Henri Declève Heidegger et Cassirer interprètes de Kant. Traduction et commenta
Henri Declève Heidegger et Cassirer interprètes de Kant. Traduction et commentaire d'un document In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 67, N°96, 1969. pp. 517-545. Citer ce document / Cite this document : Declève Henri. Heidegger et Cassirer interprètes de Kant. Traduction et commentaire d'un document. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 67, N°96, 1969. pp. 517-545. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1969_num_67_96_5514 Heidegger et Cassirer interprètes de Kant Traduction et commentaire d'un document Introduction Nous proposons ici la traduction et le commentaire d'un document publié naguère par M.Gr. Schneeberger (x) et qui nous restitue des frag ments de deux interprétations du kantisme, celle de Cassirer et celle de Heidegger. L'intérêt philosophique de ce texte n'a d'égal que l'ambi guïté des conditions dans lesquelles il fut imprimé à Berne à compte d'auteur. Ce que nous allons traduire paraît en 1960 dans une brochure qui se présente comme un complément à la bibliographie heideggerienne établie par Hermann Liibbe. A ce moment M. Schneeberger ignore l'origine et la nature exacte des feuilles stencilées qu'il publie. Il y voit apparemment un tout achevé. Sans y ajouter une seule remarque, il les fait lire à la suite de trois documents plus tardifs qui mettent en lumière l'activité de M. Heidegger en 1933 lors de son rectorat à Fribourg sous le régime national-socialiste. L'éditeur semble ainsi vouloir situer l'échange de vues avec Cassirer dans le contexte de l'antisémitisme et du racisme latents qui favorisèrent en Allemagne la prise de pouvoir par les nazis. Que telle soit bien son intention, M. Schneeberger le donne davan tage encore à penser lorsqu'il publie en 1962 son volume Nachlese (x)Cf. Guido Schnebberoer, Ergânzungen zu einer Heidegger-Bibliographie (ci- dessous Ergànzungen), Bern, I960, pp. 17-67. En marge de la traduction, nous indiquons la pagination de M. Schneeberger, à laquelle nous nous référons dans les notes. 518 Henri Declève zu Heidegger, dont l'essentiel se compose d'extraits de journaux et de livres concernant le rectorat de M. Heidegger (2). Le recueil permet, il est vrai, de mieux apprécier le caractère du « protocole du groupe de travail » paru deux ans plus tôt. Il s'ouvre en effet par une relation des journées de 1929 due à un historien de la médecine, Ludwig Englert, et où l'on chercherait en vain une allusion politique. Par contre deux pages empruntées aux souvenirs de Madame Cassirer nous restituent l'atmosphère quelque peu pathétique de ce congrès où certains furent surtout intéressés, voire inquiétés, par ce qu'ils vivaient comme un affrontement entre un représentant de la pensée purement allemande et un représentant de cet idéalisme trop universel pour ne pas être qualifié de juif. Jusqu'à plus ample information, il semble bien que tous les t émoins s'accordent à reconnaître l'élévation et la qualité vraiment universitaire des relations et des discussions entre les deux philosophes. Mais le lecteur de M. Heidegger céderait à une naïveté par trop « mé taphysique» s'il prétendait faire complètement abstraction de la culture et de l'idéologie au sein desquelles commençait à se dévoiler vers 1930 la pensée de l'être. Aussi, en dépit de ce qui est sans doute leur parti pris, la brochure et le volume publiés par M. Schneeberger offrent-ils à qui en use avec prudence la possibilité de mettre en situa tion les écrits de Heidegger où s'amorce le fameux « revirement », die Kehre (3). Le propos à tout le moins démythisant de l'éditeur n'est cependant pas la seule cause de l'ambiguïté qui entoure le « protocole du groupe de travail » que nous traduisons ici tel qu'il nous est connu pour l'in stant. Dans Nachlese M. Schneeberger réimprime les trois autres textes déjà parus dans les Ergdnzungen, mais il ne reprend pas les pages qui nous occupent. Il indique simplement qu'elles ont été «rédigées par Bitter et Bollnow». L'index nous apprend qu'il s'agit (2) NacMese zu Heidegger, Bern, 1962; en particulier pp. 1-9. — M. Schneeberger a été récemment pris à partie non sans une certaine passion, dans un article de F. Fédier, Trois attaques contre Heidegger, in Critique, 1966, n° 234, pp. 883-904. Fédier apporte au dossier une lettre de S. Brôse au recteur de Fribourg, datée du 14 janvier 1946 ; la conduite de M. Heidegger durant les années de crise y apparaît sous un jour plus favorable et plus vrai. (s) Sans jamais oublier qu'en un sens il n'y a pas de philosophie mais seulement des philosophes, il faut faire entièrement droit à la requête de F. Fédier, art. cit., p. 899 : «... comme si le but secret de ceux qui répandent ces bruits était précisément de retarder sans cesse l'accès à Yœuvre de Heidegger, seule voie possible par où, un jour, il sera possible d'aborder ce qui est en question ici ». Heidegger et Cassirer interprètes de Kant 519 de Joachim Bitter et d'Otto-Friedrich Bollnow dont on peut savoir par ailleurs qu'ils sont aujourd'hui professeurs ordinaires à Munster et à Tiïbingen respectivement. Sur l'avis de M. Schneeberger, nous avons demandé aux deux ré dacteurs l'autorisation de publier le présent article. A cette occasion, un collègue du Pr. Bitter, le Dr. K. Grander, nous avertit très aimable ment et sans nous opposer de refus, que notre entreprise était exposée à bien des risques. C'est le Dr. Griinder en effet qui fit savoir à M. Schneeberger à qui étaient dues les pages anonymes reproduites dans les Ergànzungen. De son côté il était depuis longtemps en possession de l'ensemble du compte-rendu dont un extrait seulement avait été stencilé à Davos et distribué aux participants des journées. Le morceau dont on va lire la traduction représente un tiers environ du document complet que le Dr. Grander se propose de publier prochainement; le texte sera accompagné des notices et recensions suscitées à l'époque par les conférences et les discusions de Cassirer et de M. Heidegger sur la philosophie kantienne. On trouvera également dans le livre du Dr. Griinder, outre une introduction détaillée, bon nombre de souvenirs recueillis ces dernières années auprès des participants du colloque de 1929, une réimpression du compte-rendu fait par M. Heidegger en 1928 du second volume de la Philosophie der symbolischen Formen ainsi qu'une réimpression de l'article sur Kant und das Problem der Metaphysik écrit par Cassirer en 1931 pour les Kantstudien (4). Ces deux derniers textes n'étaient assurément pas demeurés inaperçus; mais il faut se féliciter de les pouvoir lire à nouveau avec les exposés et les discussions de Davos qu'ils éclairent sur plus d'un point. Le Dr. Griinder nous fait savoir encore qu'au moment où sortira son ouvrage, les Archives de philosophie en feront paraître une traduction française intégrale. Pourquoi dans ces conditions passer outre aux avertissements de notre correspondant et rendre public le présent travail condamné sans doute à être rapidement dépassé ? C'est qu'en dépit de son aspect fragmentaire et des ambiguïtés qui entourent sa publication, le docu ment de travail remis aux participants des journées de Davos présente un intérêt technique considérable pour qui veut suivre le dialogue de pensée que, depuis 1912 au moins, M. Heidegger entretient avec Kant. Ce dialogue a fait l'objet d'une recherche dont nous avons (4) Ernst Cassibeb, Kant uni das Problem der Metaphysik, Bemerkungen zu Martin Heideggera Kant-InterpretcUion (ci dessous : Bemerkungen), in Kantstudien, 36 (1931), pp. 1-26. 520 Henri Declève présenté les résultats dans une thèse en philosophie à l'Université de Louvain et qui fera la matière d'un volume à paraître. L'article que voici voudrait indiquer quelques-unes des voies qui se sont ouvertes à notre travail; et le protocole fragmentaire de la contestation entre Cassirer et M. Heidegger est éminemment propre, croyons-nous, à révéler les difficultés et les lumières d'une méditation qui s'attache à ressaisir Kant et la Critique dans et par l'histoire de la pensée de l'être. Au niveau d'abord de l'information matérielle, les débats de Davos ne sauraient être négligés puisque le premier avant-propos de Kant et le problème de la métaphysique signale que le contenu de l'ouvrage fut exposé entre autres lors de ces journées universitaires. Comme cet avant-propos est daté de la Pentecôte 1929 et que le colloque de Davos a eu lieu la même année du 17 mars au 9 avril, ce simple rapprochement fait pressentir à quel point le fameux livre sur Kant exprime une pensée toujours en travail et en « reprise ». Dès lors les nombreuses questions laissées ouvertes à la fin du volume ne sauraient être considérées comme de pures figures de style issues d'une volonté de préserver un mystère qu'un esprit positif pourrait juger quelque peu artificielle. Mais dès que l'on prend au sérieux ces points d'interrogation et que l'on se réfère en même temps aux propos tenus à Davos, toute la « reprise » de la Critique de la raison pure devient beaucoup plus problé matique, au sens habituel et au sens heideggerien de ce dernier qual ificatif. Kant et le problème de la métaphysique étudie et commente « l'Ana lytique au sens large » ; c'est dans la théorie du schématisme de l'imagi nation que le lecteur est invité à reconnaître comment Kant frôle et uploads/Philosophie/ henri-decleve-heidegger-et-cassirer-lecteurs-de-kant.pdf
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- Publié le Aoû 04, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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