Groupe de recherche sur Leibniz 25 janvier 2012 « Leibniz : Géométrie et espace

Groupe de recherche sur Leibniz 25 janvier 2012 « Leibniz : Géométrie et espace » 1/18 LEIBNIZ : GEOMETRIE et ESPACE Valérie Debuiche – 25 janvier 2012 Il n’est pas ordinaire de parler de « géométrie » chez Leibniz, et encore moins de « géométrie de Leibniz », non dans le sens où cela serait inconvenant, mais dans le sens où la géométrie, en tant que telle, n’est pas souvent envisagée comme un objet de pensée et de recherche proprement leibnizien. Ou plutôt, pour le dire en des termes plus modérés et, donc, plus adéquats, la pensée leibnizienne au sujet de la géométrie est, en général, considérée sous le double prisme, aussi bien éclairant qu’aveuglant, de sa critique de la géométrie algébrique de son époque (celle de Descartes et de Viète notamment) et de son invention d’une analyse infinitésimale qui réduit à sa puissance symbolique et algorithmique toutes sortes de problèmes, dont ceux de la géométrie classique. Le calcul différentiel et son réciproque, le calcul infinitésimal, ont offert l’occasion de quelques-unes des pages les plus importantes du commentaire leibnizien au sujet de la relation entre ses mathématiques et sa métaphysique. L’usage maîtrisé et novateur que Leibniz y fait de l’infini, de la continuité, ou des symboles, fournit évidemment et incontestablement un matériau précieux pour l’analyse de sa philosophie des substances, replis infinitésimaux d’un monde par ailleurs infini, entités dynamiques qui déploient selon une certaine règle et de façon continue les états successifs de leur être et, d’une certaine façon, de l’être du monde. La double mise en abyme d’un monde infini dans des substances infinitésimales ne pouvait en effet être pensée que par un Leibniz- mathématicien, non embarrassé par l’indéfini cartésien et fort du concept de différentielle. De bien des façons, donc, le calcul des infinitésimaux permet à Leibniz de dépasser Descartes, dans sa philosophie, comme dans sa physique ou ses mathématiques. Notamment, il a coutume de déclarer que son Analyse des infinitésimaux lui permet de réussir là où la géométrie cartésienne a échoué, dans le traitement des courbes qu’il appelle « transcendantes » et qui sont exprimables par des équations algébriques, mais de degré indéterminé : 1. « Les Anciens se refusaient en effet à employer des courbes de degré élevé et considéraient comme Mécaniques les solutions fournies par elles. Descartes le leur reprocha, et reçut dans la Géométrie toutes les courbes dont une équation Algébrique, de degré bien déterminé, pût exprimer la nature. Grand bien lui en prit ; mais il retomba dans la même faute en bannissant de la Géométrie, et en décrétant Mécaniques, sous prétexte que naturellement il ne parvenait pas à les réduire en équations exploitables par ses propres procédés, une infinité d’autres courbes, qu’on peut pourtant exprimer tout aussi rigoureusement. Il faut noter qu’en réalité de telles courbes, telle la Cycloïde, la Logarithmique ou autres du même type, dont les applications sont immenses, peuvent également être représentées par un calcul d’équations, et même d’équations finies, non pas Algébriques bien sûr, de degré déterminé, mais de degré indéfini, c’est-à-dire transcendant ; on peut donc les soumettre au calcul aussi bien que les autres, même si le calcul en question n’est pas de même nature que celui couramment pratiqué. » (De Groupe de recherche sur Leibniz 25 janvier 2012 « Leibniz : Géométrie et espace » 2/18 dimensionibus figurarum inveniendis, A.E. Mai 1684, in Leibniz, La naissance du calcul différentiel, Paris, Vrin, 1995, p. 90) Mais la critique cartésienne ne se trouve pas seulement dans les textes qui présentent les avancées du novateur calcul différentiel. On trouve également l’idée d’un dépassement de la géométrie algébrique dans les textes des années 1677-1679, consacrés aux essais de ce que Leibniz nomme alors la « Characteristica Geometrica » (Voir citation 3.) C’est alors la question des fondements, c’est-à-dire de la détermination des éléments premiers, qui intéresse Leibniz. L’exigence de Caractéristique Universelle n’est pas loin, tant dans l’élaboration d’un alphabet adéquat de la pensée, que dans la mise en place d’un symbolisme qui remplisse les conditions de sa perfection : élégance, aisance et généralité. D’ailleurs, souvent, dans le commentaire des textes de Leibniz sur la Characteristica Geometrica, l’accent est mis sur la relation étroite que l’idée d’une géométrie nouvelle entretient avec l’attrait que Leibniz éprouve pour la géométrie d’Euclide qu’il trouve exemplaire, du point de vue de la méthode du moins. Prise entre sa teneur caractéristique et sa reprise euclidienne, la géométrie leibnizienne ne dévoile pas au premier regard son originalité, par rapport aux autres travaux géométriques (de Leibniz lui-même, ou d’Euclide qui en fournit le criterium) et par rapport aux aspirations caractéristiques qu’elle réalise en partie. Elle révèle encore moins son rapport avec la métaphysique leibnizienne. Pourtant, à ces deux égards, la Characteristica Geometrica, encore appelée Analysis Situs, Geometria Situs, Analysis Geometrica, etc. présente des éléments considérables, tant pour l’historien des mathématiques que pour le philosophe des mathématiques et l’historien de la philosophie. D’une part, du point de vue de la géométrie, elle constitue un travail particulier pour au moins deux raisons. La première est qu’il n’est pas possible de réduire l’invention de la Caractéristique Géométrique au seul statut de spécimen de la Caractéristique Universelle. Leibniz invente une nouvelle géométrie, dont on peut d’ailleurs interroger le lien avec celle de Pascal – mais dont nous n’avons que peu de traces – qui affirme, pour une des premières fois dans l’histoire des mathématiques que la géométrie est la science de l’espace en soi : 2. « Pour traiter de tout ceci dans l’ordre, il faut savoir que la première chose à considérer est l’Espace lui-même soit l’extensum pur et absolu ; en disant pur, je veux dire pur de toute matière et de tout mouvement, en disant absolu je veux parler d’un espace illimité et renfermant toute extension. » (Characteristica Geometrica, 10 août 1679, in La caractéristique géométrique, Paris, Vrin, 1995, p. 151) La seconde raison est son lien avec les travaux de perspective, de Pascal et de Desargues, mais aussi de Leibniz lui-même : il y a entre la caractéristique géométrique et la perspective une relation, sinon génétique, du moins théorique, en cela que ces deux méthodes géométriques envisagent les relations entre les objets spatiaux, c’est-à-dire leurs situations mutuelles et leurs transformations, bien plus que la détermination quantitative de ces relations (leur mesure). D’autre part, la lecture attentive des textes de métaphysique montre que de nombreux exemples ou modèles dont Leibniz use sont de nature géométrique : on pense évidemment à l’important modèle perspectif de la projection du cercle en les sections coniques, par lequel Leibniz rend compte du mode expressif (et même entr’expressif) des monades, à la métaphore de « point métaphysique » ou encore à Dieu comme « centre d’une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Il semble y avoir entre la géométrie non-infinitésimale de Leibniz et les thèses monadologiques une relation, dont il est mal aisé de décider d’emblée si elle va des mathématiques à la philosophie, ou de la philosophie aux mathématiques. Ces dernières années, les travaux de Vincenzo De Risi ont marqué d’une empreinte tout à fait particulière les études leibniziennes. Dans son ouvrage Geometry and Monadology, Vincenzo De Risi fait le pont entre l’Analysis Situs des années 1710 et ce qu’il nomme une Groupe de recherche sur Leibniz 25 janvier 2012 « Leibniz : Géométrie et espace » 3/18 « métaphysique de l’espace » chez Leibniz. Cet essai est fondamental, en cela qu’il fait, à la géométrie de l’espace en tant que tel, et donc à la Geometria Situs, une place qu’elle n’avait encore jamais eue dans le commentaire de la métaphysique leibnizienne, alors même que les indices d’une corrélation entre les deux sont nombreux. Néanmoins, je peux en quelques mots présenter la teneur de quelques thèses de Vincenzo De Risi. À la suite de quoi, je présenterai de façon plus précise les prémices de l’invention de l’Analysis Situs et conclurai en interrogeant la nature du rapport entre géométrie et philosophie chez Leibniz. I. La géométrie et la monadologie : Vincenzo De Risi Dans son ouvrage, Vincenzo De Risi montre qu’après 1700, et plus précisément entre 1712 et 1716 (p. X), il est possible de déceler dans les textes de Leibniz, notamment dans sa correspondance avec le newtonien Clarke et dans celle avec le Père Des Bosses, une « métaphysique de l’espace », alors que dans la même période Leibniz travaille de façon conséquente sur l’Analysis situs. Dans cette perspective, l’originalité du travail de Vincenzo De Risi réside dans la préférence qu’il donne, parmi les liens qui ne manquent jamais d’unir les différents champs de la pensée leibnizienne, à celui qui relie la géométrie de Leibniz à sa philosophie, en l’occurrence la géométrie des situations à la Monadologie et à la conception subséquente de l’espace (p. XI). En effet, ainsi que Vincenzo De Risi l’affirme dans la Préface de Geometry and Monadology, par l’Analysis situs, Leibniz démontre (ou tente de démontrer) la continuité de l’espace, sa tridimensionalité, la possibilité d’un mouvement rigide en lui, sa nature euclidienne uploads/Philosophie/ debuiche-leibniz-geometrie-et-espace.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager