1 Clément Rosset, le philosophe de la Joie et du tragique. Plus proche sera la

1 Clément Rosset, le philosophe de la Joie et du tragique. Plus proche sera la Joie, plus proche sera l’acceptation de la vie. Le philosophe Clément Rosset est natif de Carteret (Manche) où il est né le 12 octobre 1939. Celui-ci décédera le 27 mars 2018 dans son appartement parisien. Auteur d’une œuvre majeure et singulière dans la philosophie française, Clément Rosset est entré à l’École normale supérieure en 1961 ; il devient agrégé de philosophie en 1964. Dans un premier temps, il enseigne la philosophie à Montréal de 1965 à 1967, puis à Nice jusqu’en 1998. Nourri de la lecture précoce de Montaigne, Pascal, et Nietzsche, il articule sa philosophie autour de deux idées : celle du tragique et celle du double. Depuis La Philosophie tragique (PUF, 1960), Clément Rosset déploie l’idée selon laquelle l’existence n’a pas de sens et qu’elle « se dérobe à toute tentative d’interprétation », écrit-il dans Logique du pire. Eléments pour une philosophie tragique (PUF, 1971). Cette idée, nous dit-il, il l’a doit à une intuition de jeunesse éprouvée à l’écoute du Boléro de Maurice Ravel, dont le thème repris et répété jusqu’à l’épuisement ressemble à une métaphore de la vie, où le tragique et la jubilation se confondent ; intuition qu’il ne cessera de développer et à laquelle il donnera l’un de ses plus beaux développements dans La Force majeure (Minuit, 1983). Le refus du double ou la nécessaire acceptation du réel. A partir du livre, Le Réel et son double (Gallimard, 1976), Clément Rosset démontre, à l’aide de la lecture du mythe d’Œdipe ou du fétiche de L’Oreille cassée, d’Hergé, ou encore d’une interprétation des Vacances de Monsieur Hulot, de Jacques Tati mais aussi d’une lecture de La Recherche du temps perdu, de Marcel Proust, que le réel est sans double, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autres mondes et qu’il est vain de vouloir nier la réalité par la morale (qui dit ce qui doit être alors qu’il faut s’en tenir au réel) ou même la politique, lorsque celle-ci est utopique. Pour Clément Rosset, il faut prendre l’existence dans sa simplicité, son « idiotie » (Le Réel. Traité de l’idiotie, Minuit, 1977), sa crudité (Le Principe de cruauté, Minuit, 1988). 2 Une philosophie qui l’a conduit à un certain dégagement, voir un désengagement politique, éprouvant une aversion pour la figure classique ou médiatique de « l’intellectuel engagé ». Du principe de cruauté, voici ce qu’il faut retenir : « Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer la plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes. Réfléchissant sur cette question, je me suis demandé si on pouvait mettre en évidence un certain nombre de principes régissant cette « éthique de la cruauté » […]. Et il m’a semblé que ceux-ci pouvaient se résumer en deux principes simples, que j’appelle « principe de réalité suffisante » et « principe d’incertitude ». Rosset, à rebours de millénaires de pensées, de constructions théoriques, de spéculations, pose quant à lui un « principe de réalité suffisante », c’est-à-dire qu’il n’est nul besoin de recourir à un ailleurs pour expliquer le monde. Il se suffit à lui-même. Quant au second principe, il stipule qu’il n’existe nulle vérité parfaitement assurée. Encore faut-il s’entendre sur ce que Rosset désigne par cruauté car celle-ci peut être fort mal interprétée ; le principe de cruauté est lié au refus du double : « Par « cruauté » du réel, j’entends d’abord, il va sans dire, la nature intrinsèquement douloureuse et tragique de la réalité. » Pour plusieurs raisons, le réel peut – et doit – être dit cruel. Ces raisons, Rosset les explicite tout au long du livre, sont inhérentes au réel, il est donc illusoire de les refuser. Les tentatives qui visent précisément à refuser la cruauté du réel, ou tout au moins à l’atténuer, sont en fait, des tentatives d’évacuer le réel lui-même. On ne se débarrasse de la cruauté du réel, et de l’angoisse qu’elle inspire, qu’au prix de la mise à mort du réel. C’est la fonction consolante du double. Je ne pouvais ne pas parler dans cette conférence consacrée au tragique et à la Joie de cette question essentielle qui a trait au double car la joie ne peut pas être comprise si on oblitère la réalité du tragique dont nos vies sont l’objet. Rosset nous donne une « leçon de vie. » Que nous dit-il ? On ne peut rien contre la cruauté du réel ; pour autant, la Joie reste non seulement possible mais celle-ci demeure la plus forte en dépit de toutes les vicissitudes que comporte la vie dès lors que son élan ne se brise pas sur l’écueil d’un désespoir qui se nourrit à la source du refus du réel et qui ressasse ses malheurs. N’avons-nous pas tendance à ne pas admettre le caractère irrémédiable 3 d’une réalité dont nous n’acceptons pas son autonomie ? Si l’en va ainsi, Notre douleur n’en sera que plus grande. L’attitude commune consiste à ne peut pas accepter le réel, justement en raison de son caractère cruel : « irrémédiable et sans appel » nous dit Rosset. Ce réel qu’il compare fort justement à une condamnation dont l’application et la sentence seraient simultanées. Le réel est, il n’est que cela, à jamais cela, pour toujours éternellement cela et rien que cela. Et il n’est pas là pour nous faire plaisir. Il est indifférent quant à ce que nous pouvons ressentir. Cette vérité est cruelle car désespérée. Dit autrement, le réel est « intolérable » et il nous faut donc en permanence trouver des moyens de nous y soustraire. « En cas de conflit grave avec le réel, l’homme qui pressent instinctivement que la reconnaissance de ce réel outrepasserait ses forces et mettrait en péril son existence même se voit acculé à se décider sur-le-champ soit en faveur du réel, soit en faveur de lui-même – car alors il ne s’agit plus de tergiverser : « c’est lui ou c’est moi. » En conclusion de son livre, Le principe de cruauté, pour nous faire saisir les illusions de celui qui ne veut pas voir le réel tel qu’il est, Rosset nous parle de l’amour : en guise de post-scriptum, Le principe de cruauté analyse la cruauté inhérente à l’amour, sous toutes ses formes. Première des cruautés : « aucun de ces objets d’amour n’est véritablement aimable, à le considérer froidement, et […] ainsi tout amoureux, pour avoir fait toujours et nécessairement un mauvais choix, se condamne à vénérer comme meilleur ce qui est en vérité le pire et qu’il ne tarde d’ailleurs pas reconnaître lui-même comme tel : d’où sa torture. »(p.52). Rosset prend, avec humour, nombre d’exemples du besoin de certitude, d’illusions, de dénégation, de stratégies diverses pour récuser le réel comme un témoin gênant. Mais il analyse également avec une acuité qui prend aujourd’hui un intérêt décisif, les mécanismes du fanatisme, et de la croyance. Dans cette dernière partie du livre, Rosset décrit le hiatus qui existe si souvent entre la perception du réel et le réel lui-même, ou plutôt du refus de perception qu’on peut alors y opposer. En définitive, la perception est toujours déjà passée par le crible de notre capacité à accepter le réel : je ne perçois que ce que j’ai préalablement décrété inoffensif. Il y a là une forme de « déni » en amont de la perception même, et une multitude de stratagèmes pour faire de telle sorte que ce qui est perçu soit, dans l’instant, 4 désamorcé. Il en découle qu’aller d’illusions en désillusions, c’est s’interdire l’accès à la Joie. Revenons sur le double car ce que déplore Rosset, c’est que l’homme se berce d’espoirs et d’illusions qui le conduisent à de fausses joies. Depuis Le Réel et son double (éd. Gallimard, 1976), le philosophe Clément Rosset déploie son idée maîtresse, celle qu’il élabore : nous ne cessons de fuir le monde, de doubler le réel – d’illusions et de fantasmes. L’invisible est l’un des noms de ces nombreux faux- semblants. L’invisible, cette illusion de réel, « est ce qu’on ne voit pas mais qu’on finit par croire voir, à force d’en tenir l’existence pour certaine. » Pour Rosset, qu’il s’agisse tout à la fois des religions et des idéologies (celles du progrès) mais aussi la philosophie idéaliste, toutes ne sont que des leurres, destinés à masquer une réalité qui triomphe toujours à la fin. Chasseur d’illusions, comme il se prête à le dire et se définir, l’auteur traque les faux-semblants du mensonge. Contre tous les « doubles » qui empoisonnent et déforment la vérité, Rosset défend un réalisme absolu, radical : seul le réel existe. Si l’homme ment et se ment tout le temps, c’est qu’il est incapable d’accepter les choses telles qu’elles sont et apparaissent là, sous son nez. Rosset nous dessille les yeux. Mais cette chasse aux doubles ne prend jamais la forme d’une morale. Le penseur l’a uploads/Philosophie/ clement-rosset.pdf

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