DIFFÉRENCE DES SEXES (THÉORIES DE LA) Article du Dictionnaire critique du fémin

DIFFÉRENCE DES SEXES (THÉORIES DE LA) Article du Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2000, p.26-35. L’expression « différence des sexes » est prise ici dans un sens large et en quelque sorte préthéorique qui ne préjuge pas du statut de la différence, ni de ce qu’elle comporte de réductible ou d’irréductible, de « naturel » ou de « culturel ». La dénomination générale de « rapports de sexe » pourrait remplir aussi cette fonction : elle appartient à l’horizon sociologique plus qu’à l’horizon philosophique qui éclaire le présent texte. L’expression « différence des sexes » a cependant fait l’objet de débats terminologiques : elle a été récusée par certaines en raison de l’interprétation potentiellement naturaliste ou ontologique à laquelle elle risquerait de donner lieu. Lui ont été préférés alors les termes de « construction sociale des sexes », voire de « classes de sexes », qui définissent a priori la différence des sexes comme pure production sociale et incarnent dès lors une des réponses au problème posé. La notion de gender – articulée à celle de sex –, importée des États-Unis et traduite par « genre », propose une issue à cette alternative : elle n’est toutefois pas d’un usage courant en France, le genre n’étant pas dans la langue française l’équivalent exact du mot gender dans la langue anglaise, et le participe gendered (« genré ») n’y étant pas usuel. Toute terminologie est connotée. L’expression « différence des sexes » devrait permettre ici la détermination des trois grands courants théoriques de la pensée féministe, et de leurs infléchissements dans le contexte français. Chacun d’entre eux, dans la mesure où il est féministe, part en tout cas de l’hypothèse du caractère transformable des rapports entre les sexes et de leurs définitions. La question est alors de savoir si, dans quelle mesure, et en quels termes, une forme de différence sexuelle est abolie ou maintenue dans un monde commun égalitaire ou constitue même un facteur de redéfinition de celui-ci. La question dans l’histoire de la philosophie La question du statut de la différence des sexes est présente dès les origines de la philosophie occidentale. En réalité, le questionnement des philosophes porte sur les femmes, attestant de ce qu’elles sont les « autres » du sujet parlant et pensant mais aussi du sujet désirant, et il bute sur leur rôle prééminent dans le phénomène de la génération. Dès l’Antiquité grecques, deux grandes réponses se dessinent : la première, incarnée par Aristote qui affirme la double nature de l’homme et de la femme ; la seconde, incarnée par Platon qui soutient l’unicité de la nature et des rôles de l’un et l’autre. Toutefois, la distinction de ces deux positions s’évanouit dans une commune affirmation de la hiérarchie entre les sexes. Que ce soit dans l’unité ou dans la dualité, il y a du plus et du moins, le moins étant toujours du côté des femmes (Sissa, 1991). Les penseurs du sujet moderne, précurseurs de la démocratie, y affrontent une véritable aporie, et leur relecture attentive faite de ce point de vue est éclairante. En effet, en définissant l’homme comme individu et en élaborant les rapports humains en termes de droits, ils continuent paradoxalement à recourir souvent à l’argument de la force quand il s’agit de justifier la domination du mari, du père, sur la femme au sein du mariage – même quand ce dernier est déterminé par un contrat – et l’exclusion des femmes de la sphère publique. Cependant, certains philosophes reconnaissent, tel Hobbes, que, hors mariage, la maternité est toute- puissante, ou avouent, tels Spinoza, que l’éviction des femmes du politique répond au désir des hommes. La défense des droits privés des femmes est pourtant souvent formulée, conduisant par exemple à une vigoureuse condamnation du viol – ainsi chez Fichte – ou au droit au divorce. La défense des femmes par les philosophes se fait soit par l’accentuation de l’importance de leur rôle spécifique (Rousseau), soit par la revendication de leur assimilation aux hommes (Stuart Mill). On oscille toujours entre dualité et unité, la voie de l’« égalité dans la différence » que formule Beauvoir enfin du Deuxième sexe (1949) semblant difficile à élaborer. Mais si ce motif court à travers la philosophie, c’est la fondation de la psychanalyse par Freud, à la fin du XIX e siècle, qui va faire de la différence des sexes le motif central de la réflexion. On peut observer là aussi des oscillations complexes entre l’affirmation du un et du deux des sexes, sur l’horizon du plus et du moins : la centralité du Phallus contraint l’un et l’autre sexe à l’expérience de la castration, mais de manière plus éprouvante pour les femmes en raison, d’une part, de leur premier rapport désirant à la mère qui doit se déporter ensuite vers un homme, en raison, d’autre part, de leur manque de pénis traduit en termes d’« envie du pénis ». Les théoriciennes, plus nombreuses qu’en tout autre domaine du savoir, telles Karen Horney, Hélène Deutsch, Melanie Klein, Françoise Dolto, avant Luce Irigaray (1974) ou Julia Kristeva (1980), ont apporté des correctifs importants à cette structure. Lacan, en France, tout en se déclarant héritier de Freud, interroge, d’une certain manière, l’empire exclusif de la loi phallique, de la Loi du Père, dans son séminaire Encore. Les revendications féministes qui précèdent le mouvement du XXe siècle s’accompagnent de théorisations sectorielles diverses. L’originalité et l’intérêt du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir est d’articuler tous les aspects du problème des rapports entre les sexes et de montrer que ses modalités sociologiques, économiques, psychologiques relèvent d’une structure unique. Celle-ci est tributaire non d’une réalité ontologique dite « naturelle », mais d’un rapport de domination qui, même s’il ne semble épargner aucune société et aucune époque de l’histoire, est posé comme culturellement construit et donc indépassable. Si Simone de Beauvoir désigne les hommes comme détenteurs de l’universel, et semble concevoir la libération des femmes comme l’accès à cette position – un « devenir homme » des femmes –, elle indique ainsi la possibilité, voire la nécessité d’une « égalité dans la différence ». Elle ne va cependant pas jusqu’à interroger la partialité de l’universel approprié par les hommes et la nécessité de le redéfinir, ce que feront certaines de ses héritières. Les théories féministes qui se développeront vingt ans plus tard, à partir de l’événement politique du Mouvement de libération des femmes, internationalement répandu, ont en commun de poser que les rapports de sexes peuvent faire l’objet d’un agir transformateur. La persistance générale de l’ « invariant » (Héritier, 1996) hiérarchique, caractérisé comme patriarcal, semble portant faire objection à cette hypothèse, ainsi que l’avait déjà souligné Beauvoir, même si cet invariant comporte des variations culturelles et est facteur d’historicité (Fraisse, 1992). Mais le fait ne dit pas le droit : le passé ne détermine pas l’avenir. Le féminisme introduit non pas une évolution mais une révolution dans la conception du rapport entre les sexes, révolution qui ne comporte pas de modèle factuel ou idéologique préalable. C’est une « politique de l’irreprésentable » (F. Collin, 1999). À partir de cette hypothèse, des positions diverses touchant au statut des sexes s’affirment. Nous en discernerons trois, qui, selon les pays ou les cultures, ont connu un développement et des formes particulières. Elles ont été généralement caractérisées comme universaliste, différencialiste ou essentialiste, postmoderne. Nous nous en tiendrons par souci de clarté, à ces classifications nécessairement réductrices. Il ne peut s’agir que de repères autour desquels circule la pensée. L’évolution du féminisme en rend le contenu complexe et les limites poreuses, ainsi que l’a manifesté le débat général suscité depuis 1996 en France par le projet d’une représentation politique paritaire, dont partisanes et partisans se revendiquaient de l’une ou l’autre théorie des rapports de sexes. Il n’en reste pas moins que les théories féministes ont été élaborées dans le cadre de la pensée et à partir de la situation occidentale, même si elles étendent leur curiosité dans un deuxième temps aux autres cultures. Cette persistance de l’ « occidentalo-centrisme » dans la contestation du phallocentrisme leur a été souvent reprochée. Universalisme : il y a de l’un La position universaliste repose sur l’affirmation selon laquelle tous les êtres humains sont des individus au même titre, et indépendamment de différences secondaires touchant aux traits physiques, à la « race », au sexe, à la langue, etc. La différence qui caractère hommes et femmes est donc comme telle insignifiante ; son importance déterminante et socialement structurante est un effet des rapports de pouvoir : « On ne naît pas femme, on le devient » (Beauvoir, 1949), et on le devient à partir de la domination exercée par les hommes sur les femmes, quelles que soient les origines ou les formes de cette domination et les causes qui l’ont rendue possible. Il n’y a donc pas de sexes mais des « classes de sexes » vouées à disparaître. Leur disparition permettrait une indifférenciation sexuée au sein de la catégorie générale d’être humain : « Nous voulons l’accès au uploads/Philosophie/ difference-des-sexes-theories-de-la-http-www-scribd-com-doc-47421421.pdf

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