1 Définition de la kabbale chez le Ramhal Extrait du 3e chapitre de la IIe part
1 Définition de la kabbale chez le Ramhal Extrait du 3e chapitre de la IIe partie de ma thèse LA KABBALE EN TANT QUE « MÉTAPHYSIQUE » DE LʼUNITÉ CHEZ RABBI MOÏSE ḤAYYÎM LUZZATTO (RAMHAL) © Mordékhaï CHRIQUI (Ph.D) Résumé : Dans ce chapitre nous essaierons de donner une définition de la kabbale selon le Ramhal à partir de son ouvrage Qalaḥ Pitḥȇy Ḥȏkhmȃh, mais aussi nous considérerons dʼautres textes majeurs. Au-delà dʼune cosmogonie, ou même dʼune historiosophie, il se dégage de lʼœuvre ramhalienne : une science de lʼUnité. 1. À propos du Qalaḥ Pitḥȇy Ḥȏkhmȃh Cʼest en 1732 que le Ramhal écrit à Padoue ce traité fondamental1, le plus systématique sur la kabbale : il expose la doctrine lurianique en Préambule de chaque Portique, suivie de son commentaire. Cet ouvrage a fait lʼobjet dʼune traduction synthétique par nos soins en 20122. Lʼauteur se propose de montrer que les concepts kabbalistes, induits à partir de démonstrations constructives, obéissent aux lois de la logique, ce qui lui permet dʼaffirmer que la kabbale nʼest pas une « dissertation de mots qui nʼont pas de sens […] et dont nous devons nous souvenir3 », mais la véritable science du divin. Dès le premier Portique du Qalaḥ, lʼauteur définit la Qabȃlȃh comme « la science de vérité qui a pour objectif de montrer la véracité des catégories de la foi, en nous permettant de comprendre comment toutes les créatures et tous les événements résultent exclusivement de la Volonté divine […]. Le détail de cette science se décline dans la connaissance des principes et des modalités de la Direction divine [dans 1 . Voir M. BENAYAHU, Kitvȇy Qabȃlȃh šel Ramhal, op. cit., p. 135. 2 . Voir notre traduction du Qalaḥ, M. CHRIQUI, Les 138 Portes de la Sagesse, op. cité. Cité plus loin : Les 138 Portes de la Sagesse. Dans cette traduction, nous avons traduit tous les 138 Portiques, quant aux commentaires des Portiques (par lʼauteur lui-même), nous nous sommes limités à des résumés synthétiques. 3 . Voir Ḥȏqêr ȗ-mĕqȗbȃl, in Šaʻărêy Ramhal, Bné-braq : Éd. Freidlander, 1986, p.36 ; voir infra II, 7. 2 lʼHistoire4] ». Pour le Ramhal, la kabbale est la science par excellence et, comme toute science, il est possible de la soumettre à la confrontation philosophique et à lʼexpérimentation historique. Cependant, au regard des « catégories de lʼépanchement du flux divin » et de lʼexpérience prophétique, il incombe de placer la kabbale au- dessus des catégories de la raison, sans pour autant les nier. Conscient de cette apparente contradiction, notre auteur soutient que le monde est organisé selon un ordre et une structure qui ne sont autres que ceux mêmes de lʼhomme, ce qui place la kabbale dans le domaine des sciences qui analysent les créatures et les événements. Ses principes, quoique supra-métaphysiques et dʼorigine divine, restent intelligibles pour lʼhomme et donc communicables. Qalaḥ Pitḥȇy Ḥȏkhmȃh, le Traité des 138 Portiques de la Science divine, peut être considéré comme un renouvellement du sens, le dévoilement dʼune dimension nouvelle dans la lecture traditionnelle de la Qabȃlȃh. Le style de lʼouvrage surprend en un tel domaine : pour la première fois dans lʼhistoire de lʼésotérisme juif, un kabbaliste cherche un sens logique à lʼenseignement caché. La kabbale nʼest plus un discours pour cénacles restreints dʼinitiés ou un exposé spéculatif sur le divin à propos des sefîrȏt, des secrets de la Création ou de lʼunion avec Dieu, elle est bien autre chose que cela : elle expose la science des principes divins. À la première lecture, lʼévidence de la logique de lʼexposé et du langage rationnel sʼimpose par le développement de distinctions, de gradation, de structure et de finalité, notions propres aux catégories et à la logique dʼAristote et de Ramus5. Comme nous lʼavons vu précédemment (II, 2), la logique et la philosophie sont pour Luzzatto la propédeutique dʼune science, les instruments ancillaires qui permettent de vérifier la connaissance et son exactitude. En prolégomènes, lʼauteur révèle les paramètres de son enseignement : la Volonté du Ein-Sof6 (lʼInfini), origine de tout ; le Bienfait et la perfection absolue - le but ultime de lʼhistoire ; et enfin les moyens, qui sont les principes, les sefîrȏt par lesquels la Volonté de lʼInfini réalise son projet7. 4 . Nous reviendrons plus loin sur cette notion dʼhistoire chez Luzzatto dans notre chapitre 6 sur la hanhȃgȃh, la Direction divine. 5 . Voir supra, II, 2. 6 . Nous analyserons dans notre prochain chapitre (3.3.1) cette notion fondamentale du Ein-Sof. 7 . Voir Portique I, Préambule : « La science de vérité, qui a pour objectif de montrer la véracité des catégories de la foi, en nous permettant de comprendre comment toutes les créatures et tous les événements résultent exclusivement de la Volonté divine qui opère dans les moindres détails, et comment tout est conduit avec justesse par Dieu-Un, source sans limite, afin que le monde aboutisse à son absolu de perfection. Le détail de cette science se décline dans la connaissance des principes [sefîrȏt] et des modalités de la Direction divine dans lʼHistoire », Les 138 Portes de la Sagesse, p. 3 Lʼauteur commence son ouvrage (Qalaḥ) avec le thème de lʼUnité (Portiques I à IV), celui des sefîrȏt est abordé par la suite, puis les mondes divins, les Visages ou configurations de Dieu, le tiqqȗn. Dans les écrits lurianiques, la première leçon porte sur le ṣîmṣȗm8 – le retrait du Ein-sof, de lʼInfini, en tant que préambule à lʼémanation des sefîrȏt. En effet, le premier chapitre du ʻȆṣ Ḥayyîm, livre fondateur de Rabbi Isaac Luria consigné par son élève principal Rabbi Ḥayyîm Vital, passe très rapidement sur lʼorigine de tout – le Ein-sof, lʼInfini. De même, dans son Pardȇs Rimmȏnîm, Rabbi Moïse Cordovéro consacre la Première Voie aux sefîrȏt, analysant « pourquoi dix sefîrȏt et non neuf9 ». Dans le Zohar aussi, les sefîrȏt sont décrites en préambule de tout le discours. Cela ne signifie pas que les kabbalistes nʼont pas traité du Ein-sof ou ne lʼont pas expliqué ni approfondi, mais ils ne lʼont pas érigé au premier plan au début de « lʼédifice ». Pour la logique luzzattiste, dans toute élaboration dialectique, il faut sans attendre « convenir des termes du discours » ; cʼest pourquoi : « Il faut dʼabord présenter le sujet de la connaissance avant dʼen expliquer les détails10. » Conformément aux règles de la logique et de la méthodologie quʼil a annoncées, lʼauteur inaugure son Qalaḥ avec le concept de lʼUnité de lʼInfini ou le Ein-sof, racine de tout. Il élabore ensuite un système cohérent pour expliquer la révélation de lʼUnité du Ein-sof à partir des sefîrȏt11 - les principes premiers de la Création, et tout ce qui procède dʼelles. Pour le kabbaliste, tous les êtres, toutes les créatures et tous les événements trouvent leur racine dans les sefîrȏt : « Les sefîrȏt sont les racines, et les créatures leurs branches12. » Cʼest donc lʼUnité de lʼInfini qui préside au Qalaḥ ; cependant, comme nous le verrons, lʼUnité ne peut être clairement et pleinement perçue que par la compréhension du déploiement des sefîrȏt. Ainsi, lʼUnité ne peut être définie que par 23. 8 . Nous présenterons une définition détaillée du ṣîmṣȗm, infra. 3.3.3. 9 . Voir aussi Sefer yeṣîrȃh – le livre de la Création, la première Mišnȃh est consacrée aussi aux dix sefîrȏt. 10 . Traité de la Logique, § 23, p. 200. 11 . Rappelons que lʼobjet, a priori, de la kabbale chez un grand nombre de kabbalistes est la cosmogonie ou plutôt la théogonie, une théorie divine de la Création. 12 . Voir aussi Les Voies de la Direction divine (Daʻat Tĕvȗnȏt), § 150, p. 317 : « Il en va de même pour toutes les autres créatures de lʼunivers. Chacune est un symbole vivant dʼun des mystères de la Direction de Dieu ; il était de la Pensée suprême dʼassocier à chaque ordre de Direction un symbole dans ce monde. En cela sʼexplique une telle abondance de créatures, puisque chacune révèle un des aspects de la Direction de Dieu. « Tout événement qui affecte une créature, au niveau de la forme ou de sa spécificité, peut être envisagé sous lʼangle dʼun de ses aspects représentés. Les mesures de Dieu, [les sefîrôt], sont, en somme, des racines, et les créatures leurs ramifications ; en effet lʼexistence de ces créatures dépend de celle des mesures […] ». 4 la multiplicité des sefîrȏt qui sont la réalité de toute existence. Le sujet principal de la kabbale chez Ramhal nʼest pas la science des sefîrȏt mais celle de lʼUnité. Certes, lʼUnité ne concerne pas lʼEssence de Dieu, Dieu en tant quʼÊtre - de cela on ne parle pas -, on parle uniquement de lʼexpression de Sa Volonté, comprise comme relation sous forme de modalités dénommées sefîrȏt, ou Parṣȗfîm - « Visages » de Dieu. Si le Qalaḥ reprend, par sa présentation structurelle, le plan lurianique de lʼenchaînement des mondes (hištalšĕlȗt13) pour signifier la Création, nous verrons plus loin au chapitre 6 que le projet de notre auteur est uploads/Philosophie/ definition-de-la-kabbale-chez-le-ramhal.pdf
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- Publié le Jan 30, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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