désigner O Voir les débuts des prologues à ses commentaires aux livres B et F de la Métaphysique (pp. 171, 5-8 et 237, 3-5 Hayduck). 166 Augustin Mansion sa métaphysique et qu'il y a de même chez lui des variations faciles à constater dans ses descriptions de l'objet de la science philosophique en question. Au contraire, dès qu'on aborde les textes, pas fort nombreux mais très significatifs, où il s'agit de façon expresse de « philosophie première », on constate que l'objet qu'il y assigne est, en somme, toujours le même, du moins chaque fois que cet objet se trouve mentionné de façon suffisamment nette, ce qui est le cas ordinaire. L'objet en question n'est autre que l'être suprasensible, — formes analogues ou semblables aux Idées platoniciennes et dégagées, comme elles, de la matière ; — ou encore Dieu, premier moteur, caractérisé par son immatérialité et son immobilité ; — ou enfin, l'intelligence ou l'âme en tant qu'intelligente. On verra, en effet, au cours de l'analyse des textes dont l'examen va suivre à l'instant, que c'est bien comme êtres suprasensibles ou spirituels que les différentes réalités qu'on vient d'énumérer rentrent, aux yeux d'Aris- tote, dans l'objet de sa philosophie première. Il s'est inspiré, semble-t-il, sur ce point comme sur bien d'autres, des vues de son maître Platon, mais bien entendu en les transposant ; il lui emprunte en gros sa problématique, cherche dans la même direction que lui la solution des questions à résoudre, mais finit par en proposer une solution nouvelle, destinée à remplacer celle de son maître. Ceci ressort, du moins partiellement, des deux passages de la Physique où il est question de philosophie première et où l'étude de la forme, mais de la forme non unie à la matière, est renvoyée à cette discipline supérieure. Le premier passage se trouve dans la conclusion du livre premier de la Physique (I, 9, 192 a 34 - b 2): il vient d'être question de la matière et de ses propriétés r quant à l'autre principe des choses (matérielles), corrélatif au précédent, la forme, l'auteur en renvoie l'étude à plus tard : s'agit-il de formes non unies à une matière, et donc impérissables et éternelles (ceci n'est pas dit dans le texte, mais ressort de l'opposition avec le cas mentionné immédiatement après), le problème de savoir si une telle forme est unique ou s'il y en a plusieurs, ensuite celui de savoir ce que de telles formes sont en elles-mêmes, ces problèmes relèvent de la philosophie première ; s'agit-il, au contraire, des formes naturelles, c'est-à-dire des formes constitutives des êtres de la nature et, dès lors périssables comme ces êtres mêmes, l'étude devra s'en faire Philosophie première et métaphysique chez Aristote 167 dans la suite de ces recherches appartenant au domaine de la physique (2). On ne peut guère imaginer une fidélité plus accusée au scheme d'explication platonicien, jointe à une indépendance de pensée qui réserve expressément l'hypothèse d'une explication finale s'écartant nettement de celle du platonisme classique. Pour les choses de ce monde, où la forme est un principe immédiat d'explication indispensable, on cherchera l'explication ultime dans un monde supérieur, monde de formes immatérielles, relevant ainsi d'une science supérieure elle aussi. Mais on ne peut et on ne veut rien dire encore concernant l'essence propre de ces formes, lesquelles pourraient se réduire à une seule, entendez, à Dieu, Premier Moteur, dont l'essence devra alors être conçue comme toute différente d'une essence des choses matérielles, prise à l'état pur et sublimé. — Notons, en passant, que l'étude des formes immergées dans la matière est assignée à la physique, sans que soit exclue une étude de ces mêmes formes, rentrant dans l'objet d'une science supérieure ; en fait Aristote n'en dit rien ici. L'autre passage de la Physique qui nous intéresse se trouve de façon assez semblable à la fin des deux chapitres qui ouvrent le livre II et qui sont consacrés à la notion et à la réalité répondant au terme yûoiç, c'est-à-dire en somme à l'objet de la physique. Ce développement se termine par un paragraphe qui donne la réponse à la question : est-ce la « nature » comme matière ou plutôt comme forme, que doit étudier le physicien ? Cette réponse consiste à dire qu'il lui appartient de s'occuper de l'une et de l'autre, mais surtout de la forme. Ceci provoque une question subsidiaire : jusqu'où s'étendra cette étude de la forme par le physicien ? Et, de nouveau, la réponse limite cette étude aux formes unies à une matière, caractérisées, entre autres, par le fait quelles en sont séparées ou sépa- rables comme formes (etSsi, par leur contenu formel) tout en existant dans une matière. « Quant à la manière d'être et à l'essence de ce qui est séparé, ajoute Aristote, c'est affaire de la philosophie première de le déterminer » <3). {2) Ilepl Se tyjç xaxà xô eîSoç àpffiz, udxepov |i£a ^ TtoXXaî xal xtç ^ xfveç eJaÉv, 8t* dfcxpijkfaç xy); rcpt&TTjç tpiXoaocpÉaç Ipyov èaxiv SiopÉaal, ôax* elç lyieïvov xôv xaipôv arcoxeEafra). IIspl 8è xwv cpuaixwv xat <pfrapxG>v èv xoîç Qaxepov 8etxvu{iévoiç èpoOjisv. (ï) ... uept xaOxa S. èaxi x^ptaxà |ièv eïSet, èv OXig 81 ; (194 b 12-13) ... 8' ^ XÉ e SÉ (14-15). 168 Augustin Mansion Ce que nous apprennent ainsi les deux passages de la Physique analysés à l'instant, c'est que l'étude des formes immatérielles — quels que soient d'ailleurs leur nature et leur nombre — appartient en propre à la philosophie première, tandis que les formes immergées dans la matière sont du domaine de la physique. D'une étude de ces dernières formes dans une science supérieure (philosophie première ou autre) il n'est pas question, ni pour la rejeter, ni pour l'admettre. Une autre série de textes met explicitement la philosophie première en relation avec Dieu, Premier Moteur éternel, immatériel et immuable. Le plus explicite d'entre eux est celui du livre VI (E), chapitre 1, de la Métaphysique (4), où l'on trouve l'exposé bien connu des trois ordres de sciences philosophiques, qu'on distingue suivant le degré d'abstraction ou de séparation de la matière et du mouvement, qui caractérise leurs objets respectifs <5>. L'objet de la science la plus haute y est décrit comme une réalité à la fois éternelle, immuable et séparée (de la matière) et la science elle-même est dite antérieure (itpoxepa) à la mathématique et à la physique (1026 a 10-15), et elle est désignée, aussitôt après, comme première (TCpûYxT]), s' occupant d'objets séparés et immuables, objets réalisant parfaitement les conditions que doivent remplir les causes entendues au sens fort, à savoir d'être éternelles (ibid., 1. 15-18). Suit 1' enumeration et la désignation par un vocable propre des trois « philosophies » qu'on vient de distinguer par les caractéristiques de leurs objets : « philosophie mathématique, physique, théologique » (6). On ne s'arrêtera pas présentement à l'ordre des termes, qui dans cette enumeration peut soulever une question intéressante et qui sans doute ne laisse pas d'être significatif. La dénomination de philosophie théologique, appelée d'abord philosophie première, est justifiée aussitôt par l'auteur : la divinité ne peut se trouver que parmi les réalités immatérielles, immuables <4) On trouvera plus loin les raisons qui nous font négliger le passage parallèle du livre XI (K), 7. '*) Voir notre Introduction à la physique uploads/Philosophie/ mansion-auguste-philosophie-premiere-philosophie-seconde-et-metaphysique-chez-aristote.pdf

  • 11
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager