ADORNO ENFIN LU ? Daniel Payot Éditions de Minuit | « Critique » 2019/12 n° 871

ADORNO ENFIN LU ? Daniel Payot Éditions de Minuit | « Critique » 2019/12 n° 871 | pages 1045 à 1055 ISSN 0011-1600 ISBN 9782707346094 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-critique-2019-12-page-1045.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de Minuit. © Éditions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Adorno sous la direc­ tion de Michèle Cohen-Halimi. N° 154, 3e trimestre 2018, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2018, 125 p. } Miguel Abensour, Michèle Cohen-Halimi, Katia Genel, Anne Kupiec, Gilles Moutot et Géraldine Muhlmann Prismes.Théorie critique N° 1, Paris, Sens & Tonka, 2018, 287 p. } } Wilfried Laforge et Jacinto Lageira (éd.) À la frontière des arts Lectures contemporaines de l’esthétique adornienne Sesto San Giovanni, Éditions Mimésis, 2018, 213 p. } Christophe David et Florent Perrier (éd.) Où en sommes-nous avec la Théorie esthétique d’Adorno ? Rennes, éditions Pontcerq, 2018, 509 p. } Ludvic Moquin-Beaudry Cinéma critique Adorno, de Francfort à Hollywood Montréal, Nota Bene, 2017, 208 p. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit CRITIQUE 1046 À quelques précieuses exceptions près et malgré un tra­ vail de traduction et d’édition remarquable – dont Miguel ­ Abensour fut un contributeur constant et avisé 1 –, la qualité de la réception francophone d’Adorno a longtemps fait problème. Des préjugés tenaces – écriture d’une insurmontable difficulté, vice initial d’une critique de la raison ruinant la rationalité de la critique, absence d’articulation entre théorie et pratique politique, ancrage trop marxiste pour certains et pas assez pour d’autres – condamnèrent l’œuvre à l’invisibilité ou à des contresens flagrants. La « pensée 68 » est passée à côté ; les nombreuses et stimulantes lectures de Walter Benjamin l’ont parfois reléguée dans un arrière-plan nébuleux entretenant l’image déformée d’une pensée magistrale et péremptoire. Même la critique de l’« industrie culturelle » menée dès les années 1940 par Horkheimer et Adorno, critique que ce der­ nier a ensuite inlassablement affinée et diversifiée, est souvent ignorée de ceux qui, depuis les années 1960 et jusqu’à nos jours, s’emploient à dénoncer les effets du capitalisme consu­ mériste et de la marchandisation totale. Certes, les écrits d’Adorno sont cités dans des études por­ tant sur la musique du xxe siècle et plus généralement sur l’es­ thétique de la modernité, qui pour beaucoup furent des voies d’accès à sa pensée dialectique. Mais précisément parce qu’elle est dialectique, cette pensée ne se laisse enfermer dans aucun domaine exclusif : pour elle, la question de l’art ne constitue pas un territoire séparé, elle est indissociable de positions phi­ losophiques, sociologiques, politiques ; de la même façon, on ne saurait mesurer les enjeux du texte qu’Adorno consacra en 1964 à Hölderlin 2 en le confinant dans le seul domaine de la poétique, sans y noter une critique radicale de l’ontologie fonda­ mentale de Heidegger et sans intégrer le fait que pour l’auteur, des considérations apparemment « formelles » (la parataxe, la césure) témoignent d’implications philosophiques, de concep­ tions déterminées de l’histoire et de partis pris politiques précis. 1. Nombre de textes majeurs d’Adorno ont été traduits dans la col­ lection « Critique de la politique » fondée par Miguel Abensour en 1974 aux éditions Payot, puis passée en 2016 chez Klincksieck. Cette collec­ tion est aujourd’hui dirigée par Michèle Cohen-Halimi. 2. T. W . Adorno, « Parataxe », Notes sur la littérature, trad. S. ­ Muller, Paris, Flammarion, 1984, p. 307-350. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit 1047 Fort heureusement, une conjonction significative d’études récentes s’emploie à rendre justice à l’œuvre prolifique et iné­ puisablement suggestive d’Adorno. Cinquante ans après sa mort, ces publications manifestent une réelle intention de la soumettre à de véritables lectures. Elles acceptent d’entrer dans les dynamiques d’une pensée qui refuse de se laisser réduire à des énoncés assertoriques univoques, qui se conçoit et se pratique comme mouvement incessant, qui se méfie de ses propres propensions à ériger en absolus tout ce qu’elle tient pour vrai. Ces lectures montrent qu’Adorno a conçu et mis en œuvre une modalité nouvelle, intransigeante et indé­ niablement productive de la dialectique, modalité non réduc­ tible à celles de Hegel et de Marx et susceptible de répondre aujourd’hui encore aux besoins qui sont les nôtres d’analyse, de compréhension et de savoir. Compréhension Quelles que soient leurs thématiques particulières, elles rencontrent en effet, au cœur de leur développement, les spé­ cificités d’une conception de la dialectique qu’Adorno quali­ fia de « négative ». L ’ adjectif ne désigne aucune complaisance destructrice : s’y confronter revient au contraire à montrer que la pensée produit des significations d’autant plus déter­ minées qu’elle s’efforce, comme l’écrivait Adorno lui-même, de « surmonter par le concept le concept, ce qui élabore et ampute, et d’arriver par là à atteindre au non-conceptuel 3 ». Car les concepts, outils de la pensée déterminante, « signi­ fient au-delà d’eux-mêmes » : il « appartient à leur sens qu’ils ne se satisfassent pas de leur propre conceptualité 4 ». Les laisser agir selon leurs potentialités propres, c’est donc se garder de les enfermer dans une identité abstraite, dans une autarcie stérile. Leur « désensorcellement » n’est pas une fin en soi, mais la condition d’une reconnaissance de leur efficacité : « Seuls des concepts peuvent accomplir ce que le concept empêche », écrivait encore Adorno, car seuls ils 3. T. W . Adorno, Dialectique négative, trad. par le groupe de tra­ duction du Collège de philosophie, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 1992, p. 16. 4. Ibid., p. 18. A D O R N O E N F I N L U ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 193.55.96.20 - 21/01/2020 17:11 - © Éditions de Minuit CRITIQUE 1048 peuvent dégager dans les « objets sclérosés […] la possibi­ lité dont leur réalité les a spoliés, possibilité qui pourtant se montre en chacun d’eux 5 ». Pour se convaincre de la fertilité de telles dispositions, on se reportera d’abord aux deux numéros parus de la ­ publication annuelle dont Miguel Abensour avait pris l’initia­ tive et à laquelle il a donné le titre très adornien de Prismes. Théorie critique. Dans la première livraison (2018), un dos­ sier intitulé « La Théorie critique et la question politique » et plusieurs contributions concernant les relations entre raison et nature (Miguel Abensour), le concept d’émancipa­ tion (Katia Genel) ou la sociologie et l’épistémologie sociale (Gilles ­ Moutot), s’attachent à montrer la dialectique néga­ tive à l’œuvre, à l’analyser dans son fonctionnement même. Dans la seconde livraison (2019), un texte de Sylwia D. ­ Chrostowska examine les conceptions de l’utopie chez des chercheuses et chercheurs (nord-américains) de la troisième et quatrième génération de la Théorie critique (celles qui succèdent à ­ Jürgen Habermas et Axel Honneth) et opère, pour conclure, un retour à l’œuvre d’Adorno lui-même, qui déjà selon l’auteure posait les linéaments les plus pertinents d’une compréhension de la composante utopique de la pen­ sée, composante qu’elle associe à un concept renouvelé du jeu. Ce texte complète celui qu’elle a publié dans le numéro 154 des Cahiers philosophiques : intitulé « Adorno et l’utopie, retour et détour », il suit le cours singulier de la construction adornienne de la notion d’utopie, élément majeur d’une pen­ sée qui cependant, pour des raisons intrinsèquement liées au projet même de la dialectique négative, uploads/Philosophie/ criti-871-1045.pdf

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