Page 1 sur 14 2ème Année Master SDL LA PRAGMATIQUE UN CHAMP DE RENCONTRES THÉOR
Page 1 sur 14 2ème Année Master SDL LA PRAGMATIQUE UN CHAMP DE RENCONTRES THÉORIQUES MULTIPLES 1. Qu’est-ce que la pragmatique ? Pragmatique est un terme ambigu. En français, il a couramment le sens « concret, adapté à la réalité ». En anglais, langue de la plupart des textes fondateurs de la pragmatique, pragmatic a couramment le sens « qui a rapport aux actes et effets réels ». Du coup, le champ ouvert par une discipline scientifique qui s'intitule ainsi apparaît immense. On la perçoit en général comme une entité floue, fourre-tout récent où vont se caser soit les travaux marginaux qui n'appartiennent pas clairement aux disciplines institutionnelles que sont la linguistique, la sociologie, l'anthropologie, la psychologie sociale, la sémiologie, etc., soit les problèmes que ces disciplines évacuent ou ne par- viennent pas à traiter de façon satisfaisante. Parmi les théoriciens principaux et représentatifs de la pragmatique, deux sont philosophes (Austin et Searle), un sociologue (Goffman), un ethnosociolinguiste (Gumperz). À cela s'ajoute une « école » d'orientation essentiellement psychologique, celle de Palo Alto. Il n'est pas surprenant qu'on perçoive mal l'unité, les méthodes et les objectifs de la pragmatique. Voire qu'on les conteste : ils mettent en question des courants scientifiques dominants, jusque dans leurs fondements théoriques et méthodologiques, jusque dans l'identité de leur statut disciplinaire, On s'interroge sur l'existence d'une pragmatique, au singulier, pour lui préférer un pluriel plutôt péjoratif : des pragmatiques. À la rigueur, c'est dans le champ philosophique, lui aussi très ouvert, que la pragmatique est habituellement plutôt située. En général, la pragmatique est grosso modo définie comme : 1) « Un ensemble de recherches logico-linguistiques [...] l'étude de l'usage du langage, qui traite de l'adaptation des expressions symboliques aux contextes référentiel, situationnel, actionnel, et interpersonnel. » (Encyclopedia Universalis) ; 2) « L’étude de l'utilisation du langage dans le discours et des marques spécifiques qui, dans la langue, attestent de sa vocation discursive. » (A-M. Diller et F. Récanati) ; 3) « L’étude du langage comme phénomène à la fois discursif, communicatif et social. » (F. Jacques). 4) « La pragmatique est cette sous-discipline linguistique qui s'occupe plus particulièrement de l'emploi du langage dans la communication. » (L. Sfez). 5) « La pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usagers des signes. » (C.W. Morris). 6) La pragmatique concerne aussi la « dépendance essentielle de la communication, dans le langage naturel, du locuteur et de l’auditeur, du contexte linguistique et du contexte extralinguistique, de la disponibilité de la connaissance de fond, de la rapidité à obtenir cette connaissance de fond et de la bonne volonté des participants à l’acte communicatif. » (Y. Barr-Hillel). Pourtant, ce « principe de réalité agissante » qui est au cœur de la pragmatique constitue un mode d'approche des phénomènes à la fois original et fédérateur en sciences de l'homme. C'est lui qui définit la pragmatique comme une analyse des faits observés dans leurs relations avec leurs contextes réels d'existence. C'est surtout un Page 2 sur 14 2ème Année Master SDL principe scientifique, et, s'il tend à la constitution d'un champ et d'un objet privilégiés (la communication — car, chez l'homme, tout est communication) réunissant les marges des disciplines plus classiques, il ne s'y limite pas. On ne peut par conséquent pas envisager la pragmatique comme une discipline au sens institutionnel du terme. Ce principe théorique, épistémologique, est le fil conducteur qui permettra dans un premier temps de suivre la maturation de la pragmatique, transversalement, dans les diverses disciplines d'où elle a émergé, où elle a été travaillée de façon privilégiée. 2. Origines philosophiques de la pragmatique Austin et son disciple Searle fondèrent le noyau de la pragmatique, dans le champ de la philosophie du langage « ordinaire », en élaborant du point du point de vue de la logique analytique le concept d'acte de langage. Austin (1911-1960) était professeur de philosophie à Oxford, Searle (né en 1932) enseigne à Berkeley (Californie). Que des philosophes se penchent sur les effets concrets du discours n'était pas nouveau dans les années 1960, où Austin, le premier, inaugura une théorie des actes de langage. La philosophie s'occupait de langage depuis... l'Antiquité. Les anciens rhétoriciens étaient déjà des pragmaticiens. Ils réfléchissaient aux liens existant entre le langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur l'auditoire. Ils élaborèrent, depuis Platon et Aristote jusqu'à Sénèque, Cicéron et Quintilien, un modèle classique de la rhétorique fondé sur la connaissance des passions et des mœurs. Aristote distinguait le discours « dialectique », qui s'adresse à un homme abstrait, réduit à l'état de sujet partageant le code linguistique de l'interlocuteur, et le discours « rhétorique », qui s'adresse à l'homme réel, doué de la faculté de jugement, de passions et d'habitudes culturelles. Il classait les discours rhétoriques en trois genres, selon le critère de la relation du discours au récepteur, et non selon son contenu : genre « judiciaire », portant jugement sur des actes passés, genre « épidictique », blâmant ou louant des faits présents, genre « délibératif », engageant des décisions pour l'avenir. On reconnaît là les actes de langage majeurs sur lesquels travailleront Austin et Searle. La classification des types de discours que proposera C.W.C. Morris, l'un des fondateurs de la sémiotique, et référence essentielle des pragmaticiens, sera un perfectionnement de la classification d'Aristote. Ce qui distingue à ce propos Aristote de Platon, c'est que ce dernier faisait de la rhétorique un élément de réflexion éthique à portée universelle, tandis qu'Aristote en faisait un outil pratique de manipulation par le discours. Pour Aristote, l'une des tâches essentielles de la rhétorique consiste à dresser l'inventaire des topoi (« lieux »), c'est-à-dire des points de vue, des topiques, par lesquels un sujet peut être traité. Il constitue une classification mnémotechnique des entrées éventuelles dans un problème (par exemple : le possible et l’impossible, la nature et les actes, le général et le particulier, etc.). Cela permet d'anticiper les objections, doutes, résistances, que le discours suscitera, et de les vaincre sans se contredire. Page 3 sur 14 2ème Année Master SDL Pour convaincre, Aristote préconise une méthode « dialectique » qui établit les prin- cipes d'une pensée dialoguée. Un bon rhétoriqueur (on dirait aujourd'hui un « communicateur efficace » doit savoir tenir compte de la présence critique de l'interlocuteur, même sous un monologue apparent. D'où cette notion de dialogue qui est si prégnante dans la pragmatique moderne. Aristote affine son analyse en proposant une classification des propositions selon les degrés de prédication, du point de vue d'une logique sémantique (par exemple, une proposition est une « définition » si le prédicat peut être échangé contre le sujet, et réciproquement). Ce type d'analyse est présent dans la plupart des travaux de philosophie du langage jusqu'à nos jours. Enfin, Aristote appuie sa technique rhétorique sur la démarche du « syllogisme », procédé formel qui établit une relation cause/conséquence incontestable entre des « prémisses » et une « conclusion ». On ne peut contester l'affirmation que par le refus des prémisses. L'exemple classique en est : Tout homme est mortel (Or) Socrate est un homme (Donc) Socrate est mortel Il faut bien sûr une hiérarchie logico-sémantique rigoureuse des éléments du syllogisme. Ici, « mortel » est le « majeur », « Socrate » le « mineur », et « homme » le « moyen terme ». Toute erreur de hiérarchie entraîne la nullité du syllogisme (exemple : « Tous les chats sont mortels, Socrate est mortel, [donc] Socrate est un chat »). Le syllogisme dans l'absolu semble gratuit, puisque la conclusion est, de façon circulaire, une condition de vérité des prémisses (si Socrate était immortel, on ne pourrait plus affirmer que tout homme l'est, sauf à admettre qu'il n'est pas un homme !). Mais il présente l'intérêt de passer du général au particulier et d'identifier l'élément médiateur de ce passage, qui, malgré le désir d'Aristote de parvenir à un « idéal déductif », s'impose en fait par l'expérience, de manière inductive. Le modèle classique, notamment aristotélicien, de la rhétorique, comme de la logique, a dominé la pensée occidentale jusqu'au 19ème siècle, et continue à y jouer un rôle de premier plan aujourd'hui. On en trouve de nombreuses illustrations dans l'approche du langage, de la langue et des textes inculquée par l'école, que ce soit par la « dissertation » ou, de façon plus profonde, par une logique du tiers exclu, un modèle déductif dominant, un idéalisme universaliste et perfectionniste, des procédés formels hyper-normatifs, etc. La rhétorique d'Aristote constituera également l'un des fondements historico-théoriques de la critique littéraire dite « formaliste », qui considérera que l'art est le résultat de la mise en œuvre rigoureuse de procédés formels, et qui évoluera vers la poétique structuraliste d'un Jakobson (Roman). Après Austin et Searle, la pragmatique induira un retour à l’analyse de l'argumentation, notamment chez des linguistes français, comme O. Ducrot ou C. Kerbrat-Orecchioni. D'autres philosophes, au-delà des rhétoriciens, ont contribué à cette réflexion philosophique sur le langage. Kant, s'appuyant sur le syllogisme aristotélicien, a uploads/Philosophie/ cours-n001.pdf
Documents similaires
-
13
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 08, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2175MB