La puissance de la parole magique dans la littérature, les « papyri magicae » e
La puissance de la parole magique dans la littérature, les « papyri magicae » et les défixions à Marie-Laure et Gérard Freyburger Pour cerner le mieux possible la notion de magie dans l‟Antiquité, nous pouvons nous appuyer sur les définitions que les Anciens en donnaient. Les définitions de la magie dans l’Antiquité gréco-romaine Dans son Apologie, Apulée de Madaure, philosophe médio-platonicien, définit ainsi le magus : « Si, comme je le lis dans de nombreux auteurs, « magus » a dans la langue des Perses1 le même sens que prêtre en latin (sacerdotem), quel crime y a-t-il, je le demande, à être prêtre, à posséder à fond, la connaissance, la science, la pratique des ordonnances rituelles, des règles du culte, des dispositions de la loi religieuse ? »2 Le philosophe, en jouant sur les mots et sur l‟étymologie de magus3, associe étroitement les deux significations du terme, d‟une part le « mage », c‟est-à-dire le prêtre du peuple perse, comme Zoroastre (ou Zarathoustra)4, Ostanès et Hystaspe, les « Mages hellénisés »5, d‟autre part le « magicien », celui qui accomplit des tours de force par des formules magiques, donc par la puissance de la parole. Mieux même, en tant que philosophe platonicien, Apulée cite comme argument d‟autorité les définitions de la magie données par Platon dans ses dialogues, puisqu‟il poursuit l‟analyse en ces termes : « C‟est ainsi du moins que Platon définit la magie quand il expose l‟éducation que recevaient chez les Perses les jeunes gens destinés au trône. Les paroles mêmes de cet homme divin sont encore dans ma mémoire : (…) ». Apulée cite d‟abord le Premier Alcibiade : « Dès que l‟enfant atteint deux fois sept ans, on le confie à ceux qu‟on appelle les gardiens des enfants royaux ; ce sont des Perses d‟âge mûr qui sont choisis comme les meilleurs, au nombre de quatre, le plus savant, le plus juste, le plus tempérant, le plus courageux. Le premier enseigne la science des mages, due à Zoroastre, fils d‟[Ahoura Mazda] (c‟est, en fait, le culte des dieux) ; il enseigne aussi l‟art de régner. »6 Ainsi, d‟après Platon, ce sont les plus compétents parmi les éducateurs, ceux qui possèdent au plus haut point chacun 1 Marie-Laure Freyburger, « La magie chez Dion Cassius », dans La Magie, Actes du Colloque international de Montpellier (25-27 mars 1999), tome II : « La magie dans l‟Antiquité grecque tardive. Les mythes », Montpellier, 2000, p. 98, confirme que le terme μάγος vient du vieux perse maguš. 2 Apulée, Apologie (Pro se de Magia liber), XXV, 9 ; traduction française de Paul Vallette, éd. CUF, p. 31. 3 Christian Bartholomae, Altiranisches Wörterbuch, Strasbourg, 1904, s. v. “magav-“, p. 1111, précise que, en vieux perse, l‟adjectif magav- signifie “magique”. Le mot maguš est attesté pour la première fois en 515 avant J.- C. dans l‟inscription de Béhistoun, qui évoque la victoire remportée en 522 par Darius Ier sur Gaumata, un mage mède qui s‟était proclamé roi de Perse : « Darius le Roi dit : „Ensuite il y avait un homme, un Mage, du nom de Gaumata‟ » (inscription de Béhistoun, version en vieux perse, première colonne, 11). 4 Jean Varenne, Zoroastre le prophète de l’Iran, Paris, 2006, p. 32, rappelle que « le nom de Zoroastre n‟est qu‟une déformation phonétique de son patronyme véritable : Zarathushtra », donc un Iranien oriental. 5 Joseph Bidez et Franz Cumont, Les Mages hellénisés : Zoroastre, Ostanès et Hystaspe d’après la tradition grecque, Paris, 19381, 2007. 6 Apulée, Apologie, XXV, 11 = Platon, Premier Alcibiade, 121 e, traduction française de Maurice Croiset modifiée : plutôt que « fils d‟Orosmade » (M. Croiset), nous avons adopté la traduction de J. Bidez et F. Cumont, Les Mages hellénisés, p. 13, car Ahoura Mazda était le nom que Zoroastre donnait à Dieu, selon Jean Varenne, Zoroastre le prophète de l’Iran, p. 29. l‟une des vertus cardinales, qui pourront enseigner aux enfants du Grand roi ; l‟enseignement de la magie est même l‟apanage du plus savant (σοφώτατος)7. Apulée en conclut que la magie, loin d‟être un grief, est au contraire « un art agréable aux dieux immortels » ; elle est la « connaissance du culte à leur rendre et de la manière de les adorer, science pieuse des choses divines, illustre héritage de Zoroastre et d‟Orosmade, ses fondateurs, prêtresse des puissances célestes, elle est l‟une des premières choses que l‟on enseigne aux princes »8. Par cette habile argumentation, le philosophe modifie la perception que son auditoire, au tribunal, avait de la magie, et redonne à l‟art du magicien toute sa majesté. Il montre ensuite toute sa puissance, en s‟appuyant sur l‟autorité d‟un autre dialogue platonicien, le Charmide : « Dans un autre dialogue de ce même Platon, on lit à propos de Zalmoxis, Thrace de nationalité, mais pratiquant le même art : « Et les incantations sont les paroles bonnes (τὰς δὲ ἐπῳδὰς εἶναι τοὺς λόγους τοὺς καλούς) » »9. Comme l‟a montré Marie-Laure Freyburger, dans son article « La magie chez Dion Cassius », le terme ἐπῳδή, formé sur la racine d‟ἀοιδή (« le chant »), signifie, dès l‟époque d‟Homère, « parole magique, charme », et désigne les « incantations (c‟est l‟équivalent du latin in-cantatio) accompagnant les sacrifices ou les actes rituels10, comme Platon le précise dans la République. Dans les Lois, ce sont même par des incantations que les trois législateurs de la nouvelle cité des Magnètes forceront les citoyens à obéir à leurs lois11, ce qui montre clairement la force des formules magiques. Telles sont les définitions philosophiques qu‟Apulée de Madaure cite au cours de son procès ; à ces témoignages de Platon il ajoute une autre définition très importante du magicien, qu‟il attribue au vulgaire, c‟est-à-dire à la doxa des non-savants : Magum existimant, qui communione loquendi cum deis immortalibus ad omnia quae uelit incredibili quadam ui cantaminum polleat : « Le « magus », c‟est proprement celui qui, entretenant commerce avec les dieux immortels, a le pouvoir d’opérer tout ce qu’il veut par la force mystérieuse de certaines incantations ». Cette définition nous permet de caractériser la magie comme un art (une τέχνη) fondé sur un pouvoir surnaturel (vis en latin), qu‟il faut que le magicien apprenne. Pour mieux connaître les arts qui constituent la magie, il convient de mentionner le témoignage essentiel de l‟Histoire naturelle de Pline l‟Ancien : la magie est « le plus fallacieux des arts », qui « a eu le plus grand pouvoir sur toute la terre et depuis de longs siècles ». Sa puissance est des plus redoutables, et, déclare Pline, « nul ne s‟étonnera de l‟immense autorité qu‟elle s‟est acquise puisque, à elle seule, elle s‟est intégré et réunit les trois autres arts qui ont le plus d‟empire sur 7 Cette vertu de sagesse, associée chez Platon aux Mages, est confirmée par l‟étymologie, puisque, en perse, mag signifie « science, sagesse ». 8 Apulée, Apologie, XXVI, 1-3 ; traduction de P. Vallette, éd. CUF, p. 32. 9 Apulée, Apologie, XXVI, 4, texte établi et traduit par P. Vallette, p. 32 ; Platon, Charmide, 157 a : Alfred Croiset, dans l‟édition du Charmide (C.U.F.), p. 57, traduit : « [ces incantations] consistent dans les beaux chants. » 10 Marie-Laure Freyburger, « La magie chez Dion Cassius », p. 99 et la note 24 : Platon, République, 364 b, 426 b. 11 Platon, Lois, VI, 773 d. l‟esprit humain »12. La suite du développement de Pline, qui polémique contre les pratiques magiques, indique comment la magie est née de la combinaison de ces trois arts : « Personne ne doute qu‟elle est d‟abord née de la médecine et que, sous l‟apparence de concourir à notre salut, elle s‟est insinuée comme une médecine supérieure et plus sainte ; ainsi, aux promesses les plus flatteuses et les plus souhaitées, elle a joint la puissance de la religion, sur quoi, aujourd‟hui encore, le genre humain reste le plus aveugle ; puis, pour s‟adjoindre aussi cette autre force, elle s‟est agrégée l‟astrologie, chacun étant avide de connaître son avenir et croyant que c‟est du ciel qu‟il faut l‟attendre avec le plus de certitude. Tenant ainsi l‟esprit humain enchaîné d‟un triple lien, la magie a atteint un tel sommet qu‟aujourd‟hui même elle prévaut dans une grande partie des nations et, en Orient, commande aux rois des rois. »13 Les trois arts combinés dans la magie sont donc la médecine, la religion et l‟astrologie, autrement dit la magie qui peut guérir, qui peut agir sur le monde et qui peut prédire l‟avenir. Ainsi les magiciens ont commencé à énoncer des recettes médicinales, que Pline l‟Ancien cite volontiers dans son Histoire naturelle. D‟autres magiciens, assimilés à des prêtres, récitent des carmina : Gérard Freyburger, dans son article « Prière et magie à Rome », a montré que le terme carmen, désignant la « forme magique », est à mi-chemin entre magie et religion14. Quant au lien entre magie et astrologie, il apparaît clairement dans la dénomination de mathematicus, désignant l‟astrologue15 chez Suétone16 : uploads/Philosophie/ la-puissance-de-la-parole-magique.pdf
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- Publié le Jan 28, 2022
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