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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Nishitani Keiji Laval théologique et philosophique, vol. 64, n° 2, 2008, p. 295-303. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/019500ar DOI: 10.7202/019500ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 22 août 2014 06:06 « Mon point de départ philosophique » Laval théologique et philosophique, 64, 2 (juin 2008) : 295-303 295 MON POINT DE DÉPART PHILOSOPHIQUE* Nishitani Keiji Traduit du japonais par Sylvain Isaac Faculté de philosophie et lettres, Université Catholique de Louvain RÉSUMÉ : Dans cet article publié deux ans après la parution de son maître ouvrage, Qu’est-ce que la religion ? (1961), auquel il est fait allusion dans les dernières lignes, Nishitani jette un re- gard rétrospectif sur son parcours philosophique. Plutôt que de rédiger un essai autobiogra- phique, l’auteur y adopte une perspective analytique sur sa propre démarche et s’efforce d’ex- pliciter la position philosophique (articulée autour de la question du nihilisme) qui est la sienne, qu’il a forgée très tôt dans sa carrière et à partir de laquelle il faut comprendre sa pra- tique de la philosophie. Tout l’intérêt de ce texte réside dans la jonction qu’il établit entre les préoccupations du jeune Nishitani pour la question du nihilisme et ses réflexions de maturité, imprégnées de l’héritage spirituel du bouddhisme. ABSTRACT : In this essay, published two years after his masterpiece Religion and Nothingness (1961), to which he alludes in the last lines, Nishitani ponders over his own philosophical odyssey. Rather than offering an autobiographical sketch, the author tries to expound analyti- cally his own philosophical standpoint (articulated around the question of nihilism), which he forged early in his career and from which his practice of philosophy is to be understood. The interest of this essay lies in the fact that it connects his early preoccupations for the question of nihilism to his later reflections, which bear the spiritual legacy of Buddhism. ______________________ [185]** ujourd’hui, je réfléchis de plus en plus selon les catégories de la pensée boud- dhique. On peut considérer que, dans ses principes fondamentaux, la pensée bouddhique diffère substantiellement de la pensée qui a gouverné l’histoire de la phi- losophie occidentale. Aussi, je crains qu’il y ait quelque difficulté à encore qualifier de « philosophique » la position qui est désormais la mienne. Cela conduit à la ques- tion de savoir ce qui constitue l’essence de la philosophie, mais je préfère ici laisser * Traduction de NISHITANI Keiji 西谷啓治, « Watashi no tetsugakuteki hossokuten » (私の哲学的発足点), dans Nishitani Keiji Chosakushū (西谷啓治著作集 Œuvres de Nishitani Keiji), vol. XX, Zuisōshū : Kaze no kokoro (随想集:風の心 Recueil de réflexions : Le Cœur du vent), Tōkyō, Sōbunsha, 1988, p. 185-195. Première publication en mai 1963 : TANAKA M., éd., Kōza tetsugaku taikei (講座:哲学大系 Leçons : Abrégé de la philosophie), vol. I, Tetsugaku sonomono (哲学そのもの La philosophie en tant que telle), Kyōto, Jimbunshoin, 1963, p. 221-230. ** Ce chiffre et les suivants dans le corps du texte renvoient à la pagination du texte original dans les Œuvres de Nishitani Keiji. A NISHITANI KEIJI 296 cette question de côté et élargir provisoirement le concept de « philosophie » jusqu’à y inclure ma propre position. Je pense pour ma part que la pensée philosophique doit désormais transcender la distinction entre Occident et Orient, et s’établir sur un socle plus large. Si j’y réfléchis rétrospectivement, il me semble que les raisons qui m’ont amené à me rapprocher de la pensée bouddhique étaient déjà présentes lorsque j’entrai pour la première fois en philosophie. Mais j’y fus également conduit par un certain nombre de questions qui surgirent au cours de mon étude de la philosophie. Depuis l’Antiquité, différents éléments ont été avancés comme autant de motifs à l’étude de la philosophie, comme autant de points de jonction entre la philosophie et ce qui l’a précédé et, en ce sens, comme autant de « commencements » de la philoso- phie. Outre l’« étonnement » chez Aristote, la « défense » de la foi dans le christia- nisme ou encore le « doute » chez Descartes, la philosophie commence, pour Nishida, avec la profonde douleur de la vie. Chacun de ces commencements est lié à la philo- sophie comprise comme « métaphysique ». [186] Dans la modernité, la philosophie trouve aussi son départ en lien avec les mathématiques, les sciences naturelles, les sciences sociales ou encore la psychanalyse, c’est-à-dire en lien avec la « science ». Or, mon propre point de départ a été différent de tous ceux-là. Si maintenant j’essaie de le formuler, je ne peux que dire « nihilisme ». À l’époque, ce concept ne m’appa- raissait pas clairement mais, à y réfléchir aujourd’hui, il n’y a pas d’autre terme. Bien sûr, à strictement parler, le nihilisme a déjà le sens d’une position philosophique, mais ce n’est pas en ce sens que je l’entends ici. Il ne s’agit toutefois pas non plus d’un simple sentiment nihiliste. Le type de nihilisme dont je parle est un nihilisme qui, tout en étant pour ainsi dire antérieur à la philosophie, comporte par essence un mouvement en direction du philosophique. Afin d’expliciter ceci de manière un peu plus concrète, je voudrais tout d’abord donner un bref aperçu des rapports qu’entre- tiennent la morale et la religion avec le néant. L’impression de néant peut survenir à de nombreuses occasions et pour diffé- rentes raisons, cela va sans dire. Mais, au final, il est question d’une personne qui a cédé au désespoir. Elle a alors le choix entre commettre un suicide ou continuer de vivre. Si elle choisit de continuer de vivre, elle est susceptible de devenir voyou ou de devenir poète, de se consacrer à des mouvements sociaux ou de chercher à s’enrichir. S’il s’agit d’une personne dotée d’une forte personnalité, elle sera même capable de masquer son désespoir derrière une grande implication dans la vie sociale. Le point commun entre toutes ces situations, c’est que la relation entre cette personne et sa vie devient une relation contingente ou accidentelle. Au fond de son existence, c’est- à-dire en son for intérieur, une impression de néant l’habite comme un corps étranger. Sa vie n’exprime pas qui elle est véritablement, son véritable « soi ». C’est pourquoi elle est une vie essentiellement fausse, une vie de contrefaçon. Même dans le cas du suicide, entre le « soi » de celui qui se prend sa propre vie et la vie qui est ainsi sup- primée, il n’y a qu’une relation de contingence. C’est dans l’éveil à soi moral, et plus encore dans l’éveil à soi religieux, qu’est surmontée cette contingence et que se ré- vèle, de l’intérieur même de la personne qui désespère, la relation nécessaire entre elle-même et sa propre vie. Le désespoir est alors vaincu. Prenons l’exemple d’une MON POINT DE DÉPART PHILOSOPHIQUE 297 femme seule qui, après la mort de son mari, s’est battue pour élever son fils unique et qui voit son enfant partir au front où il trouve la mort. Si elle continue de vivre dans le désespoir et la résignation, s’il ne lui reste rien d’autre, cette vie [187] lui apparaîtra comme une vie dépossédée de toute nécessité. Elle-même ne sera plus qu’une morte vivante. Toutefois, si elle considère que son fils s’est sacrifié pour la nation ou qu’elle a donné son fils à la nation, elle trouvera dans cette résignation morale un sens à la mort de son fils, et donc aussi à l’existence perdue de celui-ci. À partir de là, elle ne percevra plus comme vaines les années consacrées à l’éducation de son en- fant, et par conséquent aussi sa propre existence. D’un point de vue moral, elle accor- dera à sa propre vie un sens positif, elle la rendra nécessaire. Alors, sa résignation se transformera en une résolution à « couper court » à tout ce qui ressemblerait à des regrets. Cette résolution qui la sépare d’une part d’elle-même est un saut vers un mode d’être d’un ordre supérieur, la confirmation d’un soi plus élevé. D’un point de vue moral, dans la mesure où sa résignation prend la forme d’une résolution, son existence présente devient une existence qui est cousue du fil de la nécessité, une existence qui a clarifié sa propre nécessité. C’est une existence qui possède en elle une vérité non feinte. Autrement dit, « quelque chose d’authentique » se manifeste dans son existence présente. Malgré tout, une telle nécessité sur le plan moral ne représente encore qu’une demi-mesure. Avec la mort de son fils, son rôle de mère a uploads/Philosophie/ nishitani-mon-point-de-depart-philosophique.pdf
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- Publié le Nov 02, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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