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Retour à l'accueil - Atelier philosophique - Le don - Sentences, aphorismes et brèves remarques - Lectures - Cours et conférences - Visages de la pensée - Liens et contacts Retour au menu Textes & Articles Éducation et instruction (ce texte est la version revue et corrigée sur des points de détail d’un article paru en mars-avril 1994 dans la revue L’enseignement philosophique 44eme année Numéro 4) Éduquer ou instruire, quelle est donc la fin de l’École ? Qu’on ne se hâte pas de répondre qu’il s’agit là d’une vaine question ou d’un faux problème. Il y a plutôt là un vrai problème qui est ordinairement mal posé parce que posé en des termes rhétoriques, c’est-à-dire en des termes tels que la question induit, voire même inclut la réponse. Celle-là inclura celle-ci dès lors qu’on assignera aux termes qui la composent des définitions réductrices ou caricaturales propres à constituer en repoussoirs les concepts qu’ils signifient. Comme l’écrit justement M. Muglioni, « le rapport entre instruction et éducation dépend des variations qui affectent la compréhension de chacun des deux termes [1] ». Sans doute l’instruction se définit-elle nominalement comme la transmission de connaissances ; mais que l’on prenne cette définition nominale pour une définition réelle, qu’on la comprenne comme inculcation autoritaire d’un amas de connaissances éparses, qu’on lui associe quelques images répulsives comme celles de l’entonnoir et du gavage des oies, et l’on n’aura guère de peine à démontrer que l’École faillirait à sa tâche en se donnant un tel idéal. On peut ainsi déprécier l’instruction au profit de l’éducation. Le résultat opposé sera tout aussi aisément obtenu pour peu qu’on assimile l’éducation à une sorte de dressage par lequel on amènerait l’enfant à adopter un certain nombre de comportements déterminés : si l’on réduit l’éducation à l’acquisition de bonnes manières, on n’aura pas de mal non plus à faire admettre qu’il y a tout de même d’autres missions dont l’École doit s’acquitter. Mais en vérité éduquer n’est pas dresser – c’est même tout le contraire, comme on le verra un peu plus loin – et instruire ne consiste pas davantage à gaver de connaissances. Cela ne consiste même pas à transmettre le savoir, comme si le savoir pouvait se transmettre à la façon d’un héritage, ou comme un bâton-relais qui passe d’une main à l’autre, savoir-relais qui se déverserait d’un esprit dans l’autre, par capillarité, selon l’imagerie ironiquement évoquée par Platon au début du Banquet : « Alors Agathon, qui occupait le dernier lit, s’écria : « Viens t’asseoir ici, Socrate, près de moi, afin qu’en te touchant tu me communiques les sages pensées qui te sont venues dans le vestibule » (…). Alors Socrate s’assit et dit : « Il serait à souhaiter, Agathon, que la sagesse fût quelque chose qui pût couler d’un homme qui en est plein dans un homme qui en est vide par l’effet d’un contact mutuel, comme l’eau passe par l’intermédiaire du morceau de laine de la coupe pleine dans la coupe vide [2] ». Ainsi donc, pour décider si la tâche de l’École est d’instruire ou d’éduquer, il faut préalablement déterminer ce que c’est qu’instruire et ce que c’est qu’éduquer ; il faut, par-delà le sens des mots, déceler l’essence des choses désignées par les mots. Au terme de ce travail d’élucidation, l’opposition de l’éducation et de l’instruction apparaîtra peut-être superficielle, et profonde leur identité. Restera alors à résoudre la question de la finalité de l’École, qui ne s’en posera qu’avec plus d’acuité. I. L'identité de l'éducation et de l'instruction A – Instruction et liberté Comme l’étymologie l’indique assez bien, instruire c’est outiller, équiper, munir ou encore armer. On le voit sans peine, fournir à quelqu’un les outils qui lui permettront de fabriquer quelque chose est tout autre chose que lui procurer la chose toute faite : dans un cas il reste dépendant, dans l’autre il devient autonome. Si donc s’instruire consiste bien à acquérir des connaissances, on ne peut acquérir des connaissances qu’à la condition de les construire et c’est pourquoi instruire quelqu’un, c’est-à-dire travailler à ce qu’il acquière des connaissances, ne peut jamais consister à lui transmettre celles-ci : tout simplement parce qu’on ne peut transmettre une activité de construction. On peut seulement fournir certains des outils qui permettent de l’exercer et peut-être, mais c’est une autre histoire, éveiller en l’autre le désir de l’entreprendre. Que la nature de l’instruction soit d’être une auto-construction, que le sens de l’instruction soit l’autonomie, voilà qui n’est une nouveauté ni pédagogique, ni épistémologique. Un double détour, une incursion dans l’œuvre de Platon, une excursion dans celle de Thomas d’Aquin nous permettront de nous en assurer. 1 – La nature de l’instruction : instruire, construire, guérir Un homme peut-il en instruire un autre en produisant en lui la science ? Telle est la question à laquelle se propose de répondre l’article 1 de la question 117 de la Prima primae de la Somme théologique [3]. Pourquoi une telle question ? Sans doute parce qu’il faut discuter les théories de la connaissance qui, à l’instar de celle de Platon (la réminiscence) et d’Averroès (l’unicité ou non-multiplication de l’intellect), impliquent une réponse négative ; mais aussi et corrélativement parce qu’une réponse positive est loin de s’imposer avec évidence lorsque, comme saint Thomas, on se représente l’intelligence comme une puissance active, constructive et personnelle. Qu’est-ce en effet que connaître ? Au sens le plus large, connaître c’est se représenter. Quant à la représentation, comme son nom l’indique, elle est la présence en moi de ce qui est pourtant hors de moi [4]. Toutefois ce n’est évidemment pas la chose elle-même qui est présente dans mon esprit lorsque je la connais, mais quelque chose qui lui ressemble, une « similitude ». Celle-ci peut être une image singulière de la chose : on est alors au niveau de la connaissance sensible, commune à tous les êtres doués de sensation. Mais outre le sens, faculté du singulier, les hommes disposent d’un intellect, faculté de l’universel, qui les rend aptes à la connaissance intellectuelle, capables donc d’avoir de la chose une idée et pas seulement une image, capables par conséquent d’atteindre sa quiddité et pas seulement tel ou tel de ses accidents extérieurs. Connaître pour eux n’est pas seulement sentir, mais accueillir en eux la forme intelligible de la chose. Instruire un autre homme consistera donc à faire en sorte qu’il accueille des formes intelligibles. Mais comment cela peut-il se faire ? Est-il possible que la forme qui réside dans l’esprit du maître soit d’une manière ou d’une autre la cause de celle qui va naître dans l’esprit de l’élève ? Et si oui, de quelle manière ? Telle est la position thomiste du problème. Pour penser l’acte d’instruire, un premier modèle est à exclure, celui-là même qui est suggéré par la notion de « transmission des connaissances » : il est impossible que la forme qui est dans l’esprit du maître passe dans l’esprit de l’élève. Chacun sait, et les professeurs le savent mieux que les autres, qu’on ne perd pas son savoir en le transmettant, bien au contraire. Saint Thomas ajoute que la science qui est dans le maître n’est pas « numériquement parlant [5]» la même que celle qui est engendrée dans le disciple. Mais pourquoi ? Avant tout parce que l’intelligence est personnelle : là est le véritable enjeu de la polémique contre Averroès dont la thèse, l’unicité de l’intellect, aboutit à cette double conséquence que tous les hommes ont les mêmes formes intelligibles et que le maître ne peut causer dans l’esprit de l’élève une science autre que celle qu’il possède : c’est l’innovation qui se trouve frappée d’interdit. Pourtant la conception averroïste n’est pas totalement fausse. Elle met en évidence que la science est une, et une la vérité : s’il y avait plusieurs vérités, il n’y aurait pas de vérité. Lorsque Pierre et Paul comprennent que le plus court chemin d’un point à un autre est la ligne droite, c’est bien la même vérité qu’ils comprennent. Mais ceci ne vaut qu’ « au point de vue de l’unité de la chose connue [6] » : l’unité de l’objet connu n’implique pas qu’il y ait unité des sujets connaissants dans leur manière de connaître. Autrement dit, il faut distinguer le concept formel et le concept objectif. En effet les concepts sont à la fois des informations de notre pensée (nous avons tous un concept du cheval ou du triangle qui est une certaine organisation de notre intellect) et desinformations sur quelque chose (les concepts visent des objets). Le concept formel est ce qui vise, le concept objectif est le visé du concept formel, son contenu. Or nous avons tous des concepts formels différents parce que, contrairement à ce que soutient Averroès, nous avons tous des intellects différents. Ainsi nos concepts formels sont individuels et singuliers, situés et datés : mon concept du cheval ou du triangle est né quand je l’ai formé et il ne me survivra pas. Entre temps, il aura pu évoluer au fur uploads/Philosophie/ education-et-instruction.pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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