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22/12/2021 17:06 Esquisse d’une phénoménologie de la violence https://journals.openedition.org/rgi/1140#toc 1/11 Revue germanique internationale 13 | 2011 Phénoménologie allemande, phénoménologie française Esquisse d’une phénoménologie de la violence 1 Michael Staudigl Traduction de Clémentine Chaperon p. 205-220 https://doi.org/10.4000/rgi.1140 Résumés Français English Deutsch Le but de cette contribution est d’analyser la violence inter-humaine d’un point de vue phénoménologique. En prenant pour fil directeur la conceptualisation phénoménologique du sens, de sa constitution corporelle et de son institution symbolique, on esquisse les fondements d’une théorie phénoménologique de la violence. Notre thèse centrale consiste à considérer la violence comme une forme spécifique de rapport à la vulnérabilité de l’autre, qui résulte de la méconnaissance de sa propre vulnérabilité. Sous le signe d’une « epochê éthique », la violence est travaillée comme un « phénomène intermédiaire », qui se dérobe aussi bien à une pure « recherche des causes » qu’à ce que la recherche contemporaine sur la violence, en particulier dans le monde anglo-saxon, appelle une thick description. Une phénoménologie de l’agir conduit au contraire à voir dans la violence une « action réductrice », dont il y a lieu d’analyser la genèse pré-réflexive à la lumière du « fantasme du corps autonome ». This text aims at elaborating a phenomenological analysis of interpersonal violence. Following the guiding-thread of the phenomenological concept of sense, its bodily genesis and symbolic institution, I elaborate basic patterns for establishing such a phenomenology of violence. My central thesis consists in explicating violence as a specific form of dealing with the other’s vulnerability that derives from a miscognition of one’s own vulnerability. In the horizon of an “ethical epochè,” I propose to rethink violence as an “inter-phenomenon” that escapes both the “scientific hunt for causation” as well as the attempts at a so-called “thick description,” which are predominant in traditional research on violence. Contrariwise, a phenomenology of interaction explicates violence as “reductive action,” whose pre-reflective genesis needs to be analyzed with regard to the “phantasma of the autonomous body.” In diesem Text stelle ich mich der Aufgabe, zwischenmenschliche Gewalt phänomenologisch zu analysieren. Am Leitfaden des phänomenologischen Begriffs des Sinnes, seiner leibhaftigen Konstitution und symbolischen Stiftung entwickle ich Grundlinien einer phänomenologischen Theorie der Gewalt. Die zentrale These besteht darin, Gewalt als eine spezifische Form des Umgangs mit der Verletzlichkeit anderer zu reflektieren, die aus einer Verkennung der eigenen Verletzlichkeit resultiert. Im Zeichen einer “ethischen Epochè” wird Gewalt als ein 22/12/2021 17:06 Esquisse d’une phénoménologie de la violence https://journals.openedition.org/rgi/1140#toc 2/11 “Zwischenphänomen” heraus gearbeitet, das sich reiner “Ursachenforschung” ebenso entzieht, wie “dichter Beschreibung”. Eine Phänomenologie des Handelns führt dagegen zur Einsicht in Gewalt als “reduktives Handeln”, dessen prä-reflexive Genese es im Lichte des “Phantasmas des autonomen Körpers” zu analysieren gilt. Notes de la rédaction Traduit de l’allemand par Clémentine Chaperon Texte intégral [O]n use de la violence avec d’autant moins de scrupule que cette violence, dit-on, est inscrite dans les choses2. Le but de cette contribution est d’analyser phénoménologiquement la violence interhumaine. Une analyse explicitement phénoménologique doit permettre de résoudre deux problèmes qui pèsent sur l’analyse traditionnelle de la violence. Le premier problème concerne le concept de violence et le danger d’une essentialisation du phénomène, qui déterminerait le sens – généralement compris de façon instrumentale – de ce phénomène. Le deuxième est lié à la tentation opposée de qualifier à l’inverse la violence, qui se dérobe à notre compréhension, d’insensée, et de faciliter ainsi la voie à son élimination violente même.3 1 Si nous rapportons ce problème à un dénominateur commun, c’est le rapport entre sens et violence qu’il s’agit ici d’éclaircir. Ce rapport a été jusqu’à maintenant négligé au profit d’une analyse – qu’elle soit sociologique, psychologique ou encore anthropologique – des causes de la violence.4 Dans ces perspectives valait et vaut encore largement comme établi ce qu’est la violence : la « blessure physique intentionnelle d’autrui »5. La violence est d’après cette définition en première ligne un problème de la perception d’actions sociales (ou bien d’événements), auxquelles le « sens violence » est attribué dans le cadre de sémantiques prédonnées (c’est-à-dire hégémoniques). Reste pourtant à savoir comment la violence est vécue ou bien éprouvée, c’est-à-dire quel « sens » caractéristique elle a pour ses « protagonistes ». Ce « sens » diverge cependant de façon essentielle pour ceux qui subissent la violence, ceux qui l’exercent, et pour les « tiers » impliqués, quels qu’ils soient.6 Il reste cependant, et c’est ma thèse, lié à une expérience partagée par eux – que ce soit dans son rejet – au moins de façon pré-réflexive : je parle de l’expérience de notre vulnérabilité indépassable, une expérience, qui ne se rapporte pas seulement à notre « corps objectif », mais – comme le montre la phénoménologie – aussi aux multiples façons dont nous existons en personne (leibhaftig). 2 Le fait que le « sens de la violence » éprouvée ne se livre jamais totalement aux approches objectives, lesquelles cherchent à tout reconduire à des raisons suffisantes, c’est-à-dire à tout expliquer de façon causale ou structurelle-fonctionnelle, ce fait là incite à décréter que la violence commise, pour autant qu’elle ne se laisse pas comprendre comme réponse ou bien réaction, ni comme ressource ou même prédisposition, est « insensée »7. Ainsi a été diagnostiqué un « mythe de la violence insensée », mythe qui fascine l’analyse des sciences humaines et sociales.8 Pour mettre un terme à cette fascination, qui réduit de façon hâtive les sujets agissants à la dynamique propre aux répartitions sociales de rôles, ou à l’inverse à leur « côté naturel pulsionnel » etc., il faut développer une théorie « qui place le sujet au cœur de l’analyse »9. Car c’est seulement par une explication du potentiel subjectif de donation de sens, comme il se déploie au vu des appels contradictoires du sens dans l’horizon d’ordres objectifs, qu’on pourra éviter de sous-estimer le caractère créatif de la vérité lié à la « magie performative » du discours, ou bien éviter à l’inverse d’exagérer la spontanéité d’une « liberté conditionnée » indépassable. 3 Le sujet, comme je l’envisage de façon phénoménologique, n’est ni autonome ni instituteur du sens agissant librement, ni non plus déterminé totalement passivement par les structures sociales ou ses traits génétiques. En tant qu’« intentionnalité 4 22/12/2021 17:06 Esquisse d’une phénoménologie de la violence https://journals.openedition.org/rgi/1140#toc 3/11 incarnée », le sujet est par contre à comprendre comme un « principe créatif » de l’agir10. Seulement en ce qu’il s’engage dans le prédonné, c’est-à-dire qu’il « déforme de façon cohérente »11 le sens donné, il est capable de surmonter la facticité du prédonné par de nouveaux projets de son sens. En tant projet néantisant la facticité au sens de Sartre, le sujet se constitue au moyen de cette possibilité « en amont d’éventuelles appartenances »12 au sens culturel ou politique. Il est donc la possibilité de projeter sa propre existence, cependant seulement –comme on doit le dire avec Merleau-Ponty ou Patoka – en tant que réponse aux appels du champ phénoménal, appels qui le motivent, mais ne peuvent jamais le déterminer causalement13. Dans ce cadre, je redéfinis la tâche d’une phénoménologie de la violence comme l’enquête des formes sous lesquelles la violence subjectivise ou désubjectivise, c’est-à- dire comment elle rend possible ou impossible la constitution réciproque du sujet et son monde social. Elle doit donc s’attacher à tout rapport caractéristique entre sens et violence qui témoigne de la signification irréductible d’une violence multiple pour la « constitution significative du monde social ». Cela implique que la violence dans ses différentes formes est à penser comme une condition de constitution des mondes de sens (Sinnwelten) sociaux. On ne peut donc pas s’en débarrasser par une illusion normative, mais elle reste à penser comme un phénomène exemplaire en fait de « socialité négative », mais pas comme mode déficient d’un ordre social14. 5 Toute approche théorique de la violence, qui la prend au sérieux dans sa signification irréductible pour les formes de vie humaines, doit se poser la question du rapport entre sens et violence, c’est-à-dire de l’« exclusion incluante » de la violence dans des ordres sociaux. En premier une telle approche doit reconnaître que le caractère indépassable de la violence nous condamne à une « vie dans et avec la violence »15. Pour autant que le rêve d’un progrès téléologique du processus de la civilisation (N. Elias) est fini16, il ne peut plus s’agir, à propos des conditions de diversification sociale et de modernisations multiples, de parler d’une « solution finale » de la violence, même si on comprenait par là une « prise de conscience de la violence » jusqu’à sa fin17, prise de conscience dans laquelle la violence deviendrait dans son irrationalité même transparente. Car même dans un tel geste d’apparence peu suspecte ne se manifeste finalement rien d’autre que l’auto-justice d’une raison reniant sa propre violence, raison qui prétend pouvoir dépasser la violence par l’institution du droit ou encore par la légitimité d’ordres de pouvoir estimés justes18. S’il n’y a pas de « solutions finales » à la violence qui ne se rendent uploads/Philosophie/ esquisse-d-x27-une-phenomenologie-de-la-violence.pdf

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