Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article
Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=INSO&ID_NUMPUBLIE=INSO_123&ID_ARTICLE=INSO_123_0048 Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire... par Thierry PAQUOT | Caisse nationale des Allocations familiales | Informations sociales 2005/3 - N° 123 ISSN 0046-9459 | pages 48 à 54 Pour citer cet article : — Paquot T., Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire..., Informations sociales 2005/3, N° 123, p. 48-54. Distribution électronique Cairn pour Caisse nationale des Allocations familiales. © Caisse nationale des Allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 48 Informations sociales n° 123 Logement, habitat, cadre de vie L O G E M E N T E T S O C I É T É Thierry Paquot – philosophe, professeur des universités (IUP-Paris-XII) Habitat, habitation, habiter Ce que parler veut dire... De quoi parlons-nous lorsqu’on aborde la “question du logement” ? De la taille de l’appartement, du statut des résidants, de l’architecture de l’immeuble, de la charge poétique du pavillon et de son jardin ? Les mots sont lourds de sens et chacun d’eux connaît des évolutions, des interprétations, des modes et des disgrâces… . Chacun d’entre nous, lorsqu’il parle de son logement, utilise des termes, qu’il juge synonymes, comme “appartement”, “maison”, “logis”, “chez-soi”. Parfois, il emploie des mots plus familiers, comme « crèche », “pénates”, “piaule”, “nid”, “niche”, “repaire”, “baraque”. Quoi qu’il en soit, l’abri, qu’il soit solide et permanent, en dur ou non, mobile ou non, précaire ou protégé et garanti, semble bien être un invariant anthro- pologique. Les ethnologues et les géographes, lors- qu’ils s’intéressent à un peuple et à sa culture, commen- cent par décrire son logement. La manifestation d’une extrême pauvreté programmée est précisément l’absen- ce de point de chute où loger, accueillir les autres mem- bres de son ethnie, se reproduire. Le “sans domicile fixe” apparaîtrait à bien des peuples comme une ano- malie, une aberration. Comment, en effet, penser le dénuement total ? L’absence de halte, l’impossibilité d’effectuer une pause ? Nombreuses sont les sociétés, de par le monde et dans le passé, qui se dotaient d’un système d’entraide et ne pouvaient tolérer de laisser ne serait-ce qu’un pauvre hère à la porte de la ville, au 49 n° 123 Informations sociales Logement, habitat, cadre de vie L O G E M E N T E T S O C I É T É seuil d’une maison, dehors, à l’extérieur de ce qui fait “société”, justement. Avec la marchandisation, le loge- ment devient un bien comme un autre, qu’il faut acqué- rir sur un marché, acheter avec de l’argent et entretenir. Avec la marchandisation, la charité aussi devient un business… Certes, tous les peuples ne sont pas sponta- nément hospitaliers et il ne sert à rien d’angéliser nos ancêtres ; nos musées sont remplis de faits d’armes et d’exactions affreuses, sanglantes et inhumaines. Mais avoir une place pour dormir en paix, plus ou moins confortablement, ne semble pas être une exception mais au contraire une règle. Notons que ces sociétés inégali- taires, pour la plupart d’entre elles, associaient dans leur langue au mot “maison”, le sens de “maisonnée”, c’est-à-dire d’un collectif, comprenant des humains (“libres” et “esclaves”, hommes et femmes), des ani- maux domestiques, des champs et des forêts, des outils et des croyances… Le “chez-soi” dans ce cas-là, n’est pas l’intimité du sujet, le “pour soi à soi”, la sphère pri- vée, mais l’appartenance à un “soi”» plus vaste qui lui procure les conditions de vie (1). L’“habitation” appartient à l’“habitat”… Si les dictionnaires récents que je viens de consulter (2) refusent, avec raison, d’assimiler ces trois termes : “habitat”, “habitation” et “habiter”, ils s’attardent géné- ralement davantage sur l’un d’entre eux, ne les confron- tent pas vraiment entre eux et n’effectuent aucune plon- gée généalogique, pourtant bien instructive. Allons y voir de plus près… Le mot “habitat” appartient au vocabulaire de la bota- nique et de la zoologie ; il indique d’abord, vers 1808, le territoire occupé par une plante à l’état naturel, puis vers 1881, le “milieu” géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale, ce que nous dési- gnons dorénavant par “niche écologique”. Au début du XXe siècle, cette acception est généralisée au “milieu” dans lequel l’homme évolue. Enfin, dans l’entre-deux- guerres, on dira “habitat” pour “conditions de loge- ment”. Quant à “habitable”, il vient du latin habitabi- les, qui signifie tout simplement “où l’on peut habiter”, et qui sous-entend que ce qui est “inhabitable” ne per- met pas l’“habitation”. 50 Informations sociales n° 123 Logement, habitat, cadre de vie L O G E M E N T E T S O C I É T É Le terme d’“habitation” provient du latin habitatio et exprime le “fait d’habiter”, la “demeure”. Le mot “habituer” a longtemps signifié “habiller”, comme son étymologie latine le laisse entendre, mais habituari veut aussi dire “avoir telle manière d’être”, et celle-ci dépend pour beaucoup des vêtements… Du reste, en français, le mot “habit” va être synonyme de “maintien” de “tenue”, au sens de “tenir sa place”, son rang. Derrière habituari se profile le terme d’habitus, qui relève du latin classique et signifie “manière d’être”. Émile Durkheim (1858-1917) relance ce terme, jus- qu’alors plutôt rare et associé à Thomas d’Aquin, et en fait un concept clé de la sociologie française : l’habitus est un ensemble de cadres qui permet à l’individu de se situer de façon autonome par rapport à eux. Le verbe “habiter” est emprunté au latin habitare, “avoir sou- vent”, comme le précise son dérivé habitudo, qui donne en français “habitude”, mais ce verbe veut aussi dire “demeurer”. L’action de “demeurer” est équivalen- te à celle de “rester” ou de “séjourner”, comme l’attes- te l’adage médiéval “il y a péril en la demeure”, qui en français contemporain peut être traduit par : “il y a dan- ger à rester dans la même situation”. Ce n’est que vers 1050 que le verbe “habiter” indique le fait de “rester quelque part”, d’occuper une “demeure”. À la fin du XVe siècle, “habiter un pays”, c’est le peupler. Ce der- nier verbe ne s’impose qu’au cours du XVIIe siècle… Quant aux mots “habitant” et “habitante”, ils ne rem- placent “habiteur” et “habiteuse” que très progressive- ment, le Dictionnaire de l’Académie française, dans son édition de 1842, les accueille encore. Ces informations (3) nous montrent à quel point le verbe “habiter” est riche, que son sens ne peut se limiter à l’action d’être logé, mais déborde de tous les côtés et l’“habitation” et l’“être”, au point où l’on ne puisse penser l’un sans l’autre… C’est le constat qu’établit le philosophe et sociologue Henri Lefebvre (1901-1991), lorsqu’il introduit cette notion dans la sociologie urbai- ne française au cours des années soixante, s’inspirant largement du philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976). Mais avant de se référer à ce dernier, il utilise le mot “habiter” comme Le Corbusier et les par- tisans de la charte d’Athènes, c’est-à-dire comme une 51 n° 123 Informations sociales des fonctions humaines citadines, à côté d’autres fonc- tions comme “circuler”, “travailler”, “se recréer”, etc. Dans la préface à L’habitat pavillonnaire (4), il opte ouvertement et, semble-t-il, définitivement, pour une acception plus heideggerienne, bien que encore chargée d’approximations, et moins sociologique de l’“habiter”. Il écrit : “La terre est l’habiter de l’homme, cet ‘être’ exceptionnel parmi les ‘êtres’ (les ‘étants’), comme son langage est la Demeure de l’être.” Henri Lefebvre n’est pas très à l’aise avec ce vocabulaire qui n’est pas le sien, aussi va-t-il expliciter l’“habiter”, avec le mar- xisme – dont il est familier -, en évoquant la “produc- tion”, les “rapports sociaux”, “la division du travail” ou bien avec le langage des sociologues, qu’il manie sans difficulté, “appropriation”, “espace”, “forme”, “struc- ture”, “fonction”, etc. Quelques années plus tard, dans son remarquable essai, La révolution urbaine, il expo- se le processus historique en cours qui annonce la fin de la contradiction ville/campagne et la victoire d’une nouvelle réalité, l’“urbain”, qui vient nier et dépasser (à la mode hégélienne) et la “ville” et la “campagne”, et il note : “L’être humain ne peut pas ne pas bâtir et demeurer, c’est-à-dire avoir une demeure où il vit, sans quelque chose de plus (ou de moins) que lui- même : sa relation avec le possible comme avec l’i- maginaire.” Quelques lignes plus loin, il précise cette formule : “L’être humain (ne disons pas l’homme) ne peut pas ne pas habiter en poète. Si on ne lui donne pas, comme offrande et don, une possibilité d’habiter poétiquement ou d’inventer une poésie, uploads/Philosophie/ habitat-habitation-habiter-t-paquot.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 29, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1810MB