Après plusieurs années de discours alarmistes sur le niveau de l’enseignement a
Après plusieurs années de discours alarmistes sur le niveau de l’enseignement au Maroc, on parle volontiers, depuis la publication de la Charte Nationale d’Éducation et de Formation en 1999, d’un renouveau possible. Les notions de « qualité », voire « d’excellence » sont omniprésentes dans les titres des innombrables colloques et autres congrès, organisés aussi bien par le Ministère de l’Éducation Nationale, les Académies et les Universités que par différentes associations d’enseignants intégrés à des réseaux internationaux d’« experts ». Le chantier de la décennie que constitue la Réforme a, incontestablement, impulsé une dynamique de réflexion sans précédent. 2Il nous semble néanmoins qu’un décalage existe entre ce vaste mouvement de manifestations officielles, le foisonnement apparent d’idées et de recommandations et la force intellectuelle potentielle en attente d’orientation, de structuration, d’enrichissement, d’ouverture que l’on perçoit chez les enseignants, chez les élèves et chez les étudiants. 3Emportés par le charme équivoque des échafaudages théoriques proposés par une « modernité » soucieuse de construire une « économie » planétaire de l’enseignement et de la formation, nous importons, en les mimant, des orientations didactiques et des programmes pédagogiques sans que soient entreprises des recherches préalables d’adaptabilité. Les questions liées à l’enseignement des langues et de la littérature telles que la délimitation des savoirs culturels ou l’utilité de l’enseignement de la littérature, qui impliquent des interrogations philosophiques sur la place que doit occuper l’individu dans son environnement social, économique et politique, sont soigneusement passées sous silence. Les discours officiels feignent d’ignorer la nature du terrain et évitent le travail d’ajustement à entreprendre en amont des réformes. Cette incapacité à dépasser des paradoxes « convenus » freine toute dynamique de recherche et contraint les enseignants à pérenniser les modèles existants, d’autant que la réforme n’a pas véritablement prévu de plan de formation continue ni même de refonte de la formation initiale. Les nouveaux programmes, voués à se plier à des habitudes de travail antérieures, ont été adoptés sans aucun signe de contestation. L’action pédagogique s’est ainsi trouvée, de nouveau, d’un côté, figée en une raideur doctrinale décalée et, de l’autre, grevée d’automatismes lourdement ancrés aux confins de l’aire difficilement pénétrable où les choix éducatifs croisent le social et le politique en un jeu informel, complexe et, néanmoins, décisif. 4Prenons l’exemple de l’enseignement des langues dans le cycle secondaire qualifiant et, en particulier, celui du français. 1 Rapport de la COSEF sur la mise en œuvre de la réforme du système d’éducation et de formation (1999 (...) 5Et partons du bilan publié par la Commission Spéciale Éducation - Formation dans le rapport qui clôture son mandat et qui contient une évaluation détaillée des quatre premières années de la Réforme1. La question des langues est communément reconnue comme un facteur structurel de la crise de l’école en raison de l’incohérence des choix qui ont longtemps prévalu aussi bien en matière de « langues d’enseignement » qu’en matière « d’enseignement des langues » ; des choix qui se sont traduits le plus souvent par une faible maîtrise des langues par les élèves et les étudiants. Que ce soit la langue arabe, ou les autres langues étrangère, le niveau linguistique des étudiants reste globalement faible tant au niveau de l’écrit que de l’expression orale. […] Deux problèmes importants demeurent particulièrement préoccupants : d’une part le déphasage linguistique entre le secondaire où l’essentiel des enseignements se fait en langue arabe et le supérieur où l’arabisation n’a concerné qu’une partie des sciences humaines à l’exclusion des autres champs scientifiques, technologiques et professionnels, d’autre part entre la langue d’enseignement qui est l’arabe et les langues exigées dans la vie professionnelle. 6La crise de l’école est formellement reconnue et elle est, en ce qui concerne son versant pédagogique, officiellement reliée à l’incohérence des choix ayant prévalu en matière d’aménagement linguistique scolaire. 7Cet acte de reconnaissance officielle est, en soi, une véritable révolution. 8Reste à analyser les réalisations effectives des orientations pédagogiques prônées par la réforme … 2 A la rentrée de septembre 2002, les professeurs de français exerçant dans le cycle secondaire quali (...) 9Deux principes innovants majeurs structurent les nouvelles recommandations : l’enseignement du français par l’œuvre littéraire2 et la pédagogie par compétences. Ces deux lignes de force, que rien ne relie a priori, se justifient en raison de la prédominance, au niveau des discours officiels, de deux matrices disciplinaires imposées par les projets de « mondialisation » de la formation : « l’ouverture culturelle », et la littérature constitue une mémoire patrimoniale incontestable, et « l’efficience » en matière de savoirs professionnels, identifiable à partir de grilles de connaissances inductives, définies sur la base de modèles préformés de « compétences ». 3 Rapport de la COSEF … 10Le fait est qu’après près de cinq années d’application des nouveaux programmes, les évaluations et les tests effectués aux différents niveaux et cycles du système attestent toujours d’une faible maîtrise des langues3. 4 Qui concerne en particulier la maîtrise du français. 11Il nous semble que ce déficit en compétences linguistiques4 est, en grande partie, imputable, non pas tant au caractère « inadapté » des choix pédagogiques effectués, qu’à ce que nous nous permettrons d’appeler « une force centripète d’acclimatement ». L’absence d’une dynamique de réflexion et de recherche, émanant de pratiques pédagogiques effectives, met les enseignants dans un état de fragilité intellectuelle tel qu’ils en sont réduits à adapter, de façon isolée, les consignes qui leur sont données, servant ainsi toutes sortes d’instrumentalisations. L’éviction de la littérature au profit des « documents authentiques » est, à ce propos, un exemple significatif. Elle fut justifiée au nom d’un argument anthropologique diffus : la substance culturelle des textes serait trop éloignée des représentations des élèves et entraverait, de ce fait, la maîtrise de la langue. Le même motif sert désormais un choix strictement contraire : le retour de la littérature garantit une meilleure maîtrise de la langue, mais il est nécessaire de standardiser le corpus des œuvres au programme à l’échelle nationale. Aucune preuve scientifique n’a été construite afin d’entériner l’un ou l’autre choix. L’énoncé intuitif d’une diversité de modèles culturels, indéfinis, suffit. La littérature charrierait des codes moraux et des mœurs sociales susceptibles de brouiller « l’identité nationale », on en assure le « contrôle » par l’unification du programme des œuvres. 12Des stratégies implicites de résistance au changement structurent le terrain et entravent le processus d’installation et de mise en œuvre, efficace, des réformes. Seul un travail de recherche multidisciplinaire permettrait de les définir. Risquons quelques hypothèses. 13Et commençons par « la pédagogie par compétences ». 5 Publiés par le Ministère de l’Education nationale marocain en 2002. 14Tous les textes des recommandations pédagogiques5, par discipline, lui consacrent un long paragraphe qu’ils déclinent en rubriques cloisonnées : les compétences stratégiques, les compétences communicatives, les compétences méthodologiques, les compétences culturelles et les compétences technologiques. Cette fragmentation, qui se présente comme un gage de rationalité, induit, en réalité, un mode de transfert réducteur par lequel la cohésion recherchée est neutralisée au nom d’un « scientisme » destiné à sauvegarder l’immuabilité d’une « culture » d’où l’expression individuelle et l’esprit critique sont bannis. Faire des compétences l’enjeu majeur de l’apprentissage, les définir, les sérier en référence à des « familles de tâches - problèmes » écrites ou orales, autorise une autre forme de standardisation : la systématisation resserrée, uniformisante, exclut les savoirs non évaluables et les stratégies individuelles d’accès au sens. 15Un rapide coup d’œil jeté aux compétences clés prônées dans le cadre de référence européen, considérées comme nécessaires à tous en ce qu’elles fondent l’épanouissement personnel, l’inclusion sociale, la citoyenneté active et l’emploi, et les thèmes y afférant, la réflexion critique, la créativité, l’esprit d’initiative, la résolution de problèmes, l’évaluation des risques, la prise de décision et la gestion constructive des sentiments, permet de souligner qu’un postulat de base est à l’œuvre dans le cadre européen : la liberté d’expression et d’action individuelles. 16L’esprit de veille idéalement visé par ces approches est, de toute évidence, contrôlé, modéré, en une subtile complexité, par le nécessaire travail de nivellement accompagnant, en général, tout programme éducatif. Il n’en demeure pas moins qu’elles semblent reposer sur un principe cohésif inédit : la formation à une gestion autonome du rapport au savoir et au monde censée garantir à chacun l’articulation de trois facettes jusque là distinctes, la culture, la vie et le métier. Est ainsi postulée, ce qui est à l’horizon des grilles les plus formellement judicieuses, cette sagesse aux effets différés qui permet aux individus de garder les yeux ouverts. 6 Dans le sens du « bois qui travaille ». 17C’est que la pierre angulaire sur laquelle s’articule la philosophie inhérente à ce choix de formation, du moins à un niveau théorique, est indissociable de la culture humaniste que l’Occident a édifiée au cours de plusieurs siècles et au rythme ininterrompu de révolutions et de contre - révolutions artistiques, philosophiques, sociales et politiques. La confiance exaltée dans les facultés humaines a été longuement mûrie. La sacralisation de l’écrit et du point de vue unique, en ce qui concerne les codes de délimitation uploads/Philosophie/ education-marocaine.pdf
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- Publié le Apv 16, 2021
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