ISSN 2182-6552 REVUE DU RESEAU TRANSMEDITERRANEEN DE RECHERCHE EN COMMUNICATION

ISSN 2182-6552 REVUE DU RESEAU TRANSMEDITERRANEEN DE RECHERCHE EN COMMUNICATION MUlTIMED Nº.04 EDIÇÕES UNIVERSIDADE FERNANDO PESSOA ARTIGOs / 71 [ INDICE / INDEX ] LE POSTHUMAIN: ENFANT PRODIGE DE L’EMPIRE CYBERNETIQUE david PaquiN1 Résumé: Cet article a pour objectif d’interroger le projet Posthumain, utopie pour certains, projet de virtualisation de l’homme déjà bien engagé pour d’autres. Il retracera plus spécifiquement les origines cybernétiques du projet Posthumain, il illustrera la façon dont ces origines eurent une profonde incidence sur sa déclinaison actuelle ainsi que sur les nombreux enjeux et problématiques qu’il soulève. Mots-clés: posthumain, cybernétique, cyberespace, cyberculture, réalité virtuelle, méta- physique, intelligence artificielle Abstract: This article aims to examine the Posthuman Project, utopia for some, virtualiza- tion project of man already well underway for others. By specifically retracing the cyber- netic origins of the Posthuman Project, this article will illustrate how these origins have profoundly effected the concept’s recent fragmentation, as well as expose the various issues and problems which it forces us to question. Keywords: posthuman, cybernetic, cyberspace, cyberculture, virtual reality, metaphysics, artificial intelligence Resumo: Este artigo tem como objetivo analisar o projeto Pós-humano (Posthumain), utópico para alguns, projeto de virtualização do homem já bem integrado para outros. Mais especificamente, ele rastreará as origens cibernéticas do Projeto Posthumain, ilus- trará a forma pela qual suas origens tiveram uma profunda incidência sobre seu declínio atual, bem como sobre os inúmeros desafios e problemáticas que suscita. Palavras-chave: Pós-humano,Cibernética, Ciberespaço, Cibercultura, Realidade virtual, Metafísica, Inteligência artificial. [1] Ph. D, Professeur, Directeur du département en création et nouveaux médias, Université du Québec en Abitibi-Témiscaminque. E-mail: david.paquin@uqat.ca 72 / nR.04 ; MULTIMED ; REVUE DU REsEAU TRAnsMEDITERRAnEEn DE REChERChE En COMMUnICATIOn [ INDICE / INDEX ] INTRODUCTION Le corps fascine. Le rapport que nous établissons avec notre corps transcende la notion d’«intimité». Au fil des siècles, le corps est l’illustration des mutations qui s’opèrent socialement. Dès l’Antiquité, les Grecs ainsi que les Romains font la démons- tration que le culte du corps est un moyen de penser le lien social et les systèmes politiques. Aphrodite et Vénus sont autant de divinités qui nous ramènent à la spéci- ficité corporelle de la nature humaine. Il est difficile d’en saisir toute l’essence, toute la magie, ou ce que George Bataille appelle, dans son ouvrage L’Érotisme (BATAILLE, 1957), l’«informe du corps». La volonté de dépasser les limites du corps, celle de créer le corps artificiel ou virtuel, hybridation de l’homme et de la machine, aussi prélude essentiel à la venue de l’ «ère posthumaine», est un vieux fantasme qui s’inscrit déjà dans la tradition gréco-latine avec le mythe de Galatée et la tradition judéo-chrétienne avec le Golem d’argile: Le rêve d’une vie artificielle que réalise à sa façon l’informatique moderne prend ses racines très tôt dans le mythe. Les mythes, comme encore celui de Galatée, sont à l’origine d’une véritable rêverie métaphysique sur la nature humaine proprement dite comme si l’artificiel permettait de pénétrer le naturel. (CHAZAL, 1989, p.194.) Aujourd’hui, après quelques siècles de désintéressement, les penseurs postmoder- nistes repositionnent le corps au centre de leurs préoccupations. Depuis sa réforme au cours du Siècle des lumières, l’humanisme se présente comme une philosophie qui propose d’améliorer la condition humaine grâce à la raison et à la logique appliquée. Le posthumanisme (ou transthumanisme) se présente, quant à lui, comme un prolongement de l’humanisme et un nouveau mouvement social qui désire améliorer plus fondamentalement la condition humaine en encourageant le développement des technologies de pointe et en prônant une plus grande accessibi- lité à celles-ci. Les posthumanistes revendiquent le droit moral pour tous ceux qui désirent se servir de la technologie en vue d’accroître leurs capacités physiques, intellectuelles et reproductives, diminuer leurs souffrances et moduler leur état psychologique. Bref, ils désirent s’épanouir en transcendant les limites de leur corps et de la biologie actuelle2. Ce nouveau modèle de réflexion sur l’avenir de l’humanité a été mis en place à l’initia- tive de certains chefs de file dans les domaines de l’informatique, de la réalité virtuelle, de la génomique, de l’intelligence artificielle, de la robotique, des nanotechnologies [2] La Déclaration Transhumaniste, disponible à http://www.transhumanism.org/index.php/WTA/more/148/. ARTIGOs / 73 [ INDICE / INDEX ] et à celle d’autres chercheurs à l’avant-garde des développements technologiques. Nombreux scientifiques remettent actuellement en cause la prémisse humaniste qui énonce que la nature humaine est et devrait rester essentiellement inaltérable. La posthumanité sonne le glas de la sélection naturelle darwinienne, l’homme se voit aujourd’hui confier de puissants outils qui lui permettront de reformuler le schème de son évolution. Cet article a pour objectif d’interroger le projet Posthumain, utopie pour certains, projet de virtualisation de l’homme déjà bien engagé pour d’autres. Il retracera plus spécifiquement les origines cybernétiques du projet Posthumain, il illustrera la façon dont ces origines eurent une profonde incidence sur sa déclinaison actuelle ainsi que sur les nombreux enjeux et problématiques qu’il soulève. 1. AU COMMENCEMENT ETAIT lA CYBERNETIQUE «Bientôt les êtres humains s’enfuiront hors du monde Alors s’établira le dialogue des machines. Et l’informationnel remplira, triomphant, Le cadavre vidé de la structure divine. Puis il fonctionnera jusqu’à la fin des temps.» (hOUELLEBECQ, 1999, p. 64) Le mot cybernétique provient du grec ancien kubernètikos, qui signifie «art de piloter un navire» ou «art de la timonerie». Platon a été le premier à utiliser le terme afin de désigner «l’art de gouverner les hommes» (PLATON, 1955, p. 64). Le physicien et fondateur de l’électrodynamique André-Marie Ampère (1775-1836) utilise pour la première fois le mot cybernétique en français au sens platonicien. Dans la deuxième partie de son Essai sur la philosophie des sciences, ou exposition analytique d’une classifi- cation de toutes les connaissances humaines (AMPERE,1938) , il propose la classification d’Ampère et utilise le terme cybernétique pour illustrer «les sciences du gouvernement des hommes», tout en insistant sur la question de la clarté du langage et en soutenant qu’une classification, ou plus spécifiquement l’ordre, ne peut exister sans une langue bien construite. La combinaison de la pensée mécaniste de René Descartes, de la logique moderne de Gottfried Leibniz et de la méthode empirique de Francis Bacon, aboutit dès le XVII siècle à une rationalité scientifique qui, associée à la religion et à la politique de l’époque, propulse une nouvelle utopie technologique intrinsèquement liée à la pro- 74 / nR.04 ; MULTIMED ; REVUE DU REsEAU TRAnsMEDITERRAnEEn DE REChERChE En COMMUnICATIOn [ INDICE / INDEX ] messe de la vie éternelle (Dinello, 2005, p. 9). C’est dans cette ère du nouveau ratio- nalisme qu’on assiste à une explosion des sciences. «Les sciences du progrès» et les premiers balbutiements en automatisation font de cette transition entre le «Siècle des lumières» et celui de l’industrialisation un cadre embryonnaire idéal d’où émergent quelques champs propres à la cybernétique. L’industrialisation, l’automatisation et même la robotisation font alors rêver de jours meilleurs. À l’initiative du mathématicien américain Norbert Wiener (1894-1964), les conférences et la fondation Macy sont créées et, de 1946 à 1953, un groupe interdisciplinaire de scientifiques y articulent leurs réflexions autour du thème Circular Causal and Feed- back Mechanisms in Biological and Social Systems, qui sera nommé après 1948 plus simplement Cybernetics. Dans le contexte de ces conférences, on clarifie le sens du terme cybernétique. Le texte fondateur de Norbert Wiener, Cybernetics: or Control and Communication in the Animal and the Machine, l’officialise comme nouveau paradigme de l’information (WIENER, 1948): […] dans cette conception, la réalité des objets et des phénomènes natu- rels est entièrement épuisée dans l’information qui les constitue et qui s’échange dans un courant permanent. Le nouveau paradigme est une pensée de la relation, qui enferme le réel dans le relationnel, et le rela- tionnel dans l’informationnel. (BRETOn, 2000, p. 37) Norbert Wiener est l’un des premiers à établir une corrélation entre le mode de fonc- tionnement du cerveau humain et celui de l’ordinateur. Auteur de Cybernetic en 1948 (WIENER, 1965), il prend l’initiative d’une réflexion sur le dialogue entre l’homme et la machine et formalise le paradigme informationnel qui sera au cœur même de toutes les notions d’« interactivité homme-machine» subséquentes. Le nouveau paradigme de la cybernétique (aussi nommé paradigme informationnel) rejette systématique- ment toutes les méthodes fonctionnelles des sciences classiques, celles fondées sur l’étude de la fonction des éléments qui composent un système. Selon Wiener, ces mé- thodes ne sont pas satisfaisantes puisqu’elles s’interrogent uniquement sur la fonc- tion interne des systèmes et non sur les réseaux d’échange de l’information entre les systèmes. Tout s’explique en termes de relation. L’approche de Wiener suppose qu’il n’y a rien derrière le réel. L’intériorité n’est qu’un mythe. Tout n’est qu’information; il n’existe aucune frontière entre naturel et artificiel, entre réel et virtuel. Tout n’est qu’in- formation ou entropie; les processus mentaux relevant du raisonnement et de l’intel- ligence ne sont que des supports pour développer la communication à des niveaux de complexité relatifs. Wiener ira même jusqu’à suggérer que le pouvoir que possède l’information de donner naissance à de puissants modèles et systèmes est par défi- nition analogue à ce que certaines personnes nomment Dieu (DAVIS, 1998, p. 105). Selon Philippe uploads/Philosophie/le-transumanisme.pdf

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