De l’Esclavage des Nègres, extrait de DE L’ESPRIT DES LOIS (XV), 1748 Montesqui
De l’Esclavage des Nègres, extrait de DE L’ESPRIT DES LOIS (XV), 1748 Montesquieu INTRODUCTION Ce passage est un extrait de De l'Esprit des Lois, traité de sociologie politique que Montesquieu publie en 1748, et dans lequel il tente d'analyser comment le climat, les mœurs, l'économie, les lois ... ont influé sur les différents régimes politiques qui se sont succédés dans l'Histoire. L'auteur, grand savant et philosophe du siècle des Lumières, fut aussi magistrat à Bordeaux, mais il est surtout connu pour des ouvrages tels que De l'Esprit des Lois ou Les Lettres Persanes, qui ont éveillé l'esprit critique des hommes du XVIIIe siècle. Dans cet extrait du livre 15, l'auteur se feint d'être l avocat de l'esclavage des noirs. Il propose ainsi en neuf § bien séparés, neuf arguments. Cependant une lecture plus attentive permet de distinguer quelques vices de forme dans le raisonnement proposé. LECTURE ANNONCE DES AXES Puisqu'une lecture attentive du texte nous montre que Montesquieu veut, en fait, prendre à contre- pied la thèse esclavagiste, notre projet de lecture méthodique sera de montrer quelle stratégie il adopte pour atteindre son objectif. Nous le verrons en 2 axes : 1- Le passage = un réquisitoire qui prend la forme d'un plaidoyer 2- Comment l'auteur rend son discours encore plus efficace en utilisant différents procédés rhétoriques qui montrent sa maîtrise du pamphlet. ETUDE 1- UN REQUISITOIRE EN FORME DE PLAIDOYER 1. Etude de la structure du texte 1er paragraphe : présentation de la situation de communication. N.B. : fait que Montesquieu présente celle-ci sous forme d'hypothèse : Si + imparfait + conditionnel = entretient une ambiguïté puisque cette tournure peut exprimer à la fois le potentiel (pour l'adversaire) et l'irréel (pour le lecteur). 1 OBJECTIF : donner le signal que ce texte est à lire comme une pure hypothèse et que le plaidoyer annoncé est en fait un réquisitoire. § suivants : Dans la logique de ce qui est annoncé, il développe en neuf parties, les arguments du pseudo - plaidoyer : 2 arguments historiques et économiques situant le problème au niveau du travail 2 premiers § 2 arguments d’ordre racial (l.7-10) 2 § suivant 2 arguments fondés sur un raisonnement par analogie liés à la sagesse des nations (l.11-17) 2 § suivants 1 argument sociologique (l.18-20) § suivant 2 arguments religieux et politiques faisant culminer la thèse des esclavagistes et l'indignation de Montesquieu 2 derniers § 2. Chaque argument des esclavagistes se détruit lui-même voir tableau dans le cours ex : arguments n° 4 et n° 6 TRANSITION On voit donc que la stratégie utilisée consiste à démonter de l'intérieur chaque argument des esclavagistes en montrant son ineptie. Reste qu'en parallèle, Montesquieu maîtrise aussi parfaitement tous les outils rhétoriques, et ceci rend son texte plus efficace. 2- LA MAITRISE DU PAMPHLET (Pamphlet = cour extrait satirique qui attaque avec violence les institutions) 1. L’usage de l'antiphrase Ex : l.3 : «Ils ont dû » : en fait, aucune nécessité n'apparaît dans la réalité : en aucun cas l'anéantissement d'une autre ethnie ne peut justifier l'asservissement d'une race. 2. La juxtaposition de petits § incisifs Avantage : On peut passer sans transition d'un domaine à l'autre et donc accumuler en un minimum de temps différents arguments décisifs. Ex : entre l'argument 6 et 7 : d’un raisonnement par analogie basé sur une perception gratuite des Egyptiens, on passe à une réflexion qui paraît venir d'une conversation entre mondains (l.18-21), ce qui permet à Montesquieu d'égratigner au passage la passion des nations civilisées pour l'or et de rappeler que, dans la traite des nègres, le troc se fait contre de la verroterie, et donc constitue un vol. 2 3. Des traits de bouffonnerie ou de burlesque Ils apparaissent dans la présentation comme d'irréfutables arguments qui ne résistent pas à l'analyse. Ex : Le rapport entre la couleur de la peau et l’essence de l'âme (l.11) Ex : Les affirmations péremptoires par rapport au symbolisme des couleurs (ironie dans l'emploi de la tournure emphatique «d'une si grande conséquence ») (l.16-17) 4. L'utilisation habile de deux raisonnements par l'absurde (2 derniers arguments) l.21-23, Montesquieu prête aux esclavagistes le raisonnement suivant : Les chrétiens doivent traiter tous les hommes en frère Or nous ne traitons pas les noirs comme nos frères Donc les noirs ne sont pas des hommes Ce qui conduit le lecteur à une conclusion diamétralement opposée : Donc nous ne sommes pas de vrais chrétiens l.24-25, même principe Les princes d'Europe font beaucoup de conventions inutiles Or ils n'en font pas en faveur des esclaves Donc c'est qu'il n'y a pas lieu d'en faire (Lecteur : Donc les princes d'Europe sont sans cœur) CONCLUSION Chaque argument de cette «plaidoirie » repose sur un argument vicié qui le rend inopérant, et ceci permet à Montesquieu de dénoncer différentes manières l'esclavage : La mauvaise foi Le détournement de la religion L'égoïsme, le cynisme La présentation comme sure d'arguments douteux 3 Le texte est brillant dans sa forme, il est aussi généreux et clairvoyant dans son ironie. Mais il faudra cependant attendre 1848 pour que l'esclavage soit définitivement aboli en France ! 4 uploads/Philosophie/ de-l-x27-esprit-des-lois-montesquieu.pdf
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- Publié le Fev 15, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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