Ewhen Sverstiouk Les racines ukrainiennes de la pensée religieuse russe Dans ce

Ewhen Sverstiouk Les racines ukrainiennes de la pensée religieuse russe Dans cet espace culturel qu’en Europe on appelle “Russie” ou “Empire russe”, vit, jugulée, une grande diversité de cultures, se heurtent des courants de pensée contradictories, des principes et des traditions. L’empire continue de s’appuyer sur les tendances irrédentistes, intégrationnistes et totalitaires du people russe. Le centralisme soutient les forces du collectivisme et du dogmatisme, et utise en même temps les sources vives et la substance même de l’individualité. Au centre de notre problème portant sur l’indentité nationale, je poserai la question des caractéristiques de l’esprit ukrainien et de la mentalité ukrainienne, et cela principalement dans le domaine philosophico-religieux. Rappelons un fait. Le 1er mars 1881, les terroristes de la Narodna Vola (Volonté du Peuple), utilisant une bombe artisanale, ont tué le tsar Alexandre II. Le 13 mars, lorsque le professeur Vladimir Soloviov, alor âgé do 28 ans, s’éleva, à Petersbourg (1), au cours d’une leçon publique, contre la violence révolutionnaire toute l’assistance garda le silence. Mais lorsque, le 23 mars, le jeune philosophe, au cours de sa 2-ième leçon, demanda la grâce de l’assassin, ses paroles firent l’effet d’une bombe. Alexandre III fit cette réflexion étonné: “Comment un père aussi doux peut-il avoir un tel fils?”. De fait, le père était un historien russe officiel, recteur de l’Université de Moscou… Mais le tsar avait pas pris en compte que Vladimir Soloviov avait aussi une mère, idéaliste et mystique, parente du philosophe ukrainien Skovoroda (XVIII e s.) . Certains de ses professeurs étaient, aussi, idealistes. Je voudrais donc élargir ma question et la formuler ainsї: d’où vient d’une façon générale, cet esprit idéaliste et religieux qu’on trouve à cette époque en Russie? D’ou sont issus Dostoїevski, Soloviov et Berdiaev? Rappelons que Vladimir Soloviov, à l’instar de toute la jeunesse de son époque, avait été contaminé par l’épidémie du matérialisme et du nihilisme. Cet enthousiasme une fois passé, il eut comme professeur de philosophie à l’université, Pamphile Yourkevytch, un professeur au sens ancien de ce terme, qui se donna pour tâche de transmettre les notions-clés. Vladimir Soloviov écrivit deux articles sur la philosophie et sur la figure de son maître. Sans ces deux articles nous ne connaîtrions, aujourd’hui, que le nom détesté de Yourkevytch... Pamphile Yourkevytch (1827-1874) était un professeur de philosophie renommé à l’Académie religieuse de Kiїw (2) et un auteur de traités de philosophie profonds et clairs dans la forme comme dans le fond, dans l’esprit de Platon et de la patiristique chrétienne. En 1861, l’année des grandes réformes (!), la chaire de philosophie à l’Université de Moscou fut restaurée après dix ans d’interdiction. Il ne se trouva alors qu’une seule personnalité de taille pour l’occuper. Or, dans la tradition de l’empire, tout ce qu’il y avait être absorbé par la centre. “Tous les chemins mènent à Rome”… personne ne put y échapper, ni Skovoroda, ni Hohol (3), ni Chewtchenko (4). Avait-il pressenti, à trente-trois ans, que- son calvaire allait commencer? Le philosophe idéaliste se heurta à un monde d’intolérance et au monopole du matérialisme à la mode. Selon le témoignage de N. Berdiaev: “L’intelligentsia russe rappelait plutôt un ordre monastique, une secte possédant sa morale propre, très intolérante, une conception du monde obligatoire”. Le coeur de la “pensée progressiste” en Russie était la revue Sovremennik (Le contemporain), dirigée par Tchernichevski. Lorsque le philosophe de Kyїw, Yourkevytch, émit une critique ironique à propos de l’article de Tchernichevski: “Le principe anthropologique en philosophie”, lui reprochant sa confusion vulgaire et matérialiste des principes, Tchernichevski répodit dans le style suivant: “Séminaristes, nous écrivîmes tous des propos semblables à ceux dé P. Yourkevytch, j’en suis sûr... Bien que je ne l’aie jamais lu et que je ne le lirai jamais...” Il ajouta encore ceci: “Je me sens tellement supérieur aux penseurs de l’école de P. Yourkevytch, que je ne veux absolument pas savoir ce qu’ils pensent de moi”. Yourkevytch contre le Sovrémennik! C’était assez pour faire du philosophe érudit un réactionnaire et un obscurantiste, et pour ridiculiser son no, sans même avoir à le lire... On fit circuler la rumeur que le gouvernement avait venir un Ukrainien réactionnaire pour combattre le matérialisme et le progrès. C’était largement suffisant pour rayer l’oeuvre créatrice de Yourkevytch et pour utiliser son nom comme symbole de la réaction et de l’obscurantisme durant 130 années jusqu’à l’effondrement de l’empire rouge. D’après le témoignage de Vladimir Soloviov, le brill professeur ne put pas avoir, à Moscou, l’influence qu’il avait en Kyїw. Vladimir Soloviov, à demi-Ukrainien lui-même, disai son maître: Yourkevytch était un penseur profond, un admirable connaisseur de l’histoire de la philosophie, principalement de la philosophie antique... Le caractère individualiste de Yourkevytch s’était sans aucun doute formé à partir du fond général de la nature ukrainien et en avait l’air pensif qui caractérise. Il était porté à la méditation et à l’intériorité; il était doué d’une sensibilité intensive plus qu’extensive, mais était également déterminé et replié sur lui- même Yourkevytch avait un penchant pour la contemplation silencieuse encore pour les échanges d’idées paisibles dans les cercles resteints d’amis. A ces traits caractéristique il faut ajouter celui qui était également ukrainien, à savoir une espèce particulière d’humeur concentré... Il me faisait rire aux éclats, alors que lui-même n’ébauchait qu’un léger sourire. La raison principale du rejet de Yourkevytch fut sa coneception idéaliste du monde, organiquement ukrainienne. A sa base s’unissait, d’une façon originale, l’esprit socratique et platonique avec la vision chrétienne du monde. Ce fond philosophique était tellement solide en Ukraine que Skovoroda, philosophe populaire, était devenu légendaire encore de son vivant. Il était vénéré des gens simple. On transmettait son enseignement, on recopiat ses chants et on appliquait sa maxime d’enseigner aussi bien en parole qu’en action. Sa théorie de l’unité des trois mondes, du macrocosme, du microcosme et du monde des symboles, sa théorie du “coeur” comme source de la moralité enfouie dans la personne, de l’essence cachée et invisible des choses, de la paix de l’âme et de la joie de l’esprit – tout cela paraissaient intuitivement évidentes aux paysans aux qui Skovoroda aimait s’adresser. Dans la tradition ukrainienne, Skovoroda était un philosophe ambulant qui ne se séparait jamais ni de sa Bible, ni de ses manuscrits qu’il emportait partout dans sa sacoche et qu’il ne cherchait jamais à publier. Mais lorsque, cent ans plus tard, furent imprimées ses oeuvres à Petersbourg, la critique “progressiste” s’abattit sur elles avec une intolérance inouїe. Le critique Krestovski avoua qu’il ne pouvait pas les lire car c’était “des choses mortes de séminariste” et il se gaussa du fait qu’en Ukraine il y avait encore beaucoup de philosophes aussi fous. Il est à noter que tous ces conflits violents appartiennent à la période de la brusque explosion du matérialisme et du nihilisme en Russie. Mais rappelons le précédent de Hohol. Dans les années quarante, celui-ci introduisit en Russie l’esprit ukrainien de la prédication chrétienne. A cette époque, il était déjà auréolé du titre de génie de la littérature russe et était considéré comme un grand écrivain satirique. A ce propos, Berdiaev estime qu’il est erroné de considérer Gogol comme un écrivain satirique. Il voyait l’essence métaphysique du mal. Gogol était tourmenté par le fait que la Russie était possedée par l’esprit du mal et du mensonge... Il avait suffit à Hohol de publier le livre Pages choisies de la correspondance avec mes amis (1846), pour qu’on se jetât sur lui l’accusant de trahir les idées progressistes. Hohol demanda à ce que l’on le lise plus attentivement. Rien n’y fit, il devint l’objet d’une critique dépourvue de tout désir de le comprendre et de le lire jusqu’au bout. La célèbre Lettre à Gogol de Biélinski peut être qualifiée de modèle exemplaire de l’intolérance de la réaction nihiliste qui biffe le livre et son auteur du même trait de plume. Qu’il soit rappelé ici que Biélinski réagit d’une façon aussi “totale” aux écrits de Chewtchenko et à ceux d’autres écrivains ukrainiens rassemblés dans le “Renouveau chrétien”. Il approuva leur arrestation. La “Lettre à Gogol” fut écrite à Zurich et fut diffusée illégalement. Mais l’esprit de cette lettre s’était emparé de toute la Russie progressiste qui l’avait érigé en impératif moral. Quel paradoxe de trouver des lecteurs pénétrés de la Lettre de Biélinski tant parmi les disciples et admirateurs de Hohol que parmi ceux de Yourkevytch plus tard! Je pense à Dostoїevski. “Nous sommes tous sortir du Manteau de Gogol”, écrivait Dostoїevski. Mais c’est loin d’être un aveu complet. Je ne sais pas, pour ma part, si tous sont sortis de ce manteau, mais Dostoїevski, lui – et cela fut rélévé par la critique bien avant son arrestation, - est issu de la prose de Hohol, de son oeuvre publiciste et de ses recherches. On a peu écrit à ce sujet, tant il est vrai que les maîtres des grands restent toujours dans l’ombre. Par conséquent, “la pierre que les bâtisseurs ont rejetée, est devenue la pierre angulaire” (Mathieu, 71, 42). Mais, comme nous le voyons, ceux qui ont posé la pierre angulaire dans uploads/Philosophie/ ewhen-sverstiouk-les-racines-ukrainiennes-de-la-pensee-religieuse-russe.pdf

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