point de vue. 8 ESSAI SUR LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELL
point de vue. 8 ESSAI SUR LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE Marcien TOWA est originaire du village d'Endama, non loin d'Obala, à 60 km de la capitale du Cameroun. Bachelier en philosophie en 1955 il quitte le Grand Séminaire d'Otélé (Cameroun) pour poursuivre ses études supérieures à partir de 1957 à Caen d'•• bord et à la Sorbonne ensuite. En 1959 il obtient la licence en philosophie et en Ï960 le Diplôme d'Etudes Supérieures dans la même discipline avec un mémoire sur Bergson et Hegel. Après un an d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Yaoundé, Marcien TOWA reprend des études de pSY\"2'1- pédagogie, grâce à une bourse de l'UNESCO, qui le mènent à Paris, Londres, Birmingham, Genève, Moscou, Leningrad, Bakou. Directeur des Etudes à l'E~S de Yaoundé de 1966 à 1%8, il est actuellement Chargé d'enseignement à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de cette ville. En ly69 il obtient un doctorat (3e cycle) et prépare actuellement un Doctorat d'Etat en philosophie sur la pensée africaine. Membre fondateur de la revue culturelle camerdunaise Abbia, Marcien TOWA en t:~t le co-directeur. Dans cet essai Marcien TG vVA cherche à clarifier une situation rendue confuse par un usage abusif du terme « philosophie ». Plusieurs auteurs avaient en effet tellement .1i'ltendu ce terme pour pouvoir y inclure des manifestations culturelles les plus variées, dans le souci évident de pré- tendre immédiatement à une philosophie africaine. TOWA invite par son travail à plus de rigueur de la pensée. 1: Y'.(~ faut pas passer à côté de la pensée occidentale n' j i, dépasser. Sa conviction est que c'est possible, Air' essai est une mise au point, une invitation, un encouru et un défi. Editions CLE YAOUND COLLECTION POINT DE VUE 1. De la Négritude au N égrisme Jean-Marie ABANDA-NDENGUE 2. Introduction à la Littérature Noire Jean-Pierre MAKOUTA-MBOUKOU 3. Un certain humanisme William ETE KI'A MBUMUA 4. Travail et développement Nicolas ATANGANA 5. Jalons (Recherche d'une mentalité neuve) E. NJOH MOUELLE 6. Négritude et situation coloniale Lilyan KESTELOOT 7. Léopold Sédar Senghor, Négritude ou Servitude 1 Marcien Towx 8. Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle Marcien Towa Marcien Towa Essai sur la problématique philosophique dans 1/Afrique actuelle EDITIONS CLE YAOUNDIj 1971 A ma femme Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. No part of this book may be reproduced in any [orm by prin t, photoprint, microfilm or any other means without written per- mission from the publisher. © by EditiOl18 CLE, Yaoundé (Cameroun), 1971 INTRODUCTION Peut-on parler d'une philosophie africaine ? Pour beau- coup, la question est choquante. Le problème réel sem- blerait bien plutôt de savoir si la mentalité du Nègre, prélogique ou en tout cas étrangère au concept et à l'abstraction, pourra jamais accéder à la philosophie. Le royaume de la philosophie, de la pensée sous sa forme la plus haute, resterait définitivement interdit aux Africains. Dans le domaine de l'art et de la littérature, des talents et même des génies négro-africains se sont imposés.' Mais où sont les Césaire et les Chinua Achebe de la philosophie ? Ainsi s'est ancré dans les esprits un préjugé qui fait que l'Africain qui veut parler philosophie ou science est consi- déré comme se mêlant de ce qui ne le regarde pas. La plupart des tentatives philosophique-s de l'Afrique moderne sont avant tout des réactions contre ce préjugé raciste. Exception faite du Consciencisme du Dr Nkrumah, le débat sur la philosophie africaine a jusqu'ici tourné autour de sa propre existence et possibilité, de l'aptitude des cultures africaines et des Africains au mode de pensée philosophique. A l'expérience cette voie s'est révélée piégée et sans issue, en sorte qu'aujourd'hui nous pensons que la question doit être reprise à la base, et la philosophie européenne examinée et jugée en elle-même, rigoureusement, imper- turbablement, sans tenter d'en distendre le concept pour pouvoir y inclure nos cultures, ou de la caricaturer avec l'arrière-pensée de lui opposer victorieusement nos propres modes de pensée. La question de savoir si nous avons ou non une philosophie doit donc être résolument subor- donnée à l'examen impartial et au jugement objectif de la valeur intrinsèque de la philosophie au sens européen du terme et du rôle qu'elle est susceptible de jouer rela- tivement à notre dessein fondamental. 5 1 Existe-t-il une philosophie africaine? Avec la science et la technologie, nous accédons à la spécificité européenne, à ce que le penseur européen consi- dère à la fois comme le privilège et le fardeau de l'Europe, le secret de sa puissance et de sa domination. Historique- ment, la philosophie fut la matrice de l'univers scientifico- technique. Plus d'une fois elle s'est dressée contre cet univers, mais tout compte fait, elle en demeure l'âme. Très significative à cet égard est la manière dont les philosophes viennent d'imposer la linguistique et le struc- turalisme en France. En science aussi bien qu'en philo- sophie, c'est la même faculté qui est à l'œuvre: la raison. La raison ainsi que la science et la philosophie en les- quelles elle se déploie seront donc ce que les idéologues de l'impérialisme européen accepteront le plus difficilement de partager avec les autres civilisations. Lévy-Brühl s'est rendu célèbre en soutenant, à grand renfort d'érudition et d'exactitude, que les « sociétés infé- rieures :1> étaient régies par une mentalité prélogique et mystique qualitativement différente de la logique propre à l'homme civilisé d'Europe. Rentrent dans la catégorie de « sociétés inférieures » tous les « primitifs s, Africains et Australiens, naturellement, mais aussi l'Egypte ancienne et le Mexique précolombien ; dans ces deux dernières sociétés, même les représentations collectives qui ont « pré- cipité » sous forme de concepts ont gardé nettement leur caractère prélogique et mystique :1> 1. La Chine et l'Inde 1. LÉVY-BRUHL, Les fonctions mentales dans les sociétés infé- rieures, P.U.F. 9" édit. Paris 1951, p. 449. 7 ont atteint un niveau plus élevé et ont connu des concepts grâce auxquels la Chine a produit d'immenses encyclo- pédies d'astronomie, de physique, de chimie, de théra- peutique, etc... et l'Inde des grammairiens, des algébristes, les métaphysiciens. Mais la science chinoise « n'est à nos yeux qu'un effroyable fatras » et l'Inde n'a « rien produit qui ressemble à nos sciences de la nature ~ 2. Pourquoi ? C'est qu'en Inde comme en Chine, les concepts ont géné- ralement retenu une part considérable d'éléments mystiques, « et qu'en même temps ils se sont figés ». De ce fait ils sont demeurés impropres à une évolution qui les eût purgés de ces éléments « comme il est arrivé heureuse- ment chez les Grecs »3. La Grèce est ainsi proclamée terre natale de la raison, et donc aussi de la science et de la philosophie. Toutes les autres sociétés sont, à des degrés divers, inférieures et prélogiques. Le succès de la thèse de Lévy-Brühl fut considérable et beaucoup d'idéologues de l'impérialisme européen aujourd'hui encore lui restent fidèles. Le problème de la détermination du domaine philoso- phique se pose avec précision dès qu'on se propose d'écrire une histoire générale de la philosophie. Emile Bréhier 4 a suivi la tradition en commençant la sienne par Thalès et en la limitant à l'Occident, mais non sans hésitation. Au terme de sa vaste entreprise, pris de scrupule, il devait demander à Basile Tatakis d'exposer « la philosophie byzantine » et à P. Masson-Oursel de présenter « la phi- losophie en Orient ». Or ce dernier auteur multiplia les déclarations hétérodoxes pour ne pas dire sacrilèges. Il ose parler de « pseudo-miracle grec » (p. Il) ; il voit dans le dualisme égyptien du ka (principe spirituel) et du zet (corps) le prototype du dualisme platonicien du sen- 2. Op. dt. p. 448-449. 3. Op. dt. p. 449. 4. Histoire de la philosophie, P.U.F. Paris 1938. 8 sible et de l'intelligible ; le rôle de l'Egypte ne lui paraît pas moins patent dans la formation du concept de « logos :1> ; et il n'y a pas, à l'en croire, jusqu'au « connais-toi :1> de Socrate et à l'examen de conscience des Stoïciens qui ne trouvent des antécédents dans la pensée égyptienne (pp. 39- 40). Et devant l'ampleur des emprunts grecs à l'Egypte dans tous les domaines, scientifique, religieux, philoso- phique, Masson-Oursel n'hésite pas à écrire : « Ainsi, des Présocratiques au Néoplatonisme, la pensée grecque s'enserra dans les modes égyptiens de représentation :1> (p. 40). Le blasphème suprême contre le « miracle grec :1>, c'est lorsqu'il nous invite « à nous aviser de ce qui devrait être un truisme, l'aspect africain de l'esprit égyptien :1>, plus précisément, « la mentalité nègre, que l'égyptologue aperçoit comme toile de fond, derrière les raffinements de la civilisation dont il s'émerveille :1> 5. En vain Bréhier dans la préface tente de restituer à l'Occident le mono- pole de la raison en affirmant que l'Europe seule est responsable de l'univers moderne scientifico-technique et industriel et que le courant de pensée qui sous-tend cette révolution « se rattache à la sagesse hellénique » 6. En vain, car uploads/Philosophie/ essai-sur-la-problematique-philosophique-dans-lafrique-actuelle.pdf
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- Publié le Sep 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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