Revue des sciences religieuses 82/2 | 2008 Varia 82.202 Du commentaire biblique
Revue des sciences religieuses 82/2 | 2008 Varia 82.202 Du commentaire biblique à l’affirmation dogmatique : l’expérience théologique au IVe siècle 1 FRANÇOISE VINEL p. 161-177 Abstracts Français English L’article examine en trois approches successives la manière dont les Pères du IVe siècle articulent le donné biblique et le savoir qu’ils héritent de la philosophie grecque pour fonder un savoir théologique et en marquer les limites. Dans les commentaires bibliques, l’interprétation allégorique fournit un système d’équivalences entre les deux sources de ce savoir. Le statut philosophique donné aux livres de Salomon offre aux Pères un lieu privilégié pour définir les étapes de la découverte de Dieu. Enfin, dans le contexte polémique de la réfutation de l’arianisme, c’est une réflexion sur l’origine du langage et la nature des concepts qui à la fois légitime le discours théologique et l’arrête au seuil de l’Inaccessible. Using three successive approaches, the article discusses the way the Fathers of the IVth century combined the basic elements of the Bible with the knowledge they inherited from Greek philosophy in order to found a theological science and to draw the limits thereof. In the biblical comments, the allegorical interpretation provides a System of equivalent concepts between the two sources. The philosophical status given to the Salomon’s Books is a privileged area for a definition of the successive stages in the discovery of God. In the polemical context of the fight against the Arians, it is a reflection on the origin of the language and on the nature of the concepts which gives its legitimacy to the theological discourse and which draws a limit for it on the threshold of the Inaccessible. Index terms Index de mots-clés : théologie patristique, interprétation biblique, philosophie grecque, Salomon, arianisme Index by keyword : Patristic theology, Biblical interpretation, Greek philosophy, Salomon, Arianism Full text On connaît les réflexions de saint Augustin découvrant les « livres platoniciens » : « Et là, j’ai lu » - ce ne sont pas les propres termes, mais le sens étayé de maintes raisons très diverses qui tendaient à le persuader -qu’« au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu ». Tout le prologue de l’évangile de Jean est ainsi assimilé à une page de philosophie, à une restriction près : « mais ’qu’il se soit anéanti lui-même’ [...], c’est ce que ne contiennent pas ces livres » (Confessions VII, 9). 1 On peut prendre ces lignes comme la marque d’une conviction intime, que bien des Pères partagent avec Augustin : il y a des points de rencontre, de passage entre deux modes d’expression et deux pensées, plus largement entre deux univers. Dans la logique du récit des Confessions, qui contient un éloge de la culture profane, guide d’Augustin au seuil de la conversion, et, à l’inverse, au moins en un premier temps, une certaine distance à l’égard du langage biblique2, la propédeutique offerte par la pensée profane est nécessaire. Du côté des théologiens d’expression grecque, aux IVe et Ve siècles, l’Écriture est première parce qu’elle dit la Parole, mais, au prix d’une herméneutique largement héritée d’Origène, le langage philosophique leur sert de langue de traduction pour sortir de la diversité des interprétations et répondre aux positions qu’ils jugent erronées et contraires à la foi chez leurs adversaires. 2 Dans le passage des Confessions cité plus haut, la référence à l’épître aux Philippiens signifie que l’équivalence des deux langages a ses limites. Tel est le jugement rétrospectif d’Augustin. Quelques décennies avant lui, les Pères cappadociens, dans le contexte de la lutte contre le nouveau représentant de l’arianisme, Eunome, ont eux aussi pris la mesure de ces équivalences et de ces limites, forgeant ainsi un langage théologique, une expression dogmatique de la foi. Le présent article se propose d’examiner ces systèmes d’équivalence, de traduction entre deux langages. Ce travail de « passage » pourrait être symbolisé par une expression volontiers utilisée par Grégoire de Nysse3 : toutesti, « c’est-à- dire4 » ; ce simple mot outil souligne, comme on dirait en logique, une égalité entre deux propositions qui relèvent pourtant de langages différents. A un premier niveau, principalement dans le cadre de commentaires bibliques ou d’homélies, c’est en fait tout le travail de l’interprétation « allégorique », mais à condition de préciser, on le verra, l’extension, sinon l’inversion de sens du terme même « allégorie », selon le genre littéraire ou le style du texte biblique 3 I. L’interprétation « spirituelle » de l’Écriture il y a très souvent coïncidence entre le lexique de la philosophie grecque, qui peut être considéré comme « source » du langage de Grégoire, et des versets bibliques tels que les ont écrits les traducteurs grecs des Septante [...] Lorsque l’on peut mettre en parallèle des mots de la tradition philosophique (principalement platonicienne) et des mots utilisés par la Septante, faut-il renvoyer à Platon (à Aristote, aux Stoïciens) ou à la Bible ?8 commenté. Pour aller plus loin, on pourra réexaminer une tradition de lecture remontant au judaïsme. Salomon étant le roi sage par excellence, son œuvre, les livres bibliques qui lui sont attribués, sont interprétés selon le schéma philosophique définissant les trois parties de la philosophie : morale, éthique, époptique ou logique. Il s’agit bien, là aussi, d’une forme d’équivalence, adaptée à toute une partie du corpus biblique de l’Ancien Testament et le souhait de trouver ainsi un enseignement philosophique dans le langage biblique explique l’importance prise par les commentaires de l’Ecclésiaste ou du Cantique des Cantiques dans les premiers siècles. A travers eux vont s’élaborer des réponses à l’anthropologie et à la cosmologie de la pensée grecque. 4 Enfin, dans une dernière étape, la nécessité de battre en brèche les affirmations conceptuelles des hérétiques, Eunome en particulier dans le cas de Basile de Césarée et de Grégoire de Nysse, oblige à ajuster langage biblique et langage philosophique. Ce sont trois instances, trois niveaux de langage qui entrent alors en jeu, chacune avec son statut propre : le texte biblique, la confession de foi, le développement théologique. 5 Plus encore que les trois niveaux d’interprétation définis dans le Traité des Principes d’Origène5, la réflexion de Paul : « La lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Co 3,6) permet de comprendre le refus de (et l’allergie à) tout littéralisme6. On laisse de côté ici l’anti-judaïsme auquel cette affirmation a pu donner lieu ; beaucoup plus largement, elle signifie que le texte biblique exige d’être traduit et, en ce sens, les Pères sont, pourrait-on dire, fils de la Septante, traduction première. 6 Dans un article paru en 1990, « Références philosophiques et références bibliques du langage de Grégoire de Nysse dans les Orationes in Canticum Canticorum », M. Harl7 propose des remarques éclairantes sur les choix lexicaux des traducteurs. Constatant que dans son édition du texte grec des Homélies sur le Cantique, H. Langerbeck signale en note, pour expliquer certains passages, à la fois des références bibliques et des références philosophiques, M. Harl s’interroge sur la légitimité de tels parallèles et, avant de prendre appui sur quelques exemples, remarque : 7 Les exemples pris ensuite montrent à l’œuvre ce système de double référence9 et il est intéressant de noter qu’il s’agit tantôt de termes abstraits (hékousion, acte volontaire, et homoiôsis, ressemblance), tantôt d’images : « les montées de l’âme » et les « ailes ». Cette distinction a son importance car elle réfute ce qu’a de 8 Le sens littéral correspond bien aux réalités [...] Mais si le bois est jeté dans l’eau, c’est-à-dire si l’on adhère au mystère de la résurrection qui a eu son principe dans le bois - par bois tu as compris évidemment la croix -, alors la vie vertueuse devient plus douce et plus rafraîchissante que toute douceur dont le plaisir flatte les sens... simpliste une opposition entre un langage biblique concret, imagé et un langage conceptuel né dans la culture hellénique ; elle nous invite également à considérer le fonctionnement à double sens de l’interprétation allégorique. Dans la tradition alexandrine, l’interprétation du récit biblique rapportant les épisodes de la vie de Moïse donne lieu, chez Philon puis chez Grégoire de Nysse, après une paraphrase10 du récit qui veut honorer le sens « historique », la réalité de l’événement, à une interprétation allégorique morale et spirituelle. Le caractère concret, « incarné » ou charnel, du texte narratif est transposé en une représentation de la vie morale et spirituelle. Lorsque Moïse transforme avec son bâton l’eau amère en eau de source (Ex 15,25), Grégoire de Nysse11 commente : 9 On reconnaît dans ce passage les figures du mystère du Christ élaborées par la prédication chrétienne dès ses débuts ; la lecture de l’Ancien Testament relève alors de l’évidence. La locution toutesti peut alors servir à marquer l’équivalence entre Ancien et Nouveau Testament : ainsi à propos de l’expression paulinienne « Revêtez le Seigneur Jésus » (Rom 13,14) - « c’est-à-dire l’armure résistante, mais non pesante, dont la protection efficace a permis à Moïse de rendre inefficace l’Archer mauvais » (Vie de Moïse, uploads/Philosophie/ du-commentaire-biblique-a-l-x27-affirmation-dogmatique 1 .pdf
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- Publié le Sep 25, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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