SCIENCE SPECULATIVE ET METAPHYSIQUE DES SCIENCES DE LA NATURE CHEZ HEGEL On con
SCIENCE SPECULATIVE ET METAPHYSIQUE DES SCIENCES DE LA NATURE CHEZ HEGEL On considère communément que la philosophie hégélienne de la nature souffre des défauts généraux de la Naturphilosophie allemande de l’époque. Et l’on considère tout aussi communément que ces défauts tiennent un certain rapport de la science et de la philosophie. Les philosophies de Schelling et de Hegel se caractériseraient par une tentative visant à substituer la métaphysique aux sciences positives. Et c’est dans leurs Naturphilosophie que l’absurdité de se projet apparaîtrait le plus clairement, puisqu’il conduirait ces philosophes à s’opposer aux savoirs positifs les plus solides, comme la mécanique newtonienne, et à opposer a de telles sciences des thèses douteuses ou franchement fausses. Si l’on en croit cette interprétation, les Naturphilosophie de Schelling et de Hegel tenteraient donc de nier la scientificité des sciences positives, et exigeraient d’elles qu’elles rentrent sous le giron d’un discours métaphysique lui-même identifié à la science véritable. On sait que dans la Préface de la Phénoménologie de l’esprit, Hegel écrit que son « propos est de collaborer à ce que la philosophie se rapproche de la forme de la science – se rapproche du but qui est de pouvoir se défaire de son nom d’amour du savoir et d’être savoir effectif »1. Si l’on en croit cette interprétation, cette volonté de faire de la philosophie une science ne consisterait en fait qu’en une revendication anachronique de la définition de la métaphysique comme reine des sciences. Une telle interprétation est-elle acceptable ? Il semble qu’elle s’applique effectivement à certaines des nombreuses versions de la philosophie schellingienne de la nature, et encore faudrait-il préciser et nuancer 2. En revanche, pour ce qui est de Hegel, cette interprétation relève du pur contresens, et cela, au moins pour deux raisons, d’une part, parce que le concept hégélien de science est solidaire d’une critique de la métaphysique, d’autre part, parce qu’il définit le projet d’une fondation spéculative des sciences positives qui respecte l’indépendance des sciences positives. Il ne s’agit pas pour Hegel de nier les sciences positives au profit d’une science spéculative, mais d’articuler deux type de scientificité 3. Pour faire ressortir les moments fondamentaux du rapport que Hegel prétend instituer entre science spéculative et science positive, il peut être utile de prendre le fil conducteur la question de la métaphysique. La question de la métaphysique présente un double intérêt. Elle permet d’une part de préciser le sens du concept de science spéculative qui, on l’a dit, est solidaire d’une certaine critique de la métaphysique. Elle permet en outre de préciser la nature du rapport de la science spéculative et de la science empirique. On verra que Hegel soutient que toute science à sa métaphysique. C’est là un fait qui tout à la fois justifie la fondation spéculative et la critique philosophique des sciences. C’est un fait qui justifie le projet d’une fondation philosophique des sciences dans la mesure où il implique que soit présent dans les sciences un type de rationalité que seule la philosophie peut prendre en charge. C’est également un fait qui justifie une critique des sciences, car, comme on le verra, tout ce passe comme si la critique de la métaphysique des métaphysiciens se projetait dans la critique de la métaphysique des scientifique. Je commencerai par expliquer quel est le sens du projet visant à donner à la philosophie la forme d’une science, et comment il est lié à la critique de la métaphysique. J’en viendrai ensuite à la thèse suivant laquelle toute science a sa métaphysique. J’ai dit à l’instant que le concept hégélien de science spéculative est lié à une critique de la métaphysique. C’est là un fait : on constate en effet que dans la plupart des textes où Hegel présente le point de vue spécifique de la spéculation, il développe également une critique de la métaphysique. C’est vrai dans la préface de la première édition de la Logique, c’est également vrai de l’introduction de la Logique et du concept préliminaire de l’Encyclopédie. Ce fait est-il insignifiant, ou faut-il au contraire considéré que le concept hégélien de science est essentiellement lié à une certaine critique de la métaphysique ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par étudier le sens de la critique hégélienne de la métaphysique. Si l’on se reporte aux textes que je viens d’énumérer, on s’aperçoit immédiatement que cette critique de la métaphysique ne consiste pas en un rejet définitif de la métaphysique, qu’elle consiste plutôt en la dénonciation d’une certaine forme de métaphysique, en la dénonciation de ce que Hegel nomme « l’ancienne métaphysique », de la métaphysique qui avait cours « avant la philosophie kantienne »4. D’une part, Hegel soutient que l’ancienne métaphysique est définitivement périmée et qu’il ne servirait à rien de tenter de la réanimer5. Mais d’autre part, il déplore l’abandon de la métaphysique, en y voyant un phénomène étrange. Dans la préface de la première édition de la Logique, Hegel écrit à ce propos qu’« il est pour le moins étrange qu’un peuple perde sa métaphysique », il parle également du « spectacle étrange 1 Préface de la Phénoménologie de l’esprit, trad. J.P. Lefebvre, GF, 1991, p. 39. 2 Voir à ce propos, F. Fischbach, E. Renault, « Présentation », in Schelling, Introduction à l’esquisse d’un système de Naturphilosophie, Le livre de poche, 2001. 3 Il convient à la fois de dire qu’on a affaire à deux types de scientificité, et que ces deux types de scientificité sont indissociables l’un de l’autre, qu’aucune ne peut être ce qu’elle doit être sans le concours de l’autre. C’est en ce sens que Hegel écrit par exemple dans l’additif du § 246 que « la physique et la philosophie doivent travailler main dans la main ». La philosophie a besoin du concours de la Naturphilosophie, car elle doit s’appuyer sur les résultats des sciences de la nature si elle veut étudier rationnellement la nature. La physique à elle-même besoin de la philosophie dans la mesure où c’est seulement qu’une théorie spéculative de ses principes et de ces rapports avec les autres sciences qui peut la fonder comme une science véritable. 4 Science de la Logique, t. 1, p. 2, 13 ; Encyclopédie, § 27. 5 Ibid., p. 4 : « quand la forme substantielle de l’esprit est passée en une autre figure, il est définitivement vain de vouloir maintenir les formes de la culture antérieure ». d’un peuple cultivé dépourvu de métaphysique »6. Hegel s’engage donc dans un double mouvement de critique et de défense de la métaphysique, c’est ce qui explique que l’on ait pu interpréter la Logique soit comme une tentative visant à accomplir la métaphysique7, soit au contraire comme une critique radicale de la métaphysique8. Si l’on désire comprendre ce qui l’emporte, la défense où la critique, il faut prendre le rapport de Hegel à Kant pour fil conducteur. En effet, dans ces textes introductifs, la référence à Kant est centrale. Kant est y présenté comme celui qui périme définitivement une certaine forme de métaphysique, et qui définit le projet d’une transformation de la métaphysique en logique. Ce projet, c’est le projet d’une logique transcendantale. Hegel le reprend à son compte. Il écrit ainsi que sa Logique « correspond à la logique transcendantale »9 de Kant. Hegel reprend donc à son compte l’idée d’une logique transcendantale qu’il identifie au projet d’une transformation de la métaphysique en logique. Mais il reproche également à Kant d’avoir mis en œuvre ce projet de manière inadéquate. Il lui reproche en effet qu’avoir entendu cette substitution de la logique à la métaphysique comme une négation de la métaphysique plutôt que comme une transformation de la métaphysique. La question de savoir si il y a effectivement une négation de la métaphysique chez Kant est une question complexe. Au sens de la définition kantienne de la métaphysique comme connaissance par raison pure, la logique transcendantale est bien une métaphysique. Cependant, au sens de la définition traditionnelle de la métaphysique, on peut admettre que chez Kant, la logique transcendantale ne peut plus être considérée comme une métaphysique, puisqu’elle n’énonce que les règles de la pensée pure des objets de l’expérience (des phénomènes), et non les règles de la pensée des objets en général (des objets en tant que chose en soi). On peut d’ailleurs remarquer que c’est en ce sens que Kant propose de substituer le nom d’analytique de l’entendement pur à celui d’ontologie. On peut lire dans le chapitre consacré à la distinction des objets en phénomènes et en noumème que : « le titre pompeux d’une ontologie, qui prétend donner, des choses en général, une connaissance synthétique a priori dans une doctrine systématique, doit faire place au titre modeste d’une simple analytique de l’entendement pur »10. C’est précisément cette restriction qui est refusée par Hegel. Il déplore en effet que, dans la transformation kantienne de la métaphysique en logique, le logique n’ait plus qu’ « une signification essentiellement subjective »11, ou encore, que dans cette logique, la logique soit considérée « sans nul égard à la signification métaphysique »12. uploads/Philosophie/ e-renault-science-speculative-et-metaphysique-chez-hegel 1 .pdf
Documents similaires
-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1367MB