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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1969 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 déc. 2020 19:10 Laval théologique et philosophique Existence historique et temporalité selon Bergson Roger Ebacher Volume 25, numéro 2, 1969 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1020144ar DOI : https://doi.org/10.7202/1020144ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Laval théologique et philosophique, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Ebacher, R. (1969). Existence historique et temporalité selon Bergson. Laval théologique et philosophique, 25 (2), 208–233. https://doi.org/10.7202/1020144ar Existence historique et temporalité selon Bergson L’homme moderne a pris conscience qu’il est l’auteur de l’histoire. Il se qualifie volontiers d’être historique ou encore temporel. Teilhard de Chardin nous a même appris à démarquer l’homme moderne — et par le fait même à repousser hors de cette modernité nombre de nos contemporains — par cette capacité de voir le monde et de se voir lui-même comme historiques. Cette temporalité essentielle, qui est à la fois tradition et rénovation, perpétuation et création, responsabilité face à un passé qu’il faut conserver et transmettre en l’accroissant, est un thème constant de la pensée contemporaine. Dans le présent essai, nous voulons chercher ce que Bergson peut nous en dire. On a parfois soutenu que la perspective bergsonienne n’implique pas de philosophie de l’histoire. De fait, on ne peut pas parler d’une philosophie bergsonienne de l’histoire au sens où on a une philosophie hegélienne de l’histoire : inutile de chercher un tel traité dans les œuvres de Bergson. Mais le philosophe de la durée pouvait-il ignorer la di mension historique de l’existence ? Le philosophe si contemporain du grand renouveau de la biologie pouvait-il négliger la percée de Darwin qui ouvrait les abîmes du temps et du devenir et, ainsi, lançait le monde vivant dans une histoire qui allait devenir l’histoire du monde? Bergson nous présente bien toute une vision de l’existence historique, qui sera peut-être d’autant plus éclairante qu’elle vient après celle de Hegel et de Marx pour s’en distinguer radicalement. Une critique de la science historique Si Bergson n’a pas écrit de philosophie de l’histoire, il présente une critique de l’histoire comme science qui nous indique divers aspects de sa conception du devenir historique. Bergson a fermement attiré l’attention sur certains caractères de cette histoire savante. Il a souligné comment la connaissance du passé est une reconstruction par un observateur situé après coup, qui, au lieu de suivre le véritable devenir, le se faisant, ne voit que l’événement tout fait et déjà à son terme. Ce recoupage n’est qu’une vue prise sur la réalité historique grâce à la connaissance de son dénouement: une reconstitution à re bours marquée de l’illusion inévitable de la rétrospection. Cette « illusion du futur antérieur » qui consiste à projeter dans le passé ce qu’il faut y retrouver pour expliquer l’événement, ces pro phéties proférées après coup sont radicalement dénoncées et démysti fiées. Elles viennent toutes du faux problème, plus précisément du EXISTEN CE H ISTORIQUE ET TEM PORALITÉ SELON BERGSON 209 problème inexistant du « possible ». « Notre appréciation des hommes et des événements est tout entière imprégnée de la croyance à la valeur rétrospective du jugement vrai, à un mouvement rétrograde qu'exé cuterait automatiquement dans le temps la vérité une fois posée. Par le seul fait de s’accomplir, la réalité projette derrière elle son ombre dans le passé indéfiniment lointain; elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir )h1 Le romantisme d’un Rousseau ou d’un Chateaubriand ne préexistait en rien dans le classicisme. Il n’y aura préexisté que rétrospectivement, quand nous aurons vu ce qu’est le romantisme et que nous en découperons la préfiguration dans une forme littéraire antérieure. « Le romantisme a opéré rétroactivement sur le classicisme [.. .] Rétroactivement il a créé sa propre préfiguration dans le passé, et une explication de lui-même par ses antécédents ».2 En fait, l’existence précède le possible ou l’essence. Ce mirage, qu’il faudrait poursuivre à travers nos habitudes intellectuelles jusqu’à ses racines, jusque dans la constitution psycho logique de l’homme essentiellement géomètre et technicien que nous sommes, s’explique plus immédiatement par notre idée de la causalité. On sait comment, depuis Aristote jusqu’au xvii® siècle, la cause a une portée à la fois ontologique et épistémologique : elle est ce par quoi tel être existe et ce par quoi il est rendu intelligible. La cause efficiente est destinée à expliquer le surplus d’être qui apparaît dans tout devenir. Elle est cette efficacité externe qui rend compte du passage de la puissance à l’acte et qui garantit que l’effet sera toujours proportionné à sa cause. « Les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Ce qui veut dire que l’effet est déjà dans sa cause: il y est « préformé », comme un nombre indéfini de théorèmes préexistent dans la définition du cercle. La cause efficiente trouve son parfait résumé dans l’idée de déterminisme qui est la loi de la nature tout entière, loi qui exprime que tout peut se répéter. La cause finale est, de son côté, essentielle ment reliée à la cause efficiente et, par elle, au déterminisme ■ Son rôle est d’expliquer que le devenir aboutisse à un terme bien défini. Un tel terme doit alors être prédéterminé, fixé d’avance dans l’agent produc teur: la cause finale est l’expression de la régularité du déterminisme, 1. PM 1264 (14-15). Sigles employés: DIC: Essai sur les données immédiates de la conscience; MM: Matière et mémoire; EC: L’évolution créatrice; ES: L’énergie spirituelle; DS: Les deux sources de la morale et de la religion; PM: La pensée et le mouvant. Tous ces écrits seront cités d’après Henri Beegson, Oeuvres, Paris, P. U. F., 1963. La référence entre parenthèses renvoie, pour chacun des ouvrages de Bergson pris séparément, à l’une ou l’autre des réimpressions faites depuis 1939, date à laquelle on a fixé définitivement cette pagination. Autres sigles: EP : Écrits et paroles, textes rassemblés par II. M. Mosse-Bastide, Paris, P. U. F. ; EB : Les études bergsoniennes. 2. PM 1265 (16). Voir ibid., 1339 (110). L A V A L THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE 210 Il suffira alors de connaître parfaitement tous les antécédents pour effectuer une prévision infailliblement vraie.1 Cette doctrine implique toute une vision cosmique et théologique. L’influx causal s’y transmet du Premier Moteur aux êtres naturels à travers les intelligences pures ou séparées qui assurent la motion des sphères célestes. La nature est ainsi considérée comme passive par rapport à cette motion universelle qui l’atteint dans son être même. Et les degrés de cette passivité sont marqués par des chutes en casca des dans le devenir. Le non-être platonicien et la matière aristotéli cienne représentent, par l’espace et le temps, l’écart entre la « pensée faisant cercle » éternellement et les degrés de décroissance jusqu’au « rien absolu ».2 Et lorsque cette vision cosmique est radicalement bouleversée par Kepler et Galilée, elle entraîne dans sa chute l’idée de cause. La causalité efficiente prend le visage d’une causalité mécanique devant traduire le lien existant entre divers phénomènes. On se re trouve devant une causalité de type exclusivement relationnelle, sans poids ontologique. Il ne reste donc qu’un principe méthodologique (le mécanisme) jusqu’à ce que, à travers ses vicissitudes historiques, celui- ci se transmue en principe ontologique plus ou moins universel. Le mécanisme, d’abord essayé sur l’astronomie et la mécanique galiléennes, s’introduit dans la vie par le biais des animaux-machines qui allaient devenir le centre de la pensée mécaniste. Armée de son puissant instru ment mathématique, la physique entreprend la conquête de la vie — et de l’esprit avec Hobbes. La nature devient du mathématique incarné : elle a perdu son mystère et il suffit d’y rechercher des < ( causes » et des « effets ». Le déterminisme rigoureux du mécanisme universel entreprend ses conquêtes. Descartes et Spinoza en sont les relais. La préformation du présent dans le passé et du futur dans le présent y tend de plus en plus à une identité. La causalité implique une négation radicale de la durée: aucune faille n’y permet une « hésitation », une « attente ». L’univers tombe dans l’instantanéité (Descartes), la série multiple et vécue des phénomènes n’est que l’équivalence dans le temps de l’unité, l’éternité et l’identité divines (Spinoza). Il ne reste plus qu’à « tenir l’aspect temporel des choses pour une pure illusion ».3 Par ailleurs, la causalité finale n’est pas totalement évincée. Réintroduite par Newton avec l’idée de force, elle fait son chemin dans ce qu’on a uploads/Philosophie/ existence-historique-et-temporalite-chez-bergson.pdf
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- Publié le Apv 24, 2021
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