Remerciez-le!

Remerciez @Admin pour avoir partagé cet document gratuitement, de la manière la plus simple, en partageant sur les réseaux sociaux.

Linda Evans (traduit de l’anglais par Laure Bazin Rizzo) 41 I l est impossible

Linda Evans (traduit de l’anglais par Laure Bazin Rizzo) 41 I l est impossible de penser à l’extraordinaire culture de l’égypte ancienne sans prendre également en compte le rôle joué par le bétail dans la vie et la pensée égyptiennes. Bien que nous ne sachions toujours pas avec certitude ni de quelle manière, ni à quelle date furent domestiqués pour la première fois les bovins en égypte, une abondance de preuves visuelles, textuelles et physiques témoigne de la longue présence et de l’importance de ces animaux dans la vie des égyptiens – une concentration dynamique des ressources à la fois physiques et métaphysiques depuis la période prédy- nastique. en effet, ainsi que pascal Vernus l’a noté, "dans la société pharaonique, le rôle du bœuf – au sens large – se révèle éminent dans l’économie, dans l’organi- sation sociale, mais aussi dans les représentations men- tales, dans la symbolique, l’idéologie et la religion" 1. La VaCHe symBoLe de La soLLICItude dans La VIe quotIdIenne des anCIens égyptIens fig. 1 Vache allaitant son veau ; tombe de Baqet III (n° 15) à Beni Hassan ; xIe dynastie. Cliché de l'auteur. Linda Evans 42 Fertilité Aux yeux des Égyptiens, l’un des concepts les plus per- sistants qu’incarnaient les bovins était celui de la ferti- lité. pour une société aussi profondément agricole, la productivité de leur terre et de leur cheptel était d’une importance cruciale, ce qui conduisit les Égyptiens à s’efforcer constamment de conjurer la pénurie et à encourager l’abondance non seulement par des moyens pratiques mais aussi magiques. il en allait spécialement ainsi pour la croissance et l’entretien de leurs troupeaux de bovins qui conféraient richesse et statut social à leurs propriétaires. Les animaux étaient à la fois symbole et source de fertilité. Le dynamisme, la vitalité et la puis- sance manifeste du taureau faisaient certes de lui, pour les Égyptiens, le responsable de la création de la vie, mais c’est le rôle reproductif de la vache en tant que mère du petit et canal grâce auquel leurs troupeaux s’étoffaient qui lui conféra une valeur spéciale [fig. 1]. Le terme égyptien pour vache, jd.t, pouvait tout aussi bien se rapporter aux organes génitaux féminins, tant l’animal était associé à son potentiel reproductif 2. La vache était par conséquent le symbole idéal à travers lequel les déesses, telle Hathor, pouvaient exprimer leur association fondamentale avec la sexualité et la fécondité. La vache constituait donc l’incarnation de la fertilité pour les Égyptiens, une signification symbolique qui révèle une profonde préoccupation concernant la capa- cité des animaux à concevoir et mettre au monde un petit. par conséquent, le soin pastoral des vaches est fré- quemment représenté à la fois dans les textes et dans l’art, particulièrement dans les scènes des tombes où le cycle de la vie, depuis l’accouplement jusqu’à la naissance des veaux, constitue un thème majeur. De telles scènes illustrent les pratiques quotidiennes des bouviers s’occu- pant de leur bétail durant les différentes étapes de leur vie et se révèlent ainsi très instructives au sujet des méthodes d’élevage utilisées par les Égyptiens. Cependant, afin de comprendre pleinement ces images, il faut les considérer à la lumière des connaissances scientifiques modernes sur la reproduction des bovins. De manière surprenante, les études ont régulièrement révélé que la fertilité des vaches est, en réalité, très fragile. fig. 2 Taureau reniflant une vache ; tombe de Thetou (G2001) à Gîza ; vie dynastie. Dessin de W.K. SimpSon, Mastabas of the Western Cemetery: Part I, Boston, 1980, fig. 22. L A vA C H e : S y m B o L e D e L A S o L L i C i T U D e D A n S L A v i e q U o T i D i e n n e D e S A n C i e n S É G y p T i e n S 43 De nombreux facteurs affectent la fertilité des bovins 3. Les vaches âgées, par exemple, ont tendance à concevoir moins souvent et à un rythme plus lent que les vaches plus jeunes après la naissance de leurs premiers veaux. Les infections de l’appareil génital figurent également parmi les causes majeures de l’infertilité des vaches, une compli- cation courante dans des pays où les basses normes d’éle- vage conduisent à une hygiène inadéquate durant le vêlage. La gestion du troupeau affecte également les taux de gros- sesse. Le climat et la saison jouent tous deux un rôle majeur, avec des signes de réceptivité sexuelle ("œstrus") réduits et des taux de conception plus bas associés à de températures et des degrés d’humidité élevés. La mort au stade embryonnaire serait ainsi plus élevée sous les tro- piques. Un régime alimentaire pauvre affecte quant à lui défavorablement la production de lait tandis que certaines nourritures peuvent également diminuer la fertilité, tels le trèfle et la luzerne cultivée qui contiennent des taux importants de phytœstrogènes pouvant causer des dérè- glements hormonaux 4. Les taux de grossesse sont sérieu- sement plus bas dans les troupeaux plus grands, bien que les vaches des troupeaux plus petits semblent concevoir plus lentement que celles des groupes de plus grande taille. La manière dont les vaches sont logées constitue également un facteur important ; des taux de grossesse plus élevés sont relevés chez les vaches qui sont libres de déambuler par comparaison avec celles laissées en stabulation. Le choix de taureaux appropriés est lui aussi crucial lors de l’accouplement. Les gros taureaux engendrent souvent des veaux de grande taille qui sont difficiles à mettre au monde pour la vache, ce qui conduit à des problèmes de repro- duction à long terme. "De nombreux problèmes de partu- rition sont dus au fait que le veau est trop lourd (…) Les difficultés au moment de la parturition résultent fréquem- ment de changements de l’appareil génital (endométrite, adhésions) qui sont préjudiciables à la fertilité ultérieure" 5. Toutefois, l’unique et plus grand facteur entraînant de faibles taux de grossesse chez les bovins reste l’incapacité des bouviers à détecter les signes d’œstrus chez leurs vaches, aboutissant à des accouplements au mauvais moment ou à des opportunités perdues d’accouplement des femelle au moment opportun. pour éviter cela, les fer- miers doivent surveiller leur troupeaux avec attention, être capables de reconnaître individuellement leurs vaches et repérer des changements subtils dans leur comportement, tâches ardues lorsque la taille du troupeau augmente. S’ils arrivent à surmonter ces problèmes, les vaches peuvent donner naissance à un veau par an après une période de gestation d’approximativement neuf mois. L’état repro- ducteur des vaches est ainsi extrêmement vulnérable et même lorsqu’il se trouve à un niveau optimal, elles ne génèrent qu’un petit par an. pour cette raison, il est difficile de comprendre pourquoi les Égyptiens associaient si for- tement les vaches au concept de fertilité alors que d’autres animaux possédaient des taux de grossesse plus élevés et donnaient naissance à plus de petits (par exemple les chèvres qui ont une période de gestation de cinq mois seu- lement et qui engendrent régulièrement des jumeaux). Comment peut se justifier la valeur symbolique attribuée aux vaches ? on a noté, par exemple, que les fermiers égyptiens avaient atteint "une très grande maîtrise" 6 dans la reproduction des bovins. Les preuves archéologiques permettent-elles de soutenir cela quand on les évalue d’un point de vue biologique ? Jusqu’à quel point les fermiers de l’ancienne Égypte se montraient-ils astucieux quant aux besoins reproducteurs de leurs vaches ? Dans le panorama qui suit, un éventail de sources textuelles, artistiques et physiques sont examinées afin de décrire les techniques d’élevage des animaux des Égyptiens et d’évaluer si leurs pratiques, conformément aux connaissances scientifiques actuelles, étaient susceptibles d’accroître la fertilité de leurs troupeaux ou bien de la faire baisser. fig. 3 vache reniflant un taureau ; tombe d'oukhhotep (B2) à meir ; xiie dynastie. Avec l’aimable autorisation du Centre australien pour l'égyptologie, macquarie University, Sydney. Linda Evans 44 Tout d’abord, comment les vaches étaient-elles traitées ? Les vaches peuvent être distinguées des taureaux dans les scènes peintes et les reliefs des tombes soit par la présence d’un pis, soit par l’absence d’organes génitaux évidents. elles apparaissent parfois en groupe mais sont plus fré- quemment montrées seules, soit en compagnie d’un tau- reau ou d’un veau, soit soignées par un bouvier. Les bœufs (mâles castrés) et les veaux mâles apparaissent plus com- munément que les femelles dans les scènes d’offrande 7 et ces dernières sont habituellement complètement absentes des scènes de boucherie, mais les vaches sont fréquemment dépeintes dans des scènes agricoles et se rencontrent aussi dans des scènes de passage de gué dans lesquelles les trou- peaux traversent la rivière à la nage (voir infra). Alors que le cycle reproductif de la vache est le sujet central des scènes agricoles, quelques exemples révèlent que les femelles pouvaient participer aux travaux des champs tels le labour et le battage des grains. Les légendes associées aux scènes de passage du gué indiquent souvent que les troupeaux reviennent du nord où ils sont allés uploads/Philosophie/ evans-eao-86-2017-la-vache-symbole-de-la-sollicitude-dans-la-vie-quotidienne-des-anciens-egyptiens.pdf