112 Dr Berni NAMAN Passions et Raison dans la Philosophie Politique de Spinoza

112 Dr Berni NAMAN Passions et Raison dans la Philosophie Politique de Spinoza Résumé L’homme est un être de passions. Ces passions, il l’applique tantôt à se conserver tantôt à se détruire. Mais le plus souvent, les passions destructrices l’emportent. Face à la menace et aux risques de déstabilisation de la société provoquée par les passions, le problème qui se pose désormais est de savoir comment construire une société politique dans laquelle vivent, dans la concorde et la sécurité, les individus passionnés. Pour Spinoza, la solution ne réside pas dans la suppression ni la condamnation des passions, bien au contraire, dans l’introduction de la raison dans le champ des passions. Cette raison à pour tâche de transformer au maximum, au moyen de la connaissance, des passions en actions et de favoriser l’expression de la liberté. Mots Clés : Désir, Liberté, Nature, Passions, Raison, Abstract The man is passions being. These passions, he applies him to keep this afternoon to destroy itself. But most of the time, the destructive passions take him. In front of the threat and of the risk of destabilization of the company caused by the passions, the problem that arises from now is not to know how to build a political company in which live, in the harmony and safety, the passionate individuals. For Spinoza, the solution does not live in the abolition nor the condemnation of the passions, quite the opposite, in the introduction of the reason in the field of the passions. This reason in for task to transform at the most, by means of the knowledge, the passions into actions and to favor the expression of the freedom. Keywords: Desire, freedom, nature, passions, reason. 113 Liens Nouvelle Série Passions dans la philosophie politique de Spinozza Introduction Naturaliste ou rationaliste, Spinoza se trouve pleinement au fondement de ces deux courants philosophiques. Pour s’en apercevoir, il suffit d’analyser de plus près sa démarche et l’objectif poursuivi par sa philosophie. En effet, l’entreprise de Spinoza est de parvenir à une philosophie politique. Une philosophie qui doit réaliser la fin ultime : la pensée libre et la vraie vie. Or les conditions de réalisation de cette fin ultime passent nécessairement par la connaissance de l’homme qui inclut nécessairement celle de sa nature car d’après Spinoza, « c’est de la nature commune des hommes, c’est-à-dire de leur condition, qu’il faut déduire les causes et les fondements naturels des pouvoirs publics »1. Il ressort de cette étude, que l’homme en tant que mode fini, est un être de passion et déterminé. Mais dans ce déterminisme universel, Spinoza ne pense pas réduire l’homme à une simple machine encore moins le mépriser. Bien au contraire, il souhaite lui donner les moyens d’agir sur ses passions par une connaissance rationnelle de celles-ci. Partant, la démarche spinoziste consistera à construire d’une part, une philosophie de la politique entièrement rationnelle axée sur l’accord des substances individuelles pensées comme des conatus lorsqu’elles agissent selon la Raison et de l’autre, se fonder sur la reconnaissance et l’importance des passions. Mais comment une telle philosophie de la politique peut-elle être possible dans une société à forte manifestation des substances individuelles, où le conatus est la seule norme et le seul principe de vie ? Comment parvenir à réaliser la fin de la multitude dans une communauté soumise au poids des passions ? La réponse se trouve dans l’Éthique dans laquelle Spinoza se propose, d’une part l’idée d’ « une communauté humaine conduite par la raison 2» et de ce fait, se présente comme l’une des tentatives les plus abouties pour conférer une signification positive à l’expression si souvent oxymorique « philosophie politique ». De l’autre, la dynamique des passions anime l’ordre social pour le meilleur et pour le pire. Meilleur dans la mesure où l’expression des passions renforce la puissance collective rendant inutile le modèle contractualiste et pire en ce sens qu’elle attise la haine notamment dans le cas des passions religieuses. Alors, si la démarche spinoziste consiste à ne ni blâmer ni proscrire les passions, encore moins ni changer radicalement l’homme passionné, ni même d’apaiser intégralement les tumultes qui naissent spontanément dans la cité, comment pourrait-on parvenir à une communauté politique guidée par la Raison ? Autrement dit, qu’est-ce que peut être une politique philosophique à la fois pleinement rationnelle et admettant l’influence des passions dans la conduite des hommes ? La réponse à ces interrogations parait reposer, chez Spinoza, sur le traitement qu’il fait de la relation entre passions et Raison. 1. Formation des passions et risque de décomposition sociale Pour comprendre la formation des passions, chez Spinoza, il faut partir de la théorie des affects. L’affect désigne le mode d’action de l’être. Spinoza en distingue deux sortes : les affects actifs, c’est-à-dire, les Dr Berni NAMAN N° 18 Décembre 2014 1 SPINOZA (Baruch).- Traité politique, trad. Charles Appuhn (Paris, GF., 1966), p.14. 2 SPINOZA (Baruch).- Ethique, trad. Charles Appuhn (Paris, GF., 1965), p.139. 114 actions qui s’expliquent par la nature de l’individu et qui sont l’effet de son désir ou qui dérive de son essence et les affects passifs, c’est-à-dire, les passions. Mais, si le désir est fondamentalement un acte, il ne sera donc pas par lui-même la cause des passions. Celles-ci ne sont plus, pour Spinoza, attachées à la condition humaine et ne marquent pas une impuissance essentielle et indépassable, objet de tous les mépris et de toutes les réprobations. Pour Spinoza, les passions ne sont qu’une forme de la vie du désir, sa forme passive. En effet, le désir, en tant que puissance et force d’exister, n’est pas par essence, passivité. Toutefois, il peut devenir passion, car les désirs sont susceptibles de subir les causes extérieures. Ainsi, la démarche spinoziste consiste à situer les passions parmi les phénomènes qui nous affectent, c’est-à-dire, dont nous ne sommes que partiellement la cause. C’est ce qu’il exprime dans la Définition III : « Je dis que nous sommes passifs quand il se fait en nous quelque chose ou qu’il suit de notre nature quelque chose, dont nous ne sommes la cause que partiellement. J’attends par affection, les affections du corps par lesquelles la puissance d’agir de ce corps est accrue ou diminuée, secondée ou réduite, et en même temps les idées de ses affections »3. Les hommes étant des modifications de la substance unique, leur nature est à la fois active et passive. Active en tant qu’ils sont des modes de la nature naturante4 si bien qu’ils l’expriment ou peuvent l’exprimer, en étant ainsi cause adéquate de ce qui se produit en eux ou hors d’eux ; passive puisqu’en étant un mode, donc un individu de la nature naturée5, l’homme n’existe qu’en relation avec les autres individus et subit ainsi des affections, étant donné qu’il ne peut être conçu sans les autres parties de la nature. Cette double nature, si l’on peut dire, ne se confond point pour autant avec ce qu’on pourrait appeler la double nature traditionnelle qui partage l’homme en raison et passion (Kant), intelligible et sensible (Platon), ou esprit et corps (Descartes). Contre ce dernier, la critique de Spinoza est plus virulente. En effet, Il y a, selon Descartes, une grande distinction entre l’âme et le corps. L’âme est une substance pensante (res cogitans ou « chose qui pense »6), la matière est une substance étendue (res extensa ou « chose étendue »7). Ces deux substances, quoique distinctes, sont étroitement liées. Ainsi dit, selon Descartes, l’homme est un composé de deux substances. Spinoza ne pense pas que le dualisme cartésien soit en mesure de rendre compte de la réalité humaine parce qu’ « il n’est pas possible que l’homme ne soit pas une partie de la Nature et n’en suive pas l’ordre commun 8». Ainsi donc, l’être de l’homme peut être éclairé en référence aux deux attributs de la substance : la pensée et l’étendue. L’homme n’est pas une Substance, selon Spinoza, car « ce n’est pas une Substance qui constitue la forme de l’homme9 », c’est-à dire, un être isolé et autonome. L’homme est constitué comme toute chose par l’individuation de ses deux aspects que sont la pensée et l’étendue 3 SPINOZA (Baruch).- Éthique, trad. Fr. Charles Appuhn (Paris, GF., 1965), pp.134-135. 4 Par nature naturée, Spinoza entend tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de celle de chacun de ses attributs de Dieu, entant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues in Éthique, trad. fr Charles Appuhn (Paris, GF., 1965), p.53. 5 Par nature naturante, Spinoza entend ce qui est en soi et est conçu par soi, autrement dit ces attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, ou encore, Dieu entant qu’il est considéré comme cause libre in Éthique, trad. fr Charles Appuhn (Paris, GF., 1965), p.53. 6 DESCARTES (René).- Les Méditations métaphysiques, œuvres et opuscules philosophiques (Paris, 1994), p.40. 7 Ibidem 8 SPINOZA (Baruch). - Éthique, trad. Fr. Charles Appuhn (Paris, GF., 1965), p.224. 9 Idem uploads/Philosophie/berni-naman-passions-et-raison-chez-spinoza.pdf

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