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téléchargé sur http://michel.puech.free.fr - 1 / 6 Du Gestell (M. Heidegger) au dispositif (M. Foucault) ? Journée d'études de l'Institut de Recherche Philosophique de Lyon 5 juin 2009 téléchargé sur http://michel.puech.free.fr Disposer des dispositifs : le soi soutenable aux temps de l’abondance technologique Michel Puech Je vais prendre en bloc la notion de Gestell/dispositif, sous ses définitions les plus générales, et surtout telle qu’on la trouve de manière courante dans de nombreux discours dénonçant les méfaits de la technologie. L’idée qu’on peut aussi disposer des dispositifs est suggérée par l’hypothèse générale suivante : la notion de Gestell/dispositif mérite mieux qu’une lecture de type « théorie du complot (techno-capitaliste) » ; elle recèle chez Heidegger et Foucault un potentiel critique non- conventionnel, qui réside dans la notion même de disposer, une notion impliquée dans les dispositifs mais qui en est souvent le point aveugle. Il s’agit donc de passer de la lamentation technophobe à la résolution ingénue — « ingénu » étant le qualificatif attribué par Giorgio Agamben à celui qui croit que son téléphone mobile est à son service, sans comprendre que c’est lui qui est au service de ce dispositif1 ; l’ingénu est aussi, dans la philosophie des Lumières, celui dont la simplicité désarme la sophistication factice qui fait consensus. Pour argumenter cette position ma méthode repose sur trois déplacements : - recentrer la notion de dispositif sur le disposer comme verbe actif - recentrer Heidegger sur l’analytique du Dasein dans le monde contemporain (early- Heidegger plutôt que Heidegger comme technophobe de référence) - recentrer Foucault sur la question du soi (late-Foucault plutôt que Foucault sociologue des pouvoirs façon années 1960). Mon objectif est également d’effectuer deux rapprochements : - avec les questions dites de « développement durable », qui constituent me semble-t-il le nouveau contexte de réflexion sur les technologies - avec les philosophies du soi nécessaires à l’Homo Sapiens Technologicus, cette étrange entité qui se soucie de tout… sauf de lui-même, c’est-à-dire en fait qui s’oublie dans les dispositifs, en un sens particulier2. Comme tous les grands textes, les textes de Heidegger sur le Gestell gagnent à être relus sans cesse. Je me concentrerai sur le texte qui a le plus marqué les esprits, Die Frage nach der Technik, conférence de 19533. Heidegger y considère la technique comme un « destin », un moment du déploiement de l’Être, et non une disposition prise par les humains pour aménager leur séjour. On passe de Heidegger I4 à Heidegger II, on se situe dans une tentative pour resituer l’habitation humaine du monde dans le cadre d’une histoire de l’Être, l’accent portant sur ce déploiement de 1 AGAMBEN Giorgio, Qu'est-ce qu'un dispositif ?, trad. M. Rueff¸Paris, Payot, Rivages, 2007, p. 34. 2 PUECH Michel, Homo Sapiens Technologicus. Philosophie de la technologie contemporaine, philosophie de la sagesse contemporaine, Paris, Le Pommier, 2008. 3 HEIDEGGER Martin, „Die Frage nach der Technik“, in : Vorträge und Aufsätze, Pfullingen, Neske, 1954, trad. A. Préau : « La question de la technique », in : Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958 (repr. collection Tel). 4 On appelle « Heidegger I » la phase où Heidegger recherche une analytique de l’existence humaine (du Dasein plus exactement) et « Heidegger II » la phase où il interprète le déploiement de l’Être. Entre les deux se situe un « tournant », qui est aussi le renoncement au rationalisme philosophique traditionnel. Voir RICHARDSON William J., Heidegger: Through Phenomenology to Thought, La Haye, Nijhoff, 1963 ; GRONDIN Jean, Le tournant dans la pensée de Martin Heidegger, Paris, P.U.F, 1987. téléchargé sur http://michel.puech.free.fr - 2 / 6 l’Être et non sur les structures de l’existence humaine. Ce cadre tout à fait particulier donne son sens spécifique à la sorte de destin qu’est pour nous, humains, la technique. Heidegger caractérise en fait très bien l’ère industrielle, comme le moment de ce destin qui nous a conduit, plus que les autres, à exploiter la nature au lieu de la cultiver. Il en donne un exemple que les professeurs de philosophie ne se lassent pas de reprendre : le barrage électrique sur le Rhin, qui non seulement ignore tout de l’histoire mythique et poétique du fleuve germanique, mais surtout exige impérieusement de lui son énergie, le mettant en demeure de la fournir, exploitant le fleuve au pire sens du terme. Plusieurs choses me manquent dans cette célèbre référence rhénane, qui est le dispositif de référence de ce texte heideggérien, et un exemple apparemment limpide de la violence matérielle et symbolique exercée par les humains sur la nature. Ce barrage a été construit par des humains, des ingénieurs aux ouvriers, il a été conçu et édifié, puis inauguré, sans doute dans l’enthousiasme. Ce sont des humains qui l’ont disposé là. Ce barrage a été voulu et décidé, par des humains, selon des procédures partiellement technocratiques et partiellement démocratiques : on a disposé, au sens de décider, que de l’électricité devait être produite par cette technologie en cet endroit, pour alimenter un réseau de distribution aboutissant à telles et telles industries, tels et tels logements. Cette énergie est utilisée, par Heidegger lui-même pour s’éclairer, et par nous pour tous usages, y compris ceux par lesquels, confortablement chauffés, nourris, soignés et distraits, nous philosophons en rédigeant des textes informatiques qui ont besoin d’électricité : nous disposons de cette électricité, elle est à notre disposition. En même temps, nous sommes aujourd’hui sensibles au manque de respect pour le fleuve, à l’absence de considération pour l’environnement en général, dans ce type d’équipements collectifs lourds, nous sommes même capables de modifier cette exploitation industrielle de la nature, de changer de phase : ce barrage nous indispose, il ne satisfait pas complètement toutes nos attentes, il contredit certaines des valeurs auxquelles nous sommes devenus sensibles. Revenons à Heidegger. Il souligne que l’humain mis au service de cette exploitation de la nature devient lui-même un moment des processus d’exploitation. Heidegger évite soigneusement tout ce qui pourrait ressembler à une critique sociale ou à de l’intérêt pour le monde du travail, mais ces meilleurs lecteurs, dont Herbert Marcuse, n’auront pas ces préventions. L’humain, par ce destin, est sujet à ce qu’il faut appeler une aliénation. Mais il peut en prendre conscience, par exemple en lisant de la philosophie critique, et il peut s’en libérer, si toutefois il assume cet éveil de la conscience et n’accepte pas une ontologie du destin qui paralyserait l’action — ce qui sera, comme on le devine, mon option5. Si Heidegger I et II sont le même philosophe, on peut aussi penser que cette situation d’aliénation n’est pas une cause, c’est un effet de sa perte d’authenticité ontologique. L’essentiel reste le mode de déploiement de l’Être, en version Heidegger II, ou le mode de compréhension de l’Être par le Dasein, en version Heidegger I, c’est-à-dire les deux faces du Gestell comme destin. L’homme est « requis » par le Gestell tout autant que le sont les étants. Ce destin définit une « essence de la technique », qui n’est rien de technique… et qui n’est rien d’humain. Heidegger, typiquement, « travaille » le verbe stellen dans de multiples directions, mais sans lui donner un sens de verbe actif ayant l’humain pour sujet. Il est évident qu’écarter une interprétation « anthropologique » de la technique est l’un des objectifs du texte. L’inauthenticité du mode de dévoilement de l’Être dans la technique maintient l’humain dans une inauthenticité de son propre être, et c’est le véritable danger. Ainsi s’organise la transition conceptuelle Geschick / Gestell / Gefahr (destin, disposition technique, danger). A la fin de la conférence, un « salut » s’esquisse, dans l’art, mais seules les dissertations de khâgne feignent d’y croire. Relisons maintenant le dispositif foucaldien. Le dispositif est un système de micro-pouvoirs coordonnés et diffus qui produit ce qu’on appelait autrefois de l’aliénation — il faut ressusciter le terme pour réfléchir sur l’idée faussement récente de dispositif, qui est en fait issue des visions du 5 Voir l’article de Michel Haar sur l’authenticité qui reste possible dans la détresse : HAAR Michel, « Le tournant de la détresse, ou : comment l'époque de la technique peut-elle finir ? », in : Heidegger, Paris, Cahier de l'Herne, Livre de Poche, 1983, 331-358. téléchargé sur http://michel.puech.free.fr - 3 / 6 monde des années 1950 et 1960. Peu de textes de Foucault documentent cette notion de dispositif, que les novices imaginent centrale, et ils datent de la période 1975-1977. Dans une analyse des micro-pouvoirs, Foucault observe que nous n’avons plus besoin de préceptes moraux : « le prestige de la voiture, la politique des équipements ou l’incitation à la consommation permettent d’obtenir des normalisations de comportement tout aussi efficaces »6. Ce type de dispositif caractérise le régime du pouvoir/savoir dans l’Occident contemporain. Foucault étudie particulièrement son fonctionnement dans la mise en place d’un dispositif de gestion des populations7 et la mise en place des dispositifs de politique de la santé8 (en Occident au XVIIIe siècle dans les deux cas). Méthodologiquement, le bon objet des analyses du pouvoir n’est pas dans les structures uploads/Philosophie/ du-gestell-heidegger-au-dispositif-foucault-m-puech 3 .pdf

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