Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres LEXIQUE E
Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres LEXIQUE ET VOCABULAIRES : UNE DYNAMIQUE D’APPRENTISSAGE Synthèse de la conférence de M. Jean Pruvost Il s’agit d’un enseignement indispensable, trop souvent parent pauvre de la didactique. Une double approche est ici proposée : l’approche théorique mettra en relief cinq concepts de linguistique appliquée propres à rendre efficientes les stratégies d’enseignement ; l’approche pratique signalera d’une part les mauvaises tentations à éviter dans l’apprentissage, d’autre part les points d’ancrage méthodologique à prendre en compte. 1. APPROCHE THÉORIQUE : LA DYNAMIQUE DES SIGNES Il convient de faire percevoir, efficacement et simplement, le lexique comme un univers organisé. Cette macrostructuration se résume à quelques concepts fondamentaux : l’emboîtement concentrique des univers lexicaux ; la différenciation des signes lexicaux d’une zone à l’autre ; le degré variable de motivation et d’arbitraire ; le rayonnement lexiculturel ; la polysémie dynamisante. 1.1 Un phénomène d’emboîtement concentrique On peut distinguer, par exemple pour les mots « maison »/ « villégiature » / « P.O.S. » (plan d’occupation des sols), trois sphères lexicales qui s’échelonnent et s’emboîtent à partir d’une première sphère : Sphère 1 : le vocabulaire de base : 3 000 mots, dont un noyau dur de 1 000 mots, où l’on trouve les grands polysèmes (cf. maison) ; Sphère 2 : le vocabulaire de culture générale : 30 000 mots (cf. villégiature) ; Sphère 3 : les vocabulaires de spécialité, difficiles à dénombrer (cf. P.O.S. / Plan d’occupation des sols). L’erreur serait de croire que le vocabulaire doit être acquis selon une progression sphère après sphère, et souvent de manière presque limitative et contraignante. En réalité, bon nombre de mots du vocabulaire fondamental, par leur nature générique, ne s’éclairent et ne s’illustrent que par ceux du vocabulaire de culture générale ; d’autre part, le terme technique n’est pas à écarter s’il est utile. 1.2. La différenciation des signes lexicaux Il convient de bien distinguer entre les différentes composantes du signe lexical : le signifiant, commun à tous ; le signifié, commun à la communauté linguistique concernée et enregistré par les dictionnaires ; le référé, signifié particulier à chacun ; l’idée plus précise et personnelle que chacun se fait du signifié. 1 Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres le référent, soit réalité connue et partagée en commun par les sujets parlants, soit projection commune d’une réalité ou d’un concept admis et défini dans le groupe linguistique concerné, avec la définition lexicographique comme support de projection. Les mots du vocabulaire de base sont morphologiquement simples mais sémantiquement complexes, avec un signifié mal cerné et des référés multiples ; les mots des vocabulaires de spécialité sont souvent au contraire de morphologie complexe, mais de signifié plus facile à définir et à percevoir, si le domaine concerné est connu, avec un référé quasiment identique au signifié. 1.3 Le degré variable de motivation et d’arbitraire Le repérage sémantique d’un mot est grandement facilité s’il repose sur le sentiment d’en percevoir l’origine. Le vocabulaire français, en raison de sa tendance à l’arbitraire, nécessite un effort d’apprentissage accru. L’enseignement doit en compenser le caractère opaque par une étude systématique qui mette en relief des réseaux peu transparents sans craindre de faire appel à l’histoire de la langue. 1.4. Le rayonnement lexiculturel Un grand nombre de mots et d’expressions dépendent d’un implicite culturel déterminant pour la pleine compréhension du locuteur natif, un implicite auquel il faut initier l’élève en cours d’apprentissage. Le vocabulaire ne se confond pas avec un recueil froid de définitions réduites à leur sémème : il palpite au gré de la culture. 1.5. La polysémie dynamisante Il convient de rechercher la cohérence des polysèmes, notamment des grands polysèmes (cf. J. Picoche : rechercher le « signifié de puissance » du polysème, le principe d’unité d’un polysème, l’idée qui sous-tend la continuité des différents emplois, qui doit permettre de rendre compte de la totalité des emplois répertoriés du mot). Il est important de faire percevoir aux élèves ces structures profondes d’où jaillissent les nouveaux sens, où naissent la création poétique et la néologie sémantique. La polysémie n’est donc pas seulement un phénomène naturel du langage ; elle est, pédagogiquement, particulièrement dynamisante. L’étude des grands polysèmes révèle en outre l’esprit d’une langue. 2. APPROCHE PRATIQUE : UN APPRENTISSAGE DYNAMIQUE 2.1. Les mauvaises tentations 2.1.1. Le goutte-à-goutte lexical : se contenter de définir et faire noter dans un répertoire les mots, difficiles, rencontrés au fur et à mesure des textes lus. 2.1.2. Le perfectionnisme asphyxiant : donner dans l’exhaustivité, dans un luxe de détails, fournir des contextes d’emploi trop nombreux : on présente le mot « sous toutes ses coutures ». 2 Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres 2.1.3. L’illusoire modèle lexicographique : reproduire oralement le dictionnaire pour expliquer un mot ; on confond alors l’outil écrit et le modèle oralisant. 2.1.4. La devinette cacomémorielle : faire deviner un mot et courir le risque que les mauvaises définitions restent dans la mémoire de l’élève. 2.1.5. L’attente sclérosante du vécu et de l’occurrence : attendre que les situations et occurrences se présentent. En effet, la confrontation aux référents ne constitue pas une condition sine qua non de l’enseignement du vocabulaire. 2.1.6. Le mythe de l’immédiateté active Il convient de ne pas méconnaître l’approche spiralaire : le mot inconnu s’inscrit d’abord dans le vocabulaire passif, avant d’être conforté et vivifié par plusieurs rencontres et contextes d’emploi, et de devenir ainsi, progressivement, vocabulaire actif. L’acte pédagogique ne consiste pas à s’acharner sur le parfait emploi d’un seul mot, mais à permettre l’éclosion d’un bouquet lexical. L’acquisition du vocabulaire n’est pas l’affaire d’une heure, mais de séances incluses dans des séquences (un ensemble de cours), elles-mêmes résultant d’une programmation installée dans l’année scolaire concernée. 2.2. Les points d’ancrage méthodologique 2.2.1. La richesse immédiate sans complexe Un ensemble de mots appartenant à un champ lexical identique ou à un même champ morphologique s’acquiert plus facilement qu’une unité isolée. À noter que le grand polysème est un cas particulier d’unité isolée, en ce qu’il offre cette richesse par lui-même : avec lui, on fait jouer toutes les collocations, tous les sens et le jeu souvent imposant des locutions qui s’y raccrochent. 2.2.2. Le concept à croissance évolutive Les dictionnaires offrent le « sémème » de chaque mot (= l’ensemble de ses traits signifiants). Il convient de nourrir d’expériences la définition d’un mot pour le faire vivre, d’y ajouter la charge culturelle personnelle. 2.2.3. Le processus naturel accéléré Enseigner le vocabulaire, c’est s’inspirer des processus naturels pour les accélérer : provoquer la rencontre, rapprocher les délais, en superposant d’emblée divers contextes éclairants, afin que le sens du mot jaillisse de la manière la plus précise possible. 2.2.4. La gestion de la cristallisation Prévoir des situations d’apprentissage, des activités qui prolongent l’étude des mots et invitent au réemploi naturel, concret et suscité par les situations, des mots. 2.2.5. La chaîne des programmations Bâtir une programmation avec des séances inscrites dans l’emploi du temps des élèves. Les programmations seront complémentaires d’une année à l’autre. 2.2.6. L’étude doublement active Mener de front les deux activités : connaissance du système (l’étude des mots, du point de vue de la forme et du sens) et enrichissement lexical. 3 Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres La perception de la diachronie doit être encouragée et, avec elle, la découverte progressive des principales bases gréco-latines. Activités possibles : Enquêtes lexicales, élaboration avec les élèves de petits dictionnaires thématiques (classement alphabétique ou sémantique), chasses aux mots dans des corpus écrits ou oraux, exploitations de textes nourris d’un lexique spécifique, exploitations de textes authentiques ou concoctés pour l’occasion, analyses lexicales guidées dans la presse, coups de filet thématique dans des dictionnaires différenciés, etc. 4 Académie de Versailles - Inspection pédagogique régionale des lettres Pour un approfondissement des notions évoquées précédemment, voici le texte intégral de la conférence : LEXIQUE ET VOCABULAIRES : UNE DYNAMIQUE D’APPRENTISSAGE Résumé : La composante lexicale du langage fait très rarement l’objet d’un apprentissage spécifique et régulier dans les activités d’enseignement du français langue maternelle. Chacun cependant, enseignant, formateur, inspecteur, sans oublier le principal intéressé, l’élève du premier ou du second degré, a l’intime conviction qu’il s’agit d’un enseignement indispensable. Aussi, nous associant à cette commune dynamique et en nous appuyant sur nos expérimentations, proposons-nous une double approche de cet enseignement, encore trop souvent parent pauvre de la didactique : une approche d’abord théorique, en mettant en relief cinq concepts de linguistique appliquée propres à rendre efficientes les stratégies d’enseignement, ensuite une approche pratique, en signalant d’une part les mauvaises tentations à éviter dans l’apprentissage et d’autre part les points d’ancrage méthodologique à prendre en compte. La conclusion s’impose : l’enseignement du vocabulaire ne s’improvise pas. « Pierre lit beaucoup pour enrichir son vocabulaire, l’ensemble des mots qu’il connaît. ». Telle est l’étonnante définition offerte pour le mot « vocabulaire » dans le Nouveau Larousse des débutants lors de sa parution, en 1977, définition qui reste inchangée jusqu’à la fin du siècle chez son uploads/Philosophie/ formation-de-formateurs-lexique-1.pdf
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- Publié le Nov 19, 2022
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