PAR EMMANUEL LEVINAS INTRODUIT ET ANNOTÉ PAR JACQUES ROLLAND KATA MORGANA © fat

PAR EMMANUEL LEVINAS INTRODUIT ET ANNOTÉ PAR JACQUES ROLLAND KATA MORGANA © fata morgana 1982 Cher Jacques Rolland, Quand notre ami Bruno Roy m’a proposé, il y a quelque temps, une nouvelle publication de mon étude intitulée « De l’évasion », parue en 1935 dans les Recherches Philosophiques, — que dirigeaient notamment Alexandre Koyré et Albert Spaïer, Jean Wahl et Gaston Bachelard et qui avaient été, en ces années d’avant-guerre, une revue philosophique d’avant-garde — je n’osais pas y consentir. 1 1 m’eût certes été agréable d’avoir l’occasion d’évoquer ces nobles noms vénérés et j ’admettais volontiers que mon vieux texte était peut-être à même de témoigner d’une situation intellectuelle de la fin du sens où l’existence tenue à l’être oubliait, à la veille des grands massacres, jusqu’au problème de sa justification. Mais ces pages avaient besoin pour cela de notes et de commentaires, alors qu’il me semblait difficile d’interpréter ma propre jeunesse. 7 Vous avez bien voulu vous charger de cette tâche d’expli­ cation, et vous l’avez accomplie d’une façon très remar­ quable. Mon modeste essai — où la conscience du sans-issue s’alliait à l’attente obstinée d’impossibles nouvelles pensées — vous l’avez inclus dans un contexte de grandes idées contemporaines. Vous avez fait retentir de hautes voix en contrepoint de mes phrases ou vous avez transformé ces phrases en échos de grands souffles humains. Et votre généreuse attention a su dégager de mes paroles — qui déjà se taisaient — les pressentiments qu’elles recélaient encore. De tout cœur merci de tant de savoir, de talent et d’amitié. Emmanuel Levinas décembre 1981. s o r t i r d e l ’ ê t r e P A R U N E N O U V E L L E V O I E P A R J A C Q U E S R O L L A N D Le texte ici réédité a initialement paru dans le tome V (1935/1936) des Recherches philosophiques. Dans l’intro­ duction, les références à cet essai sont données entre paren­ thèses à la suite de la citation et renvoient à la pagination de la présente édition. Les références fournies en note sans nom d’auteur ren­ voient toutes à des écrits d’E. Lévinas. Pour les ouvrages les plus fréquemment cités, nous avons utilisé les abrévia­ tions suivantes : EE : De l’existence à l’existant, Paris, éd. de la revue Fontaine, 1947. L’ouvrage a donné lieu à une réédition anastatique en 1978 chez Vrin avec une préface non paginée à laquelle nous renvoyons par les mots : « préf. à la 2e éd. ». TA : Le Temps et l’autre, publié d’abord dans : Le Choix, le monde, l’existence, recueil collectif, Paris, Arthaud, 1948. Réédition : Montpellier, Fata Morgana, 1979. C’est à cette dernière édition, seule disponible aujourd’ hui, que nous renvoyons. TI : Totalité et infini. Essai sur T extériorité, La Haye, Martinus Nijhoff, 1961. AE : Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence, La Haye, M. Nijhoff, 1974. 10 « Philosopher, est-ce déchiffrer dans un palimpseste une écriture enfouie ? *J La tâche qui nous incombe est peut-être inverse. Elle consisterait à lire dans le texte de jeunesse l’inscription, fût-elle en creux seulement, d’une écriture future, d’un livre à-venir, mais si peu blanchotien qu’il adviendra effective­ ment. 1 1 s’ agirait d’entrevoir, tel Pouchkine lorsque, confusé­ ment encore, Oniéguine et la jeune Tatiana lui apparurent pour la première fois, A travers le cristal magique L’avenir de ce libre roman.2 Attitude dont la signification et la portée doivent être précisées. Elle signifie d’abord que nous reconnaissons au texte que nous présentons son statut de « texte de jeunesse ». Mais elle signifie encore, simultanément, que l’intérêt qui se porte vers ce texte « de jeunesse » n’est pas seulement celui de l’historien de la philosophie préoccupé de reconsti­ tuer les étapes d’un Denkiveg et, dès lors, s’attachant à étudier dans un but principalement documentaire la pre­ mière étape de ce chemin. En d’autres termes, il s’agit bien d’assumer ce texte dans le caractère introductif qu’il se reconnaît lui-même (76), mais en précisant exactement ce que signifie ce statut d’introduction. Disons donc d’emblée que nous le comprenons comme intro-duction et, plus précisé- 11 ment, introduction dans et à l’espace de questionnement dans lequel a par la suite cheminé une recherche qui « est restée fidèle à sa finalité même si elle a varié dans sa ter­ minologie, ses formules, ses concepts opératoires et cer­ taines de ses thèses »3 — même si, au regard de ce texte de 1936, elle est avant tout parvenue à donner un sens et une direction à cette « évasion » dont l’exposé ne faisait alors qu’affirmer la pure exigence. Elle signifie en bref que c’est à un texte faisant déjà partie de cet espace de ques­ tionnement que nous pensons avoir ici affaire, à un texte donc philosophiquement vivant et que dès lors, le publiant et le lisant, nous faisons tout autre chose que de l’archéo­ logie ou de la paléographie. La délimitation de cette attitude doit permettre de définir la tâche de notre introduction. Elle ne nous a pas semblé être celle d’une explication suivant ligne à ligne un texte qui ne présente pas de difficultés techniques majeures. Elle ne nous semble pas non plus être celle d’une reconsti­ tution de son mouvement propre, de la façon dont l’analyse mène d’une notion à l’autre selon une allure particulière­ ment caractéristique qui, dans le cas présent, fera passer du besoin au plaisir, du plaisir à la honte, de la honte à la nausée et de celle-ci à l’évasion — dont l’analyse était préci­ sément partie.4 La tâche de cette introduction est bien plutôt de se porter d’emblée vers le problème philoso­ phique mis en question par les pages auxquelles elle a pour but d’introduire, et que soulève le « thème inimitable » (73) qu’elles ont choisi d’analyser. Pour parler clair : « Le besoin de l’ évasion — plein d’espoirs chimériques ou non, peu importe — nous conduit au cœur de la philosophie. Il permet de renouveler l’antique problème de l’être en tant qu’être. » (74 ; nous soulignons) Dès lors, ce sont deux tâches distinctes qui se font jour. Il s’agira dans un premier temps de chercher à situer la 12 signification du mot être dans cette étude, de s’interroger sur la volonté d’en « renouveler l’antique problème » quand elle se fait jour au cœur des années trente de notre siècle et de se demander enfin ce que sera devenue la compréhen­ sion alors en vigueur de son concept dans l’œuvre posté­ rieure. Il s’agira dans un deuxième temps d’élucider cette exigence d’ « évasion » qui se lève à partir de cette façon d’entendre le verbe être puis de clarifier le « programme » de recherches philosophiques qu’elle annonce ; en un mot, il s’agira de se demander ce que promet cette expression quelque peu énigmatique d’évasion et de repérer les traces de son devenir dans l’œuvre ultérieure. On voit donc que la métaphore empruntée à Pouchkine jouera pleinement dans cette introduction. Précisons donc notre position. Nous pensons que le sens du mot être atteint dans ce texte « de jeunesse » demeurera inchangé jusque dans les œuvres les plus mûres, même si les métaphores choisies pour en préciser les modes de présence, si les situations analysées pour en approcher les significations, si la modalité même de l ’ approche auront entre temps subi d ’ essentielles modifications. Nous pensons d ’ autre part que cette assez obscure métaphore de l’évasion, qui jamais d’ailleurs ne sera elle-même haussée au niveau d’un concept opératoire et qui n’est ici définie précisément ni dans sa signification exacte (ce qui était sans doute im­ possible si sa « phénoménologie » la montre précisément comme pur besoin de sortie qui ne veut pas aller quelque part) ni dans ses modalités propres (rappelons que la dernière phrase de l’essai — en des termes qui ont été choi­ sis pour donner son titre à notre introduction précisément pour cela, pour souligner le caractère préliminaire, ouvert, mais aussi indéterminé de « De l’évasion » — parle seule­ ment de « sortir de l’être par une nouvelle voie », sans préciser en aucune manière ce que celle-ci pourrait être), 13 ouvre cependant le chemin d’une pensée une malgré les « contradictions » qu’explique largement « le caractère inévitablement successif de toute recherche ».6 En un mot, nous pensons que ce qui se cache derrière cette métaphore, c’est l’exigence de penser au-delà de l’être entendu au sens verbal, exigence qui ne trouvera cependant son expression philosophique adéquate qu’en forgeant le contre-concept de Yautrement qu être. Notre introduction aura atteint son but si elle sait remplir ces deux tâches. L’y aideront cependant un certain nombre de notes accompagnant le texte ici réédité et dont il convient de préciser dès maintenant l’esprit. Il ne nous a pas semblé utile de surcharger le texte de notes de caractère simplement explicatif ou technique et c’est pour la même raison que uploads/Philosophie/ emmanuel-levinas-de-l-x27-evasion.pdf

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