Marcel Conche Philosopher à l’infini Paris, PUF, 2005, coll. « Perspectives cri
Marcel Conche Philosopher à l’infini Paris, PUF, 2005, coll. « Perspectives critiques », 195 p. 3500 SIGNES « Philosopher est une activité, et singulièrement prenante, puisque la tâche du philosophe est une tâche infinie. » Pivot de l’ouvrage, axe du propos toujours tenu par Marcel Conche, cette définition de la philosophie – ou, plus exactement, du philosopher comme activité – oriente vers une mise en œuvre du penser dissocié de l’action. Penser, c’est éclaircir et non comprendre, c’est essarter pour désencombrer la raison de tout esprit de système. Comment pourrait-on comprendre ce qui se donne comme infini : la Nature, la connaissance, l’amour ? Philosopher à l’infini consiste à se défaire radicalement de toute croyance pour s’ouvrir à l’évidence – comprise au sens grec d’enargeia, qui n’est pas la certitude, et non dans son acception cartésienne –, pour s’attacher au réel dans son ensemble (la Phusis, Nature indéfiniment inachevée). Philosopher à l’infini est une activité libérée de toute méthodologie, sinon de s’ouvrir de façon « expériencielle », de porter « attention à tous les aspects de ce que l’on a sous les yeux, dans l’ensemble de ce qui se montre » (p. 18). Et Marcel Conche d’engager un dialogue entre philosophes..., interlocuteurs qui ne peuvent être que les philosophes du mouvant (d’Héraclite à Bergson, en passant par Montaigne) et non les philosophes théologiens ou les fondateurs d’une prétendue philosophie « comme science rigoureuse » – un système n’ayant de sens que pour ceux qui le créent de toutes pièces. Cet ouvrage transforme le lecteur attentif en lecteur du mouvant. Sa lecture incite à évacuer les « formes fixes », à se détacher de tout ce qui peut restreindre son intérêt à l’exclusive préoccupation du contingent, du fini. Elle aide à désaliéner l’esprit des « soucis bornés » de l’action en société. On ne peut donc résumer Philosopher à l’infini. Certes, peut-on s’arrêter sur le flash-back concernant la décision antithéiste de Marcel Conche, sur son « éreintement de la notion de “Dieu” » (p. 15) aboutissant pour l’homme à passer de la finitude (vivre sa vie sous l’horizon de la mort donnée comme sens à la vie) à la finité (la mort comme terme ultime, vierge de toute promesse eschatologique : « L’homme s’achève à la mort » (p. 15). Mais résumer un propos qui sans cesse s’adresse à la raison (à cette raison nécessairement mouvante, à l’opposé de ce Dieu qui, s’il était, saurait, absurdement, toujours ce qu’il fait), résumer un propos ainsi étayé serait aussi factice que d’attendre une conclusion à l’ouvrage. Car « la vie s’arrête à la mort, qui n’est pas une conclusion » (p. 172). Au lecteur du mouvant, qui peut le devenir sans cesse dès lors qu’il sait œuvrer sans agir, à ce lecteur de s’imprégner des propos tenus et échangés « avec et sans », « à propos », « avec »... pour discuter autant que disputer « avec et sans » Aristote, « avec et sans » Épicure, « avec et sans » Pascal, « avec et sans » Lao tseu, avec et sans M. Conche... et, à force de cette activité, de tourner enfin sa raison vers ces sages pour qui philosopher était, est et sera un genre de vie. Philosopher à l’infini est une subtile et élégante invitation de Marcel Conche à lire ou à relire son Orientation philosophique pointant vers la Présence de la nature ouvrant sans cesse sur L’aléatoire, mais aussi et surtout sur L’analyse de l’amour, troisième infini l’emportant... infiniment... sur celui de la Nature et sur le sans fin de la connaissance. Une contribution essentielle à la question de savoir quelle philosophie pour demain ? Reynal SOREL. Pierre Jacerme L’éthique, à l’ère nucléaire Paris, Lettrage Distribution, 2005, 272 p. 3000 SIGNES L’apparente diversité de l’ouvrage de P. Jacerme ne doit pas dissimuler une unité bien plus essentielle que la simple unité thématique : l’unité de ton telle qu’elle est donnée à entendre dans les admirables premières pages du livre. Or ce ton n’est autre que celui de notre temps, l’époque de la fin de la philosophie dont Pierre Jacerme fait réellement l’épreuve pour en tirer les conséquences dans de nombreuses directions : l’enseignement, celui de J. Beaufret en particulier et de J.-T. Desanti dont l’auteur fut l’élève ; le dialogue de la pensée comme expérience de la parole au sein de laquelle, « d’égal à égal », M. Heidegger et J. Beaufret se sont rencontrés ; la psychanalyse éprouvée non pas comme science physique de l’inconscient, mais, avec M. Fennetaux, comme « lieu où se décide le séjour du “parlêtre” » ; la traduction, à travers un texte indispensable et le seul en France à avoir étudié avec une impeccable rigueur les traductions françaises de Être et temps pour faire apparaître comment la traduction de François Vezin « donne à penser, en travaillant à une mutation de notre rapport à la langue » ; la poésie, au fil d’une patiente écoute de l’œuvre de Robert Marteau ; le cinéma, que P. Jacerme situe à une hauteur dont nous avons encore tendance à oublier qu’elle est bien la sienne – le cinéma comme école du regard pour l’homme des temps modernes. « Le cinéma, écrit-il, matérialise le pressentiment du “bouleversement de tout étant”, et du “rien nécessaire à la pleine éclosion des choses”. » Mais de quel bouleversement s’agit-il ici ? De l’ « ébranlement de tout étant » qu’est Hiroshima – ou plutôt « Hiroshima », « avec des guillemets », précise P. Jacerme, signifiant par là qu’il ne s’agit pas seulement du lieu de l’explosion d’une bombe atomique », mais d’un événement historial et présent – à savoir, cette possibilité extrême de destruction totale « qui serait pour la raison un point de non-retour ». En ce sens, « Hiroshima » n’est plus une date qui fait suite aux camps d’extermination, mais ressortit à ce que Primo Levi nomme le « centre obscur » où coïncident les camps et l’armement nucléaire. C’est pourquoi, explique encore P. Jacerme, « Hiroshima » vaut comme « paradigme » : c’est ce qui montre au cœur de ce qui est, et nous adresse la question suivante : « Après “Hiroshima” et la “déliaison” atomique, d’où peut venir la mesure d’un“lien” éthique ? » C’est à cette question que tente directement de répondre la majeure partie de l’ouvrage. Et c’est grâce à cette interrogation également que P. Jacerme renouvelle de manière très originale la question de l’image qui traverse tout le livre : si « Hiroshima » constitue bien la fenêtre aveugle de notre temps, comment établir notre séjour à partir de ce « voir qui ne peut pas être vu » ? C’est dans cet horizon résolument éthique que L’éthique, à l’ère nucléaire constitue une initiation aussi sobre que décisive à la « phénoménologie de l’inapparent ». Hadrien FRANCE-LANORD. Sébastien Laoureux L’Immanence à la limite. Recherches sur la phénoménologie de Michel Henry Paris, Éditions du Cerf, 2005, coll. « Passages », 269 p., 35 E. 6500 SIGNES L’ouvrage se fixe comme objectif de cerner le propre de la phénoménologie henrienne dans le paysage de la phénoménologie contemporaine. Cette recherche se laisse conduire par la double question de savoir pourquoi et comment une phénoménologie matérielle est possible en interrogeant le concept d’immanence poussé à sa limite. « La phénoménologie contemporaine à l’épreuve de la phénoménologie matérielle » (chap. I) insiste sur la critique corrosive de Michel Henry quant au « principe des principes » (intuition, intentionnalité) chez Husserl, sur sa façon de récuser les distinctions rétention/souvenir secondaire, constituant/constitué, sentiment intentionnel/non intentionnel (§ 1 à 5). De surcroît, S. Laoureux indique la manière henrienne d’absorber la problématique heideggérienne de l’intentionnalité dans la pensée husserlienne (§ 6). Puis l’analyse s’élargit en comparant la phénoménologie matérielle avec l’herméneutique ricœurienne (§ 7), avec la transcendance de l’ego chez Sartre (§ 8), avec la déconstruction derridienne (§ 9). L’auteur tente de ressaisir pour lui-même le sens du transcendantal dont la spécificité est d’être une « expérience pure » ne devant rien au constitué, à l’a posteriori (§ 10), évaluant les conséquences méthodologiques, l’incidence sur la question du langage de cette nouvelle phénoménologie (§ 11). Il s’essaie à révéler les difficultés propres à ce qui tiendrait lieu de « principe des principes » d’une telle pensée (§ 11, 12, 13). En effet, l’hypothèse henrienne du « grand partage » entre le transcendantal et l’empirique emprisonnerait la phénoménologie matérielle dans un double bind : on ne peut rien dire du transcendant sous peine de verser dans la contamination ; du constitué, si l’on peut en parler, c’est pour dire qu’il n’y a rien à dire ! « Les figures du “continu résistant” biranien dans la phénoménologie matérielle » (chap. II) reconduit la même question sous l’angle nouveau de l’évolution de la pensée henrienne. Il interroge ainsi l’ « hypertranscendantalisme » en jouant sur l’écart entre son premier texte – Philosophie et phénoménologie du corps – et l’un de ses derniers – Incarnation. Une philosophie de la chair, d’où uploads/Philosophie/ comptes-rendus-revue-philosophique.pdf
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- Publié le Oct 27, 2021
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