Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de
Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de l’art – « Art et histoire » (Daniel Payot) – octobre-novembre 2020 Page 1 sur 5 Envoi n° 4/10 [lundi 26 octobre 2020] Hegel 1/1 Hegel, Leçons sur l'esthétique (1818-1829), traduction Samuel Jankélévitch, Introduction, Champs Flammarion, premier volume, 1979, p. 29-31 : §1 « L'art, dit-on, est le règne de l'apparence, de l'illusion, et ce que nous appelons beau pourrait tout aussi bien être qualifié d'apparent et d'illusoire. Or, des buts véritables, dignes d'être poursuivis, ne sauraient être réalisés par l'apparence et l'illusion ; aux fins vraies et sérieuses doivent correspondre des moyens fondés également sur le vrai et le sérieux. Le moyen doit être en rapport avec la dignité de la fin, et les vrais intérêts de l'esprit ne peuvent être considérés par la science qu'en tenant compte de ce qu'ils ont de vrai, aussi bien par rapport à la réalité extérieure que dans la représentation humaine. §2 Rien de plus exact : l'art crée des apparences et vit d'apparences et, si l'on considère l'apparence comme quelque chose qui ne doit pas être, on peut dire que l'art n'a qu'une existence illusoire, et ses créations ne sont que de pures illusions. §3 Mais, au fond, qu'est-ce que l'apparence ? Quels sont ses rapports avec l'essence ? N'oublions pas que toute essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître. Le divin doit être un, avoir une existence qui diffère de ce que nous appelons apparence. Mais l'apparence elle-même est loin d'être quelque chose d'inessentiel, elle constitue, au contraire, un moment essentiel de l'essence. Le vrai existe pour lui-même dans l'esprit, apparaît en lui-même et est là pour les autres. Il peut donc y avoir plusieurs sortes d'apparence ; la différence porte sur le contenu de ce qui apparaît. Si donc l'art est une apparence, il a une apparence qui lui est propre, mais non une apparence tout court. §4 Cette apparence, propre à l'art, peut, avons-nous dit, être considérée comme trompeuse, en comparaison du monde extérieur, tel que nous le voyons de notre point de vue utilitaire, ou en comparaison de notre monde sensible et interne. Nous n'appelons pas illusoires les objets du monde extérieur, ni ce qui réside dans notre monde interne, dans notre conscience. Rien ne nous empêche de dire que, comparée à cette réalité, l'apparence de l'art est illusoire ; mais l'on peut dire avec autant de raison que ce que nous appelons réalité est une illusion plus forte, une apparence plus trompeuse que l'apparence de l'art. Nous appelons réalité et considérons comme telle, dans la vie empirique et dans celle de nos sensations, l'ensemble des objets extérieurs et les sensations qu'ils nous procurent. Et, cependant, tout cet ensemble d'objets et de sensations n'est pas un monde de vérité, mais un monde d'illusions. Nous savons que la réalité vraie existe au- delà de la sensation immédiate et des objets que nous percevons directement. C'est donc bien plutôt au monde extérieur qu’à l'apparence de l'art que s'applique le qualificatif d'illusoire. §5 N'est vraiment réel, en effet, que ce qui existe en soi et pour soi, ce qui forme la substance de la nature et de l'esprit, ce qui, tout en existant dans le temps et l'espace, n'en continue pas moins d'exister en soi et pour soi d'une existence vraie et réelle. C'est l'art qui nous ouvre des aperçus sur les manifestations de ces puissances universelles, qui nous les rend apparentes et sensibles. L'essentialité se manifeste également dans les mondes extérieur et intérieur, tels que nous les révèle notre expérience de tous les jours, mais elle le fait sous une forme chaotique de hasards et d'accidents, elle apparaît déformée par l'immédiateté de l'élément sensible, par l'arbitraire des situations, des événements, des caractères, etc. L'art creuse un abîme entre l'apparence et illusion de ce monde mauvais et périssable, d'une part, et le contenu vrai des événements, de l'autre, pour revêtir ces événements et phénomènes d'une réalité plus haute, née de l'esprit. C'est ainsi, encore une fois, que loin d'être, par rapport à la réalité courante, de simples apparences et illusions, les manifestations de l'art possèdent une réalité plus haute et une existence plus vraie. §6 Il est vrai que, comparé à la pensée, l'art peut bien être considéré comme ayant une existence faite d'apparences, en tout cas comme étant, par sa forme, inférieur à celle de la pensée. Mais il présente sur la réalité extérieure la même supériorité que la pensée : ce que nous recherchons dans l'art, comme dans la pensée, c'est la vérité. Dans son apparence même, l'art nous fait entrevoir quelque chose qui dépasse l'apparence : la pensée ; alors que le monde sensible et direct, loin d'être la révélation implicite d'une pensée, dissimule la pensée sous un amas Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de l’art – « Art et histoire » (Daniel Payot) – octobre-novembre 2020 Page 2 sur 5 d'impuretés, pour se mettre lui-même en relief, pour faire croire que lui seul représente le réel et le vrai. Il s'ingénie à rendre inaccessible le dedans en l'enfouissant sous le dehors, c'est-à-dire sous la forme. L'art, au contraire, dans toutes ces représentations, nous met en présence d'un principe supérieur. Dans ce que nous appelons nature, monde extérieur, l'esprit a beaucoup de mal à se retrouver et à se reconnaître. §7 Il résulte de toutes ces remarques sur la nature du beau que, si l'art peut être traité d'apparence, son apparence est de nature toute particulière. Il est apparent à sa manière qui n'a rien de commun avec la signification que nous attachons à l'apparence en général. » 1– Quelle est selon vous l’idée principale de cet extrait ? 2– Quels différents sens donnez-vous au mot « apparence » ? Lesquels reconnaissez-vous dans le texte de Hegel ? Commentaire indicatif. Les cours de Hegel donnés à Heidelberg puis à Berlin entre 1818 et 1829 étaient en réalité des présentations de son Système. Hegel avait déjà publié La Phénoménologie de l’Esprit en 1807, puis La Science de la logique ou Grande Logique en 1812-1816, enfin l’Encyclopédie des sciences philosophiques en 1817. Dans ces cours, Hegel commençait l’exposition de son système par des considérations touchant aux arts. Ce faisant, il ressentait d’emblée le besoin d’écarter une possible objection, dont notre extrait se fait l’écho et à laquelle il répond. Comment un savoir (une science) philosophique pourrait-il s’établir sur un socle constitué par l’art, alors que celui-ci n’est qu’apparence ? Si l’on vise la vérité, l’essence, l’absolu, ne faut-il pas au contraire commencer par écarter tout ce qui y fait entrave, toutes les erreurs ou illusions qui font écran à leur découverte ? Les deux premiers paragraphes de l’extrait présentent cette objection, qui ne surprendra pas les lecteurs de la République de Platon, dont on sait qu’à plusieurs reprises (livres II, III, VI, X) elle fonde sa critique des poètes et des peintres sur une opposition tranchée entre vérité et illusion. Un unique rappel suffira, extrait de République X, 598b : « - Examine dès lors ce point précis : en vue de laquelle de ces deux fins la peinture a-t-elle été faite dans chaque cas ? est-ce en vue d’imiter le réel tel qu’il est, ou bien d’imiter l’apparent tel qu’il apparaît ? en tant qu’imitation d’une apparence, ou bien d’une vérité ? - D’une apparence, dit-il. - C’est donc, je pense, que l’art d’imiter est loin du vrai, et que la raison pour laquelle, à ce qu’il semble, il réalise toutes choses, est que de chacune il atteint une mince portion, je veux dire son simulacre. » Le deuxième paragraphe de l’extrait introduit cependant une nuance qui par la suite se révélera décisive dans le retournement que Hegel opérera vers sa propre pensée. Le paragraphe commence par une concession : « Rien de plus exact : l'art crée des apparences et vit d'apparences ». Mais il ajoute : « si l'on considère l'apparence comme quelque chose qui ne doit pas être, on peut dire que l'art n'a qu'une existence illusoire, et ses créations ne sont que de pures illusions. » Le geste philosophique ainsi accompli est à décomposer ainsi : Hegel reprend à son compte le concept d’apparence, il paraît ainsi souscrire formellement aux présupposés philosophiques qui lient étroitement les sorts de l’art et de l’apparence. Mais il se réserve la possibilité de ne pas souscrire au jugement sur le fond auquel conduisent ces présupposés. Il est d’accord pour dire : l’art est une affaire d’apparence ; il n’est pas d’accord avec la suite du syllogisme platonicien : 1) L’art est apparence ; 2) or l’apparence est ce qui ne doit pas être (parce qu’elle s’oppose à la vérité), donc 3) l’art n’entretient aucun rapport avec la vérité, il n’est qu’illusion. On voit que tout se joue dans le sens que l’on donne au concept même d’apparence. S’il est accepté par Hegel, c’est sans doute parce que celui-ci le pense dans une autre acception que ne le faisait le uploads/Philosophie/ envoi-4 1 .pdf
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- Publié le Mar 05, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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