La philosophie d’Ernest Hello par Stanislas FUMET I - ET DE TOUT TON ESPRIT Che
La philosophie d’Ernest Hello par Stanislas FUMET I - ET DE TOUT TON ESPRIT Chemah Israel, ADONAÏ Elohenou, ADONAÏ ehad. Écoute, Israël, Jéhovah notre Dieu, Jéhovah est un. C’est ainsi que commence la prière de tous les Hébreux. Et c’est là l’ouverture de l’enseignement mosaïque, la base même de la doctrine confiée à Israël, et qui indique son élection pour toujours et le secret de sa cohésion. Parce que notre Dieu es un, toi, son peuple, es marqué du signe de l’unité. Et le commandement liminaire, qui contient toute la loi, est le suivant : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme- esprit et de toutes tes forces. » Voilà ce que les Juifs eurent à méditer en se levant et en marchant, ce qui leur fut gravé dans le cœur ; voilà ce qu’ils ont eu lié à leur main, ce qu’il leur a fallu porter entre leurs deux yeux. Et c’est aussi ce qu’ils ont inscrit sur le seuil et sur les poteaux de leurs maisons. Chemah Israel, ADONAÏ Elohenou, ADONAÏ ehad. V’ahabta et ADONAÏ Eloheka becal lebabka, oubecal naphcheka, ou becal mehodeka. – Dites quel est le plus grand commandement, Seigneur ? Et Jésus répond, traduisant le Chemah : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C’est là le plus grand et le premier commandement. Et voici le second qui lui est semblable : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. » (MATTH., XXII, 39.) ADONAÏ ehad, le Seigneur est un. Et l’Unité commande aussitôt son culte, qui est d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et, par une conséquence naturelle, le prochain, – l’autre, eût dit Pythagore, – comme soi-même. Tout cela sera renfermé dans la prière du Christ : « Ut sint unum, sicut et nos unum sumus. » Le chrétien, qui vient jouer le rôle d’Israël – car l’Israël de Moïse s’est arrêté sur le chemin et il a suspendu, pour gémir dans les ténèbres de son aveuglement, ses harpes aux branches des bosquets qui ne sont plus à lui, – le chrétien, dans une intime familiarité avec Dieu, prononce tout bas ce qu’il appelle un acte de charité : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, de toutes les puissances de mon âme, de tout mon esprit et par-dessus toutes choses, parce que vous êtes infiniment bon, infiniment parfait, infiniment aimable, et j’aime mon prochain comme moi-même pour l’amour de vous. » Il sait, héritier des droits du Juif, son frère aîné, puisqu’il est le nouveau Jacob, le nouveau Supplantateur, que c’est là toute la loi du Christ. Quoi qu’on en ait dit, l’homme du moyen âge n’aimait pas irréprochablement Dieu de tout son cœur. Il gardait en soi des duretés exécrables. Mais au moins il aimait Dieu de tout son esprit. Son intelligence entière dérivait de la connaissance qu’il pouvait avoir de l’Objet adoré. À cause de son attachement à l’unité, il recevait des aptitudes à la synthèse qui paraissent nous être défendues aujourd’hui. Ne s’embarrassant point des complexités troublantes que l’ignorance empirique, issue du doute, a éveillées sans compter, l’homme du moyen âge ne perdait ni son temps ni son orientation. Il ne se plaçait pas hors de la sphère où il avait à assurer sa position providentielle. L’homme du moyen âge ne différait donc pas, extérieurement, de l’homme antique ; il envisageait le monde à la façon d’un admirable tableau à déchiffrer. Mais, alors que l’antiquité rêvait d’une clef féerique pour en dégager le sens, le philosophe, l’artiste, l’agriculteur, le soldat médiévaux n’y distinguent rien qui ne soit soumis au signe de la Croix. Ils n’ont pas la tentation de penser qu’ils s’égarent : ils ont un Dieu fait chair qui ne les abandonnera jamais ; ils savent que le problème est résolu et, en attendant le paradis qu’il faut gagner, essaient de rendre grâces, chaque jour, sur la terre. La situation de l’homme, une fois admise la rédemption telle que l’enseigne l’Église, n’a plus rien d’inconsistant comme chez le païen. La vie morale est sévère, mais le péché, qui appelle sa sanction, est une lampe infernale qui élucide toutes les difficultés. On sait qu’il attaque Dieu, et on le hait, alors que même on le pratiquerait journellement. On confesse, au surplus, qu’il est susceptible de miséricorde et que la pénitence lave, parce qu’on sait que Dieu est Dieu, mais qu’Il est aussi Emmanuel, Dieu avec nous. La fatalité est vaincue par la prière, la nature elle-même n’est plus invincible et le gangrené peut demander à un saint de le guérir. Dieu se touche par la foi, qui est une main plus sûre que la main charnelle, et mieux éprouvée. L’intelligence est droite, la voie est directe ; la Croix du Golgotha se tient au milieu du monde comme une balance parfaitement ajustée qui pèse l’homme en Dieu. Aussi la vie morale n’est-elle plus ce cauchemar que les païens connaissaient et qui les faisait tragiquement se détourner de leur propre âme avec un sentiment de peur. Le chrétien moderne, autant que l’on puisse généraliser, est bien différent du chrétien du moyen âge. Sa formation est tout l’opposé de celle de son ancêtre. Il ne voit pas les choses sous le même angle. Pour lui, Dieu est excessivement lointain. Le chrétien moderne, comme il nous apparaît fréquemment et non pas comme il est toujours, enfin le chrétien moderne du type courant, s’adonnera peut-être à la vertu, en y mettant une certaine application, il considérera ses péchés en détail et les poursuivra non sans quelque vigilance. Il sera capable de secourir les pauvres, ce qui n’est pas toujours commode ; il s’oubliera en soignant les malades ; il fera le bien, ira aux sacrements avec persévérance, remplira son devoir quotidien, professera la doctrine de l’abnégation la plus haute et même s’efforcera d’aimer Dieu, ou Jésus-Christ, de tout son cœur. On voit aussi des chrétiens aimant Dieu de toute leur âme. Il suffit de parcourir les communautés religieuses pour s’aviser de l’existence d’un très grand nombre de personnes merveilleusement consacrées à Lui, au sens le plus profond du mot. Il y a, dans nos pays, des envols à toute heure. Mais, d’une manière générale, il semble que l’on n’aime plus tellement Dieu de tout son esprit. Le même homme qui offre son cœur et son âme chaque matin à son Seigneur peut, dans la journée, lui refuser son esprit. Le même homme qui s’abandonne en tant que créature, qui est disposé, s’il le faut, à mourir pour défendre l’autel où il trouve l’aliment nécessaire à la vie de son âme, participera sans inquiétude à de multiples vagabondages de l’esprit, où les plans de Dieu non seulement ne sont pas respectés mais encore sont soumis à toutes les subversions. Il ne sera pas déchiré par l’abomination de l’erreur et, s’il est sur le terrain de la vérité, il ne préférera pas rigoureusement celle-ci à quelque hypothèse instable. Enfin il attendra tout de la science humaine et ne désirera à peu près rien de la Lumière de Dieu. Il aura du mal à se figurer que la terre, comme le ciel, est en relation avec la Pensée divine et que Dieu entend régner en haut et en bas. Lui qui reconnaît aisément la volonté de ce même Dieu quand la morale est en cause, lui qui est pieux, il ne la reconnaît plus guère dans le domaine de l’esprit. Ce chrétien-là mentirait en disant qu’il s’intéresse plus à Dieu qu’à l’objet de son métier manuel ou intellectuel, et que Dieu est supérieur à toute distraction. Si un reproche analogue est adressé à son cœur, voire à son âme, il se rebiffera et s’écriera peut-être : « Ce n’est pas vrai ! » Mais, pour ce qui est de l’esprit, le fait est indéniable. On ne ressent plus ce besoin dévorant de la gloire du nom de ADONAÏ que de vieilles générations ont proclamé. Cette seule idée de la gloire même de Dieu n’est plus très intelligible. On voudrait lui en substituer de moins éclatantes, car l’esprit, comme le sel de la terre, s’est affadi. L’œil spirituel de l’homme, à force de s’être tourné vers l’ombre, a perdu sa santé première et, si d’aventure le soleil vient à le frapper, la cuisson qu’il en éprouve le fait singulièrement souffrir. Quand l’œil s’est trop habitué aux ténèbres, l’entendement penche à conclure, avec les philosophes de compromission qui furent si hardiment refoulés par le grand Pie X, que ce n’est peut-être pas pour la lumière que cet œil avait été créé. Or, au siècle dernier, un homme s’est plaint, avec une véhémence étrange, que l’on n’aimât pas assez Dieu de tout son esprit. Cet homme, qui, de l’avis de tous ceux qui l’ont rencontré, ne ressemblait à aucun autre, s’appelait Ernest Hello. Ce n’était pas un saint, dit-on ; ce n’était pas un sage non plus. C’était uploads/Philosophie/ ernest-hello-par-fumet.pdf
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- Publié le Dec 18, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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