Revue Française de Pédagogie, Note de synthèse, 1995, n° 112, p. 85-118. Le con
Revue Française de Pédagogie, Note de synthèse, 1995, n° 112, p. 85-118. Le contrat didactique Bernard SARRAZY Université Victor Segalen Bordeaux 2 « L’élève reçoit une règle et des exemples, et le maître peut pour sa part dire qu’il veut dire quelque chose qui, bien que non énoncé, est transmis indirectement au moyen des exemples. Mais le maître lui aussi n’a que la règle et les exemples. [...] C’est une illusion de croire que l’on produirait la signification dans l’esprit de quelqu’un par des moyens indirects, à travers la règle et les exemples. » L. WITTGENSTEIN, Les Cours de Cambridge 1932-1935, 161. Contrairement à ce qu’elle pourrait laisser croire, cette déclaration de L. WITTGENSTEIN, ne constitue pas une introduction à un cours sur le contrat didactique. En effet, ce concept ne fut élaboré que quarante ans plus tard par G. BROUSSEAU. Et ce sont plutôt les trois concepts fondamentaux d’enseignement, d’apprentissage et de signification que WITTGENSTEIN interrogeait alors. Ces trois notions sont aujourd’hui au centre des préoccupations des didacticiens et sont, nous le verrons, constitutives du contrat didactique. Certains pourront considérer que nous présentons ici un essai d’épistémologie normative (au sens défini par I. STENGERS, 1987, 10) ; mais il convient surtout d’y voir une tentative d’organisation, diachronique et synchronique, des usages ou des significations attribués au concept de contrat didactique. Après avoir défini le contexte épistémologique dans lequel il émergea, nous tenterons de mettre en évidence à la fois son pouvoir explicatif et sa valeur heuristique, mais aussi les remaniements - inéluctables ? - liées à l’extension de son usage dans diverses communautés. A cet égard, il conviendra de distinguer les raisons internes et externes des adaptations qui en découlent. Naissent-elles de la nécessité d’améliorer les moyens d’intelligibilité du fonctionnement des situations didactiques, ou s’agit-il seulement d’adaptations techniques, non contrôlées par la théorie, au service de certaines idéologies pédagogiques ? Les visées praxéologiques ou les tentatives de vulgarisation procèdent, selon nous, de cette dernière démarche. Elles conduisent, le plus souvent, à canoniser des concepts théoriques dans des acceptions techniques ou injonctives sans jamais interroger, ou même évoquer, la légitimité de ces glissements sémantiques. Cet usage des productions de la didactique fondamentale1 permet de donner l’illusion de satisfaire, à bon compte, aux exigences socio-politiques d’optimisation des pratiques d’enseignement. Derrière ces dérives conceptuelles se profilent des conceptions normalisantes et technicistes de la didactique qui sont trop hâtivement assimilées à des productions de la didactique fondamentale et critiquées, à tort, comme telles (BARRA, BRAUNS, 1992 ; BOILLOT, LE DU, 1993). Cette utilisation idéologique de la didactique, à tout le moins de ses concepts, doit être soumise à un travail de recadrage épistémologique, comme nous y invite P. CLANCHÉ (1994, 231), ou de « dégraissage », pour reprendre ici l’expression de G. BROUSSEAU (1994, 63), « afin de favoriser la communication et le positionnement de ces concepts par rapport à des résultats de domaines voisins. [Ce travail] contribuera à réduire les malentendus avec les chercheurs. » (id.). C’est donc d’un point de vue et d’une échelle, nécessairement partiaux, que nous nous attacherons à présenter ici ce que nous pourrions appeler une « géographie conceptuelle » du contrat didactique. Cette tâche, certes ambitieuse, nous paraît d’autant plus nécessaire que la formation des professeurs semble aujourd’hui céder à une économie conceptuelle qui tendrait à s’affranchir, par ce réductionnisme techniciste, de la complexité inhérente à toute relation didactique. I. LES ORIGINES DU CONTRAT DIDACTIQUE A. Le contexte empirique Le concept de contrat didactique est introduit par G. BROUSSEAU en 1978 comme une cause possible de l’échec électif en mathématiques (« Il s’agit d’enfants qui ont des déficits d’acquisitions, des difficultés d’apprentissage ou un manque de goût prononcés dans le domaine des mathématiques mais qui réussissent convenablement dans les autres disciplines », IREM Bordeaux, 1978, 172). Puis en 1981 G. BROUSSEAU et J. PERES rapporteront leurs observations de l’étude d’un cas, devenu célèbre dans le champ de la didactique des mathématiques : le cas Gaël. Résumons rapidement le contexte de cette observation. B. Sarrazy, « Le contrat didactique », Revue Française de Pédagogie, n° 112, 1995, Page 2 sur 23 Gaël est un élève de huit ans et demi, il redouble son cours élémentaire première année. Dès la première séance, les chercheurs constatent son incapacité à s’engager dans un processus où la connaissance serait le produit d’une construction issue de l’interaction avec le milieu didactique. Pour Gaël, la connaissance n’a pas d’autre sens que celle d’une « activité ritualisée où l’on répète des modèles ». Ce comportement se manifeste, entre autres, par l’évocation de l’autorité pédagogique de la maîtresse : « Ce qu’on m’a appris », « ce que la maîtresse dit qu’il faut faire»..., répond-il aux demandes d’explication de ces actions. Dès lors, le but des séances suivantes consiste à provoquer chez Gaël une rupture dans sa conception d’une situation didactique. Progressivement, il entre dans le jeu et parvient à modifier son rapport à la situation en acceptant de s’engager dans le problème qui lui est dévolu. (Il s’agit d’évaluer le nombre d’objet restant dans un sac, connaissant le nombre total d’objets, et le nombre d’objets retirés du sac). Cet engagement se manifeste par des anticipations, des paris avec l’intervenant et des vérifications de ses prévisions par la méthode de la fausse position2. Il tente de maîtriser l’incertitude des situations proposées sans se « réfugier » derrière des algorithmes ou des procédures qu’il conviendrait d’appliquer, comme il le faisait auparavant, mais en adaptant ses connaissances aux contraintes de la situation a-didactique. C’est dans ce contexte interactif, caractéristique de la situation didactique et défini sur la base de trois éléments — le maître, l’élève et la connaissance — que G. BROUSSEAU définira le contrat didactique comme étant « l’ensemble des comportements (spécifiques [des connaissances enseignées]) du maître qui sont attendus de l’élève et l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus du maître. » (1980a, 127) B. Le contexte épistémologique Que le concept de contrat didactique soit apparu à propos d’une recherche portant sur les échecs électifs ne relève pas d’une simple coïncidence. Replacé dans la mouvance des recherches en sociologie de l’éducation de cette période, le contrat didactique marque à la fois l’affirmation de la spécificité et la pertinence de la didactique naissante ainsi qu’une rupture vis-à-vis des modèles explicatifs dominants en sociologie de l’éducation. 1. Le contrat didactique comme la marque d’une positivité L’expression « didactique des mathématiques » apparaît en France aux environs de 1974 (3). Ce nouveau champ théorique repose sur une orientation fondamentale : l’étude des phénomènes d’enseignement/ apprentissage spécifiques aux mathématiques dans le cadre des situations scolaires. Cette volonté de recentrage sur la situation et le savoir se manifeste par les recherches sur l’échec électif (BROUSSEAU, 1980a, 1980b). D’une part, ce n’est pas l’échec global, indifférencié, que l’auteur se propose d’étudier mais l’échec spécifique aux mathématiques ; d’autre part, les causes invoquées ne sont pas identifiées comme extérieures au processus d’enseignement mais bien constitutives de celui-ci : « [Elles sont] alors à chercher dans le rapport de l’élève au savoir et aux situations didactiques et non dans ses aptitudes ou dans ses caractéristiques permanentes générales. » (id., 1980a, 128). Ainsi, en application du principe du Rasoir d’Ockham, le contrat didactique permet à G. BROUSSEAU, dès 1978, de recadrer les hypothèses « psychologisantes » de F. PLUVINAGE à l’égard des phénomènes de sous-compréhension dans une conception endogène de la didactique (ce fut d’ailleurs la première utilisation publique de ce concept : Cf. BROUSSEAU, 1989a, 58). En conséquence, le contrat didactique contribue à légitimer le projet scientifique de la didactique par sa portée explicative mais aussi son projet social, puisque, contrairement aux hypothèses alors en présence (pathologisation, médicalisation4, mise en cause de l’institution...), cette voie laisse entrevoir des modalités d’actions possibles par « la remise en cause du contrat lui- même » (1980 a, 129). Les recherches antérieures sur le statut et le rôle des erreurs dans le processus didactique (SALIN, 1976) et sur les décisions des maîtres relatives à l’ordre de présentation des notions enseignées (les dépendances didactiques) (VINRICH, 1976) contribuent à préciser les composantes du contrat et à étayer la pertinence de l’hypothèse de son rôle dans le dysfonctionnement du processus d’enseignement. 2. Le contrat didactique : ruptures et influences Comment peut-on expliquer le passage d’une centration soit sur les facteurs exogènes (la perspective environnementale) soit sur les difficultés instrumentales de l’élève, à cette perspective interactionniste qu’introduit le contrat didactique ? La première raison que nous invoquerons sera d’ordre épistémologique. La conception didactique sous-jacente au concept de contrat marque une rupture à l’égard du courant structuraliste et participe au mouvement de sa déconstruction dans le champ didactique. Mais aussi ce renversement de perspective peut s’expliquer par l’influence de deux courants qui émergent en France à la fin des années soixante-dix : l’interactionnisme et la sociologie des organisations. Sans pour autant s’expliquer entièrement par l’un ou l’autre de ces deux courants, nous pensons que le concept de contrat didactique procède du mouvement noologique de cette période qui préfigure un retour sur le uploads/Philosophie/ contrat-didactique 1 .pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 06, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1622MB