LOUIS ALTHUSSER INITIATION A LA PHILOSOPHIE POUR LES NON-PHILOSOPHES P E R S P

LOUIS ALTHUSSER INITIATION A LA PHILOSOPHIE POUR LES NON-PHILOSOPHES P E R S P E C T I V E S C R I T I Q U E S LOUIS A L T H U S S E R INITIATION À LA PHILOSOPHIE POUR LES NON-PHILOSOPHES P E R S P E C T I V E S C R I T I Q U E S puf puf PERSPECTIVES CRITIQUES Collection fondée par Roland Jaccard et dirigée par Laurent de Sutter Louis Althusser INITIATION À LA PHILOSOPHIE POUR LES NON-PHILOSOPHES Texte établi et annoté par G. M. Goshgarian Préface de Guillaume Sibertin-Blanc Presses Universitaires de France ISBN 978-2-13-060849-3 ISSN 0338-5930 Dépôt légal — 1re édition : 2014, janvier 2e tirage : 2014, avril © Presses Universitaires de France, 2014 6, avenue Reille, 75014 Paris L'éditeur remercie MM. François Bod­ daert et Olivier Corpet, ainsi que l équipe de l'Institut mémoires de l'édition contempo­ raine (IMEC), pour leur concours dans l'édition du présent ouvrage. G. M. Goshgarian adresse ses remercie­ ments à Paul Garapon, Christine Gardon, François Matheron, Peter Schöttler, Tzu­ chien Tho, Fabienne Trévisan, Maria Vlă ­ dulescu, Jackie Epain, Sandrine Ferré, Laurie Tuller, au Comité de rédaction de la revue d'études althussériennes Déca­ lages, et à toute l'équipe de l'IMEC. Préface par Guillaume Sibertin-Blanc U Initiation à la philosophie pour les non-philosophes, dont le manuscrit établi par les soins de G. M. Goshga- rian est présenté ici pour la première fois au public, n’a pas pour moindre étrangeté de combiner ce qui paraî­ tra à beaucoup d’égards comme une synthèse, où l’unité d’une exposition d’ensemble n’exclut pas des juxtapositions parfois inattendues, de propositions ten­ tées par Althusser au fil de ses déplacements successifs (depuis les cours de 1967 sur la «philosophie sponta­ née des savants1 » et Lénine et la philosophie, jusqu’à la Soutenance d'Amiens et la conférence de Grenade de 1976 La transformation de la philosophie), et la résonance la plus immédiate avec l’actualité de sa 1. Et tout particulièrement le cinquième Cours, resté inédit de son vivant, dont on verra éprouvée encore ici l’étonnante fécondité, tout comme des «Notes de recherches » d’octobre 1966-février 1968 : L. Althusser, « Du côté de la philosophie (cinquième cours de philosophie pour scientifiques) » (1967), in Ecrits philosophiques et politiques, t. II, éd. F. Matheron, Paris, Stock-IMEC, 1995, 2e éd. Le Livre de poche, 1997, p. 267-308; et « Notes sur la philosophie (1967-1968) », ibid, p. 313- 356. 9 rédaction: celle qui, en 1977-1978, trouve son dia­ gnostic dans les textes de la «crise ouverte du mar­ xisme», et qui donne à Y Initiation son adresse, peut- être son mobile latent, enfin sa raison en conjoncture. Conjoncture de crise politique et théorique du mar­ xisme, conjuguant une crise du Mouvement ouvrier et de ses organisations et l’essor de mouvements sociaux, minoritaires et de masses qui, du dehors des formes historiques de la lutte de classe ouvrière (le parti, le syndicat), ne remettent pas moins en question la « fini- tude » de la théorie marxiste. Qu’on relise les dernières lignes de l’intervention de 1978 «Le marxisme aujour­ d’hui », et l’on y trouvera rien de moins que le point de départ de Y Initiation : « Car les problèmes théoriques ne se jouent pas dans la tête des intellectuels (universi­ taires ou politiques, dirigeants ou non, “intellectuels” ou “manuels” [sic]), qui ne décident ni de leur surgisse­ ment, ni de leur position, ni de leur ouverture. [...] Le marxisme est à la veille de profonds changements, dont les premiers signes sont visibles. La théorie marxiste peut et doit aujourd’hui reprendre à son compte, pour ne plus l’abandonner, le vieux mot de Marx: nous devons “régler son compte à notre conscience philoso­ phique antérieure”. Et d’abord à la “conscience philo­ sophique” de Marx, toujours “antérieure”. En sachant que ce n’est évidemment pas l’affaire des seuls philo­ sophes, intellectuels et dirigeants, ni même l’affaire des seuls partis. Car “tout homme est philosophe” 10 (Gramsci). C’est en dernier ressort l’affaire des masses populaires dans l’épreuve de leur combat1. » Pourquoi dès lors proposer une « initiation » ? Initier serait introduire dans un nouvel élément, arts d’une vie bienheureuse, secrets d’une pratique voluptueuse ou mystères d’un savoir ésotérique, destinant à faire entrer les néophytes dans le cercle restreint que réserve à ceux qui l’ont accompli son rite de passage. Ce livre, que Althusser appelle également — le terme est particulière' ment adéquat — son « manuel », part au contraire du constat le plus exotérique qui soit: il y a une idée don­ née de la philosophie, ce qui paraît annuler d’emblée l’entreprise, intronisante et didactique, qu’annonce son titre. Si toutefois le compte n’est pas nul, c’est que cette idée elle-même n’est pas simple, mais double et contra­ dictoire. Cette dualité ne lui vient pas d’abord de sa division entre sa tendance matérialiste et sa tendance idéaliste, suivant la thèse qu’AJthusser ne cesse de réécrire, à partir des formules princeps d’Engels et Lénine, depuis 1968 (Lénine et la philosophie, La Philo­ sophie comme arme de la révolution...), et à laquelle Y Ini­ tiation donne une opérativité maximale. Elle vient plus profondément de la division du travail manuel et intel­ lectuel, de la hiérarchisation à laquelle elle s’adosse des modes de pensée et de connaissance, de la spécialisation 1. L. Althusser, « Le marxisme aujourd’hui » (1968), rééd. in Solitude de Machia­ vel, éd. Y. Sintomer, Paris, Puf, coll. «Actuel Marx Confrontation», 1998, p. 308- 309. 11 de la fonction intellectuelle et de son rapport biface, de pédagogisme et de domination, avec ces « hommes de la pratique» censés être enseignés par son savoir ou astreints à l’« appliquer » comme on exécute des ordres. Venant s’inscrire dans cette division, l’idée donnée de la philosophie prend ainsi deux formes : celle d’une « phi­ losophie spontanée des non-philosophes», unification d’une attitude pratique et intellectuelle au monde où se combinent, dans des formes plus ou moins contradic­ toires d’«activité passive», l’acceptation prudente ou résignée au monde qui va, et l’appréhension « rationa­ liste» d’un monde donnant toujours quelque prise à sa transformation; mais aussi l’idée spontanée que les « philosophes professionnels » eux-mêmes se font de leur pratique, étranges personnages s’attelant à l’exégèse infi­ nie des textes en quête de leur Sens, singuliers profes­ seurs se faisant spécialité d’enseigner cette discipline qui depuis sa naissance s’est dite inenseignable. Ces deux philosophies spontanées, ou ces deux idées données de la philosophie, n’ont pas le même contenu, ni la même histoire ou le même rapport à l’histoire, celle des luttes de classe qui les traversent l’une et l’autre et qui font qu’elles n’ont pas plus l’une que l’autre rien de « spon­ tané ». Mais entre elles deux tout un tissu de rapports est toujours déjà tendu, ne serait-ce que parce que les non- philosophes intériorisent la représentation que les philo­ sophes professionnels se font de leur propre activité, rapports dont on peut considérer que XInitiation n’a pas d’autre tâche que de les desserrer, au moyen d’un 12 nouveau «long détour», suivant le geste élevé par Althusser au rang de geste philosophique par excellence du décentrement, de la démarcation d’une distance prise, c’est-à-dire de la position clivante d’une thèse1. Au seuil du manuscrit de 1969-1970, « La reproduction des rapports de production », Althusser reprochait à Gram- sci, en lui retournant le grief que ce dernier avait adressé à Boukharine, de négliger un aspect central de la conception spontanée que les philosophes se font de leur propre activité, et que les non-philosophes reprennent à leur compte lorsqu’ils se les représentent vivant dans un monde d’abstractions1 2. Représentation contradictoire, de nouveau, puisque ce sont ces mêmes « abstractions » qui figurent aux uns l’éminence de leur discipline hors de portée des « hommes ordinaires », et qui donnent aux autres l’occasion d’un « règlement de comptes » railleur avec ces animaux étranges vivant la 1. Tel le fameux « détour par Spinoza» pour repenser le rapport critique de Marx à Hegel en d’autres termes que ceux de la dialectique idéaliste : Eléments d'autocri­ tique (1972), rééd. in Solitude de Machiavel, op. cit.y p. 181-189. 2. Voir A. Gramsci, Cahiers de prison, 10e cahier («L’anti-Croce»), § 12; et 1 Ie cahier, § 13, où Gramsci reproche à Boukharine de n’avoir pas commencé son Manuel populaire de sociologie marxiste par un examen critique de la « philosophie des non-philosophes», et de l’idée que le peuple se fait «spontanément» de la philosophie. Cf. L. Althusser, Sur la reproduction, Paris, Puf, colL «Actuel Marx Confrontation», 1995, p. 32. Rappelons que ce manuscrit au fil duquel Althusser éprouve longuement sa théorie des «appareils idéologiques d’Etat», qui fait l’objet d’une reprise substantielle dans l'Initiation* était présenté par Althusser lui-même comme un «long détour» entre la question liminaire Qu’ est-ce que laphilosophie ? > et celle à laquelle devait revenir un second volume: Qu’ est-ce que la philosophie marxiste-léniniste (ou qu’est-ce que «l’intervention philosophique révolutionnaire dans la pratique scientifique, et dans la uploads/Philosophie/ perspectives-critiques-louis-althusser-initiation-a-la-philosophie-pour-les-non-philosophes-puf-2014.pdf

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