Du symbole selon René Guénon Du symbole selon René Guénon Du symbole selon René
Du symbole selon René Guénon Du symbole selon René Guénon Du symbole selon René Guénon Du symbole selon René Guénon Jean Borella Jean Borella Jean Borella Jean Borella L’œuvre de René Guénon s’organise autour d’un certain nombre de pôles. Définir ces pôles et les relations qui les ordonnent en un tout structuré, c’est non seulement s’en donner une vision synthétique qui seule permet à l’intelligence de l’embrasser uno intuitu, c’est aussi comprendre la situation particulière de chaque élément polaire, et la fonction qu’il remplit par rapport à l’ensemble. Ces éléments polaires sont au nombre de cinq : critique du monde moderne, tradition, métaphysique, symbolique, réalisation spirituelle1. Le premier et le dernier constituent respectivement le pôle préparatoire à la connaissance de l’œuvre (réforme de la mentalité) et son pôle terminal et transcendant (dans la mesure où l’œuvre est essentiellement de nature doctrinale et vise expressément la réalisation comme une fin qui la dépasse). L’essentiel du corpus doctrinal est donc défini par les trois éléments polaires centraux : tradition, métaphysique, symbolique. Chacun de ces pôles marque le sommet d’un triangle que nous appellerons triangle doctrinal de base, par rapport auquel le pôle réalisation et le pôle critique occuperont respectivement le sommet supérieur et le sommet inférieur des pyramides que l’on peut construire sur ce triangle. Nous obtiendrons ainsi des tétraèdes de base commune que nous représenterons dans la figure ci-dessous. Si maintenant nous considérons le triangle doctrinal de base nous dirons que chacun des sommets de ce triangle réalise l’unité des deux autres selon son propre point de vue, ce qu’illustre parfaitement le symbolisme du triangle équilatéral. Nous ne pouvons présentement nous étendre sur cette question. Disons seulement que chacun de ces éléments polaires correspond à chacune de ces instances du ternaire humain : la métaphysique relève de l’intellect, la symbolique du corps, et la tradition de l’âme. La métaphysique unifie tradition et symbolique parce qu’elle en exprime le contenu informel, montrant par là pourquoi la tradition (ou révélation) a revêtu telles et telles formes symboliques2. La tradition unifie activement métaphysique et symbolique puisqu’elle exprime précisément la vérité universelle du Principe à l’aide d’une constellation ordonnée de formes particulières. Enfin – et nous aurons à développer plus spécialement ce point de vue – la symbolique réalise de facto l’union de l’universel métaphysique et de la contingence de la tradition : unité par la métaphysique, unification par la tradition, union par le symbole. Telle est la situation du symbole chez Guénon, et l’on conviendra que cette synthèse doctrinale frappe autant par son ampleur que par sa clarté et sa précision. Il nous faut maintenant tenter de caractériser la conception propre que Guénon nous présente du symbole. A vrai dire une telle entreprise présuppose qu’il existe bien quelque chose comme une conception guénonienne du symbolisme, ce que Guénon lui-même récuserait formellement. La doctrine qu’il expose en la matière s’identifie à ses yeux à la vérité pure et simple du symbolisme sacré. Une telle prétention peut sembler exorbitante. Nous la croyons cependant justifiée, et c’est précisément pourquoi elle est paradoxalement unique et originale, dans la mesure même où elle se distingue de toutes les autres théories du symbolisme. Ce n’est pas ici le lieu d’en exposer la démonstration. Il faudrait restituer la doctrine guénonienne dans son intégralité et passer en revue les diverses théories modernes et contemporaines qui se sont proposé d’expliquer le symbole 3. Mais on peut au moins reconnaître ceci, qu’on ne saurait discuter : cette doctrine est la seule qui soit parfaitement et rigoureusement accordée à son objet, c’est-à-dire aux symboles sacrés eux-mêmes. C’est là un fait que le monde est à même de constater, et sur lequel il convient d’abord de nous arrêter, car s’il n’est peut-être pas de domaine où l’influence de Guénon ait été aussi féconde et étendue que celui du symbolisme 4, il s’en faut cependant que les théoriciens du symbolisme lui accordent autre chose qu’une dédaigneuse inattention. « L’interprétation de Guénon, écrit Michel Deguy dans l’un des rares articles consacrés à sa doctrine du symbolisme, reste indécidable du point de vue scientifique et, chose curieuse, elle vient se ranger en définitive à côté des autres vues totalitaire, freudienne ou structuraliste, etc., sa prétention de détenir le sens dernier des symboles et du symbole 5 . » Or cette affirmation n’est objective qu’en apparence. Il faudrait d’abord distinguer entre le freudisme et le structuralisme, car le second n’a nullement la prétention de détenir le sens dernier des symboles, puisque, tout au contraire, il affirme qu’un tel sens n’existe pas : « Le sens est toujours réductible, déclare Levi-Strauss , « ?…? derrière tout sens il y a un non-sens, et le contraire n’est pas vrai 6 » ; non-sens indiquant seulement ici l’absence de sens et non l’absurde. Tout ce que peut dire Lévi-Strauss, c’est que la construction des mythes et des symboles reflète les structures classificatoires de l’esprit, ou plutôt de la mécanique intellectuelle qui les a produits 7, et c’est tout. Il n’y a pas de sens caché à décrypter, le structuralisme entend se situer tout entier dans un univers sans Logos : il n’y a ni dedans ni profondeur, mais un pur fonctionnement d’unités différentielles. Bref, le structuralisme n’interprète pas, il se borne à constater et à réduire : le sens est l’illusion même du symbolisme. Une telle doctrine est peu réfutable, mais surtout parce qu’elle ne dit rien. Elle n’a en soi aucun intérêt, ni même d’existence. Elle se condamne à la décomposition analytique des données mythologiques 8. Elle rejoint cependant la doctrine traditionnelle dans la mesure où, comme elle, elle met en évidence l’ordre rigoureux et la parfaite cohérence du langage mythique. Tout autre est la doctrine freudienne qui se veut expressément herméneutique, c’est-à-dire déchiffrement du sens. Ici le discours symbolique n’est plus un simple arrangement d’éléments différenciés, en eux-mêmes, dénués de signification (seule la forme de l’arrangement a de l’intérêt), mais il présente un sens apparent dont l’herméneute (ou le psychanalyste) est seul à posséder la clef. Nous retrouvons donc la conception classique du symbole comme forme sensible cachant et révélant à la fois une réalité en elle-même invisible. Le sens du symbole est constitué par la relation même que ce sensible entretient avec cet invisible, relation que met au jour l’interprète. C’est alors sur son propre terrain que le freudisme va concurrencer la doctrine traditionnelle en en présentant une inversion radicale, conformément à son caractère le plus fondamental qui est de se constituer en contre-religion. En effet, non seulement, comme on le sait, l’herméneutique freudienne assigne aux symboles culturels ou individuels une signification purement sexuelle, mais encore elle fait symboliser l’inférieur par le supérieur, alors que, Guénon l’a souvent rappelé, l’une des règles essentielles du symbolisme, c’est que les « lois d’un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser les réalités d’un ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin 9 ». On pourrait sans doute objecter que la distinction de l’inférieur et du supérieur est arbitraire et qu’une pensée qui fonctionne selon un tel schéma topologique est prisonnière d’une illusion. On le pourrait, si l’on était soi-même capable de s’élever à un point de vue où toutes les distinctions sont abolies – mais alors, loin de les refuser, on en saisirait la nécessité – et si Freud lui- même n’avait pas adhéré profondément à une telle distinction, car son moralisme foncier ne fait aucun doute. Et cela nous met sur la voie d’une importante remarque. C’est que, s’il a symbolisme chez Freud, c’est précisément en fonction d’une censure morale qui interdit à certaines pulsions, à certains désirs, de se manifester comme tels. Ils ne peuvent donc que se déguiser. Ainsi le symbolisme est toujours mensonger. Révélateur, certes, mais par son mensonge même. Ce n’est pas avec lui, c’est contre lui que sa vérité est recouvrée. Cette herméneutique, que Ricoeur a justement nommée « herméneutique du soupçon » parce qu’elle consiste d’abord à refuser d’écouter ce que profère le symbole et à le soupçonner d’être essentiellement déguisement, déclare donc en réalité la guerre aux symboles. Loin d’être une redécouverte du monde des symboles comme le répètent à l’envi, avec les meilleures intentions, bien des spécialistes, la psychanalyse est la plus redoutable machine de guerre antisymbolique. Au reste, puisque cela est nécessaire, nous rappellerons à tous ceux qui préfèrent parler de Freud plutôt que de le lire, cette déclaration non équivoque : « Puisse un jour l’intellect – l’esprit scientifique, la raison – accéder à la dictature dans la vie psychique des humains ! tel est notre vœu le plus ardent 10. » Les amoureux de l’«imaginaire » n’ont qu’à bien se tenir ! Au contraire, chez Guénon, la nécessité du symbole ne dérive pas fondamentalement d’une volonté (ou d’un travail inconscient) de déguisement, mais de la nature des choses. Il n’y a en effet, pour une telle réalité supérieure, aucune possibilité de se manifester comme telle sur un plan inférieur, parce que les conditions plus limitatives de ce plan d’existence uploads/Philosophie/ du-symbole-selon-rene-guenon.pdf
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- Publié le Oct 07, 2021
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