DE LA TRANSMISSION DES SAVOIRS À LA FORMATION DES COMPÉTENCES : UNE HYPOTHÈSE S

DE LA TRANSMISSION DES SAVOIRS À LA FORMATION DES COMPÉTENCES : UNE HYPOTHÈSE SUR L'ÉCOLE ET SON BESOIN ACTUEL DE MUTATION Jean-François Nordmann Collège international de Philosophie | Rue Descartes 2012/1 - n° 73 pages 66 à 87 ISSN 1144-0821 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2012-1-page-66.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Nordmann Jean-François, « De la transmission des savoirs à la formation des compétences : une hypothèse sur l'École et son besoin actuel de mutation », Rue Descartes, 2012/1 n° 73, p. 66-87. DOI : 10.3917/rdes.073.0066 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie JEAN-FRANÇOIS NORDMANN De la transmission des savoirs à la formation des compétences : une hypothèse sur l’École et son besoin actuel de mutation Beaucoup oscillent sans doute, quand il s’agit d’interroger ce qui est en train d’advenir avec l’adoption, la généralisation et l’institutionnalisation progressives dans l’École du régime des compétences et de la formation des compétences, entre deux interprétations. La première considère que cette transformation à laquelle nous sommes en train d’assister depuis une vingtaine ou une trentaine d’années à l’échelle internationale (et qui est sans doute encore loin d’avoir déployé à ce jour toutes ses implications et conséquences) est l’effet plus ou moins direct du développement du capitalisme – ou du « néo-capitalisme » – et de ses nouveaux modes de gestion et de traitement d’une « ressource humaine » qui a désormais à s’auto-produire comme « portefeuille » ou « capital » de capacités et à prouver son ajustabilité à des impératifs toujours plus forts de rentabilité, de flexibilité, de compétitivité, etc. L’autre voit au contraire dans cette transformation l’effet d’une attention nouvelle qui est donnée – et désormais même requise et prescrite – par l’institution scolaire au détail précis des processus d’apprentissage dans leur complexité et leur dynamique, ce qui vient ouvrir la voie à une mise 66 | Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie CORPUS en œuvre didactique et pédagogique bien plus fine et personnalisée, et par suite aussi bien plus efficace et plus juste, et rendue en tout état de cause nécessaire par les nouvelles exigences liées à un « socle commun » dont il s’agit désormais de garantir effectivement l’acquisition pour chaque élève à la fin de sa scolarité obligatoire. Tout en reconnaissant la pertinence possible de ces deux interprétations (aussi opposées soient-elles, y compris dans les attitudes de rejet et de résistance ou d’adhésion et de soutien qu’elles peuvent susciter par rapport à la transformation en cours), on pourrait se demander si ce passage au nouveau régime des compétences ne peut pas s’interpréter également, à un autre niveau, comme une réponse – ou une tentative de réponse – à une mise en question profonde, venue à la fois de l’intérieur de l’École et de l’ensemble de la société, portant sur le sens et la valeur mêmes des savoirs enseignés ainsi que sur les modalités de leur enseignement. L’instauration du nouveau régime ne découlerait donc pas de quelque événement extérieur (tel qu’une transformation des modes de production économique) ni de quelque développement ou progrès interne (tel que l’émergence de nouvelles exigences scolaires et de nouvelles pratiques enseignantes), mais résulterait d’une tentative – peut-être cruciale, vitale – de l’École pour répondre à une nouvelle demande et une nouvelle compréhension collectives de l’École et de son « sens » et de ses « finalités », imposant de rompre décisivement avec le régime traditionnel de la « transmission des savoirs ». Une telle interprétation (que nous développerons dans les pages qui suivent) n’est pas ainsi d’ordre socio-économique ni didactico-pédagogique : elle relève bien plutôt d’un niveau « sociétal », voire « sociétal-civilisationnel ». La mise en question du régime de la transmission des savoirs Il faut revenir spécifiquement, dans un premier temps, sur cette mise en question profonde qui aurait lieu aujourd’hui et atteindrait le régime très caractéristique – et très singulier à la réflexion – de la « transmission des savoirs » tel qu’il sous-tend et structure notre École. C’est d’abord l’idée même de la transmission qui, malgré son caractère à première vue très élémentaire, évident et consensuel, nous semble avoir subi un ébranlement décisif. Et, de fait, concevoir une transmission, geste générateur et constitutif de tradition, c’est poser fondamentalement qu’il y a quelque chose de précieux, qui non seulement vient de loin, mais est comme adressé de loin, dont il s’agit donc d’hériter en se l’appropriant pour soi, pour son | 67 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie JEAN-FRANÇOIS NORDMANN propre bénéfice, mais toujours aussi indissociablement en ayant à en prendre soin, à le conserver, à l’entretenir, voire si possible à l’augmenter et à le développer afin de pouvoir le léguer à son tour à ceux qui suivront – et le léguer avec son sens même d’héritage qu’il incombera à leur tour aux successeurs de léguer. Cette représentation d’un héritage qui prescrit immédiatement et foncièrement son legs – et le legs de son « sens » tout autant que de son contenu – peut paraître très factuelle et ordinaire, mais, si on la scrute d’un peu plus près, on voit qu’elle implique deux traits décisifs qui ont pu peut-être paraître dans le passé relever d’une certaine évidence – et en tout cas d’une certaine évidence de valeur –, mais qui sont – ou seraient – justement devenues aujourd’hui problématiques : 1°) la transmission-tradition s’avère fondamentalement génératrice d’obligation au double sens où l’héritage doit susciter l’obligeance, la reconnaissance, la gratitude, en tant que don, et où il doit en même temps susciter immédiatement un sentiment de dette, de devoir et de responsabilité contraignante par l’impératif de préservation et de fidélité lié à la perspective de son legs ; 2°) l’héritage est par ailleurs représenté comme constituant et fondateur, au sens où c’est à lui qu’on devrait d’être ce que l’on est – ou d’être tout court – ce qui vient métaphoriquement s’exprimer à notre sens dans la figure de la filiation et plus précisément de la filiation patrilinéaire et patriarcale telle qu’elle a sans doute régi depuis des siècles notre organisation sociale sans être même mise en question par la modernité des XVeet XXe siècles : l’héritage, dès lors déterminable comme « patrimoine », venant du père – et d’un père qui l’avait lui-même reçu de son propre père – est alors conçu (de même que le « patronyme ») comme déterminant substantiel voire comme condition même de possibilité pour l’existence du fils : le fils se constitue et se définit ainsi dans la relation fondamentale et ambivalente à cet héritage patrimonial, à la fois don et dette. Corrélativement à la mise en cause (qu’on explicitera plus loin) de cette figure générale de la transmission, la mise en question porte (ou porterait) spécifiquement – s’agissant de l’École – sur le « sens », sur les finalités et sur le régime épistémologique même sous lesquels les savoirs se trouvent enseignés et « transmis » aux élèves. De fait, ces savoirs – ou du moins les savoirs autres que ceux de l’instruction élémentaire (lire - écrire - compter) qui se justifient amplement et suffisamment par leur valeur fonctionnelle – s’avèrent peut-être, à la réflexion, toujours présentés, explicitement ou implicitement, à un degré ou à un autre, comme des savoirs 68 | Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.187.96 - 20/09/2013 09h03. © Collège international de Philosophie CORPUS « supérieurs », élevant le sujet (le sujet apprenant, à la suite du sujet enseignant) au-dessus de lui- même et le faisant accéder à quelque plan de « hauteur », de « grandeur » et d’« essentialité » : plus précisément, l’entrée dans ces savoirs (et, au-delà, dans uploads/Philosophie/ lfopa2001-cm5-nordmann-transmissioncompe-tences.pdf

  • 41
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager