vol. 16, n. 3 dezembro de 2020 issn 1980-4016 L’apport de l’épistémologie de Re

vol. 16, n. 3 dezembro de 2020 issn 1980-4016 L’apport de l’épistémologie de René Thom à la sémiotique* Wolfgang Wildgen** Résumé : La pensée épistémologique de René Thom montre deux facettes qui correspondent grossièrement à deux périodes de sa recherche scientifique : (a) un platonisme mathématique qui recherche le corrélat des structures topologiques dans la réalité des phénomènes (la période de 1965 à 1977), et (b) la critique du paradigme galiléen en physique expérimentale et la pertinence d’une philosophie de la nature appliquée à la biologie et à la sémiotique (la période de 1978 à 1990). Les deux positions peuvent être analysées d’une part en partant du livre Stabilité structurelle et morphogenèse de 1972 et de son programme d’une analyse qualitative basée sur la théorie des catastrophes (ensemble avec Christopher Zeeman), d’autre part basé sur le livre de 1988 avec la vision d’une sémiophysique et un programme qui se met à la recherche des forces qui sélectionnent et canalisent la morphogenèse du sens (et qui permettent de constituer une sémantique en linguistique et une sémiotique dynamique). L’épistémologie de Thom peut être interprétée dans le contexte de la tradition philosophique de Leibniz à Kant et Husserl. Jean Petitot explique les rapports tout en considérant la sémiotique de Greimas et les recherches cognitives en linguistique et en neuropsychologie. Ces aspects historiques sont discutés brièvement. Cet article essaie de clarifier et d’évaluer la portée épistémologique des travaux de Thom pour la sémiotique et la linguistique. Il poursuit le but non seulement de faire comprendre cette contribution au débat épistémologique, mais aussi de circonscrire le potentiel épistémologique de la pensée morphodynamique de René Thom pour la sémiotique et la linguistique. Mots-clés : René Thom; théorie des catastrophes; platonisme; philosophie de la nature; prégnance. * DOI: https://doi.org/10.11606/issn.1980-4016.esse.2020.172221 . ** Professeur Émérite au Département de Germanistique de l’Université de Brême, Allemagne. E-mail : wildgen@uni-bremen.de . ORCID : https://orcid.org/0000-0002-3112-1812 . estudos semióticos estudos semióticos, vol. 16, n. 3, dezembro de 2020 206 Introduction ’arrogance des philosophes s’exprime dans la locution de Heidegger « La science ne pense pas ».1 Il y a pourtant un grain de vérité dans ce bon mot de Heidegger. La société des scientifiques, et ceci concerne aussi et surtout les sciences humaines, établit des horizons de pensée, des standards et des techniques pour la réponse aux questions posées. Souvent elle se subdivise en régions, nations, continents séparés par ces standards et par les traditions acquises. Souvent elle est délimitée par des conventions d’école implicites. Toute pensée au-delà de ces frontières est traitée comme non-pertinente, aventureuse, spéculative. La pensée scientifique tourne autour d’un centre bien établi sans pourtant franchir les limites. Une ouverture de ce bassin d’attraction est ou bien due à un renforcement, une accélération des mouvements centrifuges individuels (a) ou à une fuite, une transgression forcée (b). En termes de dynamique qualitative, que je me permets d’utiliser comme métaphore du dynamisme inhérent, on parle dans le premier cas d’un changement de température. Comme dans un fluide ou un gaz, l’accroissement de la température augmente l’énergie de mouvement des particules et leur permet de fuir l’attracteur. Dans le deuxième cas, un tunnel, comme on dit en mécanique quantique, « perce » le potentiel au maximum qui sépare deux attracteurs et une partie de l’énergie dans le premier attracteur « fuit » dans celui à côté qui est plus profond. La figure 1 illustre cette image du dynamisme à l’aide d’un potentiel dans la catastrophe élémentaire appelée la fronce. Figure 1: Le potentiel de l‘énergie créatrice des chercheurs, les limites imposées (maxima) et les deux mouvements innovateurs (a) et (b). 1 Heidegger, tout comme le philosophe Husserl dans son œuvre Krisis (1934-37), reproche aux sciences d’opérer selon des règles de jeu, au lieu de réfléchir de façon immédiate et fondamentale. L Wolfgang Wildgen 207 L’effet (a) et le changement du potentiel A au potentiel B est la conséquence normale d’une activité scientifique, qui finit par épuiser ses ressources locales et qui accumule des actions de dérive, des exploits de transgression de la limite imposée.2 Les styles de l’architecture, de l’art, de la mode vestimentaire montrent souvent des transgressions régulières, par exemple chaque décade, chaque saison etc. Parfois on observe même un retour à un style abandonné, voir les styles néo-historiques dans l’architecture de la fin du XIXe siècle. Dans ce cas, on observe une dynamique cyclique. L’effet (b) présuppose une énergie particulière, parfois concentrée dans un petit groupe qui a une vision plus globale et se rend compte de l’existence d’un attracteur plus profond dans l’environnement et se met à sa recherche. Il s’agit alors d’un effet singulier, en termes de topologie différentielle d’une singularité. Pourtant, si personne ne veut suivre l’individu hardi ou le groupe innovateur, qui passe le tunnel, la situation globale dans la discipline ne change pas, le mouvement par le tunnel échoue et l’entreprise est oubliée. Dans certains cas, l’effet tunnel n’est pas directement dû à une énergie exceptionnelle concentrée dans un individu ou un groupe, elle résulte plutôt de la dynamique interne de la pensée scientifique qui déploie un paysage épigénétique et dirige ou même force les scientifiques de poursuivre une certaine logique implicite au savoir acquis et les entraîne dans un attracteur nouveau. La figure 2 illustre l’image du paysage épigénétique, donné par le biologiste Waddington, partenaire de René Thom dans les années 60 du XXe siècle. Dans ce cas, la communauté scientifique ne se rend pas compte du changement lisse qui émane des gradients implicites au savoir scientifique. Figure 2: Le paysage épigénétique d’un changement implicite au savoir acquis. 2 La dérive peut aussi être due à une perte de confiance générale dans les institutions, comme après une révolution politique (voir les événements de mai 1968) ou entre les guerres dans les années 20 et 30 du XXe siècle en Allemagne. estudos semióticos, vol. 16, n. 3, dezembro de 2020 208 Dans un article de 1952 Szolem Mandelbrojt (l’oncle de Benoît Mandelbrot) nomme deux aspects de la qualité d’un théorème mathématique, au-delà de son utilité : la beauté et « un élément dynamique » (Mandelbrojt, 1952, p. 49). Il écrit: « Mais un théorème intéressant est celui qui déclenche ce mouvement, disons brownien, automatiquement, presque contre la volonté du mathématicien lecteur. » (ibidem, p. 50). Il compare cet effet à celui d’un catalyseur en chimie : « un théorème intéressant est un catalyseur pour la réaction qui est la nouvelle découverte mathématique » (ibidem). Mandelbrojt avait invité en 1946 Norbert Wiener à une conférence mathématique à Nancy, où celui-ci a initié le mouvement de la « cybernétique » qui fut le point de départ de l’informatique moderne et de l’intelligence artificielle (le livre incitatif fut publié par Hermann et Cie en français). Ce développement, dont le succès a surpris Wiener et son éditeur Feyman, peut être considéré comme le point de départ de toute une avalanche d’entreprises en direction d’une nouvelle synthèse scientifique, voir en 1972 la « théorie des catastrophes » (Thom, Zeeman), en 1977 la « Synergétique » (Haken, Kelso), la « Dynamique dissipative » (Prigogine et l’école de Bruxelles), les « systèmes auto-organisés » (Maturana, Varela), les « dynamiques chaotiques » et la «géométrie fractale » (B. Mandelbrot) et autres3. Dans sa biographie « Mathématiques - ma vie » de 1962, Wiener annonce déjà que l’innovation cybernétique aura des conséquences profondes pour la philosophie et surtout l’épistémologie. Dans mon analyse de l’épistémologie de René Thom, je vais considérer ce développement dans les sciences naturelles (physique, chimie, sciences de la cognition) et leur projection dans le domaine des sciences humaines, surtout la linguistique et la sémiotique. 1. René Thom et la philosophie des mathématiques Les mathématiques ont le caractère d’une tête de Janus. Elles regardent vers la connaissance et les systèmes du savoir (par exemple en physique) et elles sont un langage formel et abstrait. Dans cette perspective, elles produisent un lexique de concepts abstraits et une syntaxe de constructions, y inclus une logique de la démonstration. En tant que moteur de la connaissance, elles sont le fondement d’une connaissance nouvelle, par exemple en physique de la 3 On pourrait ajouter l’entreprise de Jean Piaget dans sa « psychologie génétique » et son « épistémologie génétique ». Contrairement aux entreprises scientifiques mentionnées, il essaie de trouver un lien direct entre la psychologie et la théorie des ensembles (et la métamathématique du groupe Bourbaki). Pour Wiener et tous les autres, ce fut plutôt le Calcul des probabilités, l’Analyse différentielle et la Topologie qui servaient de base. Chomsky a, sans en être conscient, suivi la stratégie ensembliste de Piaget, mais dans sa forme logiciste formulée par Rudolf Carnap (1891-1970) dans sa « Logique de la syntaxe du langage» (Logische Syntax der Sprache publiée à Vienne en 1934) et élaborée par son disciple Yehoshua Bar-Hillel (1915-1975) au début des années 50. Pendant cette période, les trois furent en contact direct aux États-Unis. Wolfgang Wildgen 209 relativité et en mécanique quantique ou dans l’électromagnétisme et la construction des calculatrices. Dans le cadre de sa philosophie des formes symboliques, Ernst uploads/Philosophie/ estudos-semioticos-wildgen-l-x27-apport-de-l-x27-epistemologie-de-rene-thom-a-la-semiotique.pdf

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