1 Cahiers Simondon Numéro 3 2 Collection Esthétiques – Série « Philosophie » Co
1 Cahiers Simondon Numéro 3 2 Collection Esthétiques – Série « Philosophie » Coordonnée par Jean-Hugues Barthélémy La série « Philosophie » de la collection Esthétiques se propose de publier des travaux philosophiques relatifs aux différentes « phases » (Simondon) de la culture : art, technique, religion, science, éthique, etc. Elle ambitionne par là de participer au renouveau de l’Encyclopédisme, à une époque où se fait en effet sentir le besoin d’une nouvelle synthèse qui redonne du sens et permette de surmonter la crise déjà diagnostiquée en son temps par Husserl. La série « Philosophie » n’entend pourtant pas s’inscrire dans une optique phénoménologique, mais œuvrer bien plutôt à une prise de conscience qui soit source d’un « humanisme difficile » : un humanisme qui sache reconnaître, notamment, l’appartenance de l’homme au vivant, et celle de la technique à la culture. Dernières parutions PENSER LA CONNAISSANCE ET LA TECHNIQUE APRES SIMONDON, Jean-Hugues Barthélémy, Esthétiques, 2005. CAHIERS SIMONDON – NUMERO 1, sous la direction de Jean-Hugues Barthélémy, Esthétiques, 2009. CAHIERS SIMONDON – NUMERO 2, sous la direction de Jean-Hugues Barthélémy, Esthétiques, 2010. 3 Sous la direction de Jean-Hugues Barthélémy Cahiers Simondon Numéro 3 Ouvrage publié avec le concours de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris-Nord 4 51 Esthétique et techno-esthétique chez Simondon par Giovanni Carrozzini, docteur en philosophie de l’Université de Lecce L’analyse de la pensée esthétique de Simondon doit prendre en compte l’influence de la phénoménologie française et en particulier des thèses soutenues par Dufrenne, qui feront l’objet de la première partie de cet article. La notion de techno-esthétique, étudiée dans la seconde partie, résulte, elle, d’une réflexion tout à fait personnelle et féconde de Simondon. 1. L’esthétique de Mikel Dufrenne : panorama conceptuel Mikel Dufrenne, dans sa Phénoménologie de l’expérience esthétique, affirme que l’objet esthétique sollicite une expérience tout à fait singulière, très différente par rapport à celle qu’on obtient en présence d’un objet quelconque. Cette expérience s’effectue exclusivement en présence d’un spectateur qui se présente comme sujet prédisposé à sa réalisation. Selon Dufrenne, ce sujet parvient à cette expérience uniquement s’il ne se rapporte pas à l’objet esthétique avec une exigence strictement réflexive visant à développer la compréhension analytique de la signification de l’objet qui se trouve face à lui : « [l]a limite de la réflexion, c’est qu’elle considère l’objet du dehors, qu’elle le tient à distance 52 comme si elle redoutait de se perdre en lui et le rabat sur le plan de l’objectivité »1. L’expérience esthétique est en effet une expérience d’ordre contemplatif, qui nécessite l’ouverture du sujet spectateur, inspirée par la présence de l’objet esthétique. L’expérience qui en jaillit constitue une association entre l’objet et le sujet : « l’objet esthétique n’est vraiment à moi que si je suis à lui »2. La faculté directement engagée par cette expérience est le sentiment, qui nécessite autant la contemplation qu’un acte de réflexion sympathique. Pour parvenir à cette expérience, le sujet spectateur doit s’ouvrir à l’objet, c’est-à-dire « s’associer à-. Le sentiment est communion où j’apporte tout mon être »3. À l’invocation du sentiment succède et s’accorde celle de la réflexion sympathique, qui n’est pas semblable à la réflexion inspirée par le besoin de compréhension critique de l’objet par le sujet, car elle « s’efforce de saisir l’œuvre du dedans et non du dehors »4. De plus, il faut définir l’expérience authentiquement esthétique en tenant compte d’une autre caractéristique, médiatrice entre le sujet et l’objet : la profondeur. La profondeur d’un objet esthétique s’actualise en présence et grâce à l’accord avec la profondeur du sujet : « être profond, c’est être disponible»5. La profondeur est donc la manifestation de cet accord, de cette association : dans l’article intitulé « La profondeur comme dimension de l’objet esthétique », Dufrenne précise la signification philosophique qu’il attribue à ce concept : « profond désigne […] ce qui engage le fond, et par quoi le fond trouve à se manifester »6. 1 M. Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, tome 2 : « La perception esthétique », Paris, P.U.F., 1953, p. 515. 2 Idem, p. 501. 3 Idem, p. 503. 4 Idem, p. 523. 5 Idem, p. 502. 6 M. Dufrenne, Esthétique et philosophie, tome 3, Paris, Editions Klincksieck, 1981, p. 141. 53 Profonde est donc la prédisposition et l’ouverture au fond, conçu, à son tour, comme originaire, c’est-à-dire Nature naturans, accord pré-objectif et pré-subjectif des éléments qui, ultérieurement, gagneront la connotation spécifique de sujet et d’objet : « L’originaire est un lieu […] où se rassemble et prend figure la puissance du fond. […] À ce fond, disons-le maintenant, on peut donner un autre nom : Nature, ce qui donne naissance, la naissance n’étant plus cette fois événement, mais avènement, manifestation de la Nature »1. La prépondérance de l’expérience esthétique par rapport aux autres modes de rencontre-accord-ouverture du sujet à l’objet comporte la possibilité d’un retour (atemporel) à l’originaire, en tant que lieu ou espace. L’originaire, en effet, ne doit pas être pensé comme moment, c’est-à-dire comme portion d’un continuum temporel, mais comme lieu, espace d’accord entre sujet et objet, comme unité première. L’expérience esthétique est donc une expérience originaire au sens d’expérience de l’originaire : « c’est ce que l’esthétique va méditer en considérant une expérience originaire [l’expérience esthétique], elle ramène la pensée et peut-être la conscience à l’origine »2. 2. De l’objet esthétique chez Simondon et Dufrenne : la signification de l’insertion dans l’expérience esthétique Même si Simondon ne le cite jamais directement, sa connaissance de Dufrenne est attestée par la dédicace de sa thèse complémentaire, où il remercie « particulièrement M. Dufrenne » 1 M. Dufrenne, « Vers l’originaire… », in Esthétique et philosophie, tome 3, op. cit., p. 89. 2 M. Dufrenne, « L’apport de l’Esthétique à la Philosophie », in Esthétique et philosophie, tome 1, op. cit, p. 9. 54 pour les conseils donnés à l’époque de la soutenance de sa thèse. De plus, l’article de Dufrenne « Le poétique », où il résume sa perspective philosophique de l’expérience esthétique, est recommandé par Simondon dans la bibliographie du cours de Psychologie générale Imagination et invention de 1965-1966. La confrontation entre ces deux pensées de l’esthétique pour dégager les caractéristiques que Simondon attribue à l’objet esthétique passe par l’examen de son traitement de la question esthétique dans Du mode d’existence des objets techniques, où il ne sépare jamais son examen de la pensée esthétique de celui de la pensée technique : « la culture est déséquilibrée parce qu’elle reconnaît certains objets, comme l’objet esthétique, et leur accorde droit de cité dans le monde des significations, tandis qu’elle refoule d’autres objets, et en particulier les objets techniques, dans le monde sans structure de ce qui ne possède pas de signification, mais seulement un usage, une fonction utile »1. Dufrenne, dans de nombreux textes postérieurs à la publication de l’ouvrage de Simondon, relève, parmi les modalités choisies par lui pour l’analyse de l’objet esthétique, un « droit de cité » dans la culture traditionnelle. Mais qu'est-ce au juste qu'un objet esthétique pour Simondon ? Pour répondre à cette question, il faut expliciter la signification du terme « objet » chez Simondon. Selon lui, l’acquisition du caractère objectal par le produit du geste créatif (soit qu’il débouche sur la constitution d’un être technique soit qu’il débouche sur « un objet d’art ou […] un immeuble »2) comporte la « capacité de détachement à partir de l’opérateur humain initial – artiste ou producteur », ce qui « signifie pour l’objet produit 1 G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2001 (4e éd.), p. 10. 2 G. Simondon, « Psycho-sociologie de la technicité. Aspects psycho-sociaux de la genèse de l’objet d’usage », Bulletin de l’Ecole pratique de Psychologie et de Pédagogie de Lyon, XV, novembre-décembre 1960, n. 2, p. 127. 55 commencement d’une aventure libre, comportant autant de chances de survie et de transmission à travers les âges que de dangers de réduction en esclavage »1. Si le résultat immédiat d’un geste opératoire se définit comme être technique, esthétique, etc., son mode d’existence coïncide avec son caractère objectal, assujetti à de progressives sédimentations d’ordre (sur)historique et psycho-social. C’est de ce point de vue théorique qu’on comprend la définition que Simondon nous livre de l’objet esthétique : « l’objet esthétique est en fait un mixte : il appelle un certain geste humain, et par ailleurs il contient […] un élément de réalité qui est le support de ce geste »2. L’identité de l’objet esthétique réside donc simultanément dans la manifestation du geste qui préside à sa constitution et dans l’expression de la réalité qui, en étant le support de ce geste, en permet la réalisation. Le mode d’existence de l’objet esthétique coïncide avec une sorte de surimpression du geste créatif - la « figure » ou l’ « élément » - et de la réalité - qui possède le caractère du « fond » sur lequel le geste se découpe. Dans sa Phénoménologie de l’expérience esthétique, Dufrenne affirme : « [l]’objet esthétique est un objet essentiellement perçu, uploads/Philosophie/ esthetique-et-techno-esthetique-chez-sim-pdf 2 .pdf
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- Publié le Jul 11, 2021
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