À propos de la généalogie de l'éthique : un aperçu du travail en cours Michel F
À propos de la généalogie de l'éthique : un aperçu du travail en cours Michel Foucault « On the Genealogy of Ethics : An Overview of Work in Progress » (« À propos de la généalogie de l'éthique : un aperçu du travail en cours » ; entretien avec H. Dreyfus et P. Rabinow ; trad. G. Barbedette), in Dreyfus (H.) et Rabinow (P.), Michel Foucault : un parcours philosophique, Paris, Gallimard, 1984, pp. 322-346. Pour l'édition française de cet entretien (paru d'abord en anglais, en 1983, aux États-Unis ; voir supra no 326 et cf. no 306), M. Foucault apporta un certain nombre de modifications. Dits Ecrits tome IV texte n° 344 Ce qui suit est le produit d'une série de séances de travail qui nous ont réunis avec Michel Foucault à Berkeley, en avril 1983. Bien que nous ayons conservé la forme de l'interview, le texte a été revu et remanié en collaboration avec Foucault, Celui-ci nous a généreusement autorisés à publier ses remarques préliminaires, qui sont le produit d'entretiens oraux et de conversations libres en langue anglaise, ce qui explique qu'on n'y trouve pas la précision et le support académique auxquels nous ont habitués les écrits de Foucault. H. L. D., P. R. HISTOIRE DU PROJET. - Le premier volume de l'Histoire de la sexualité a été publié en 1976 et, depuis, aucun autre volume n'a paru, Est-ce que vous continuez à penser que la compréhension de la sexualité est centrale pour comprendre qui nous sommes ? - Je dois avouer que je m'intéresse beaucoup plus aux problèmes posés par les techniques de soi, ou par les choses de cet ordre, qu'à la sexualité... La sexualité, c'est assez monotone ! - Les Grecs, semble-t-il, ne s'y intéressaient guère, eux non plus, -Non, la sexualité ne les intéressait sans doute pas autant que la nourriture ou le régime alimentaire. Je pense qu'il serait très intéressant d'étudier comment on est passé lentement, progressivement, d'une façon de privilégier la nourriture, qui, en Grèce, était générale, à une curiosité pour la sexualité. La nourriture avait encore beaucoup plus d'importance au début de l'ère chrétienne. Dans les règlements de vie monastique, par exemple, le souci, c'était la nourriture, encore et toujours la nourriture. Puis on observe une très lente mutation au Moyen Âge, où ces deux problèmes étaient un peu dans une situation d'équilibre... Mais, après le XVIIe siècle, c'est la sexualité qui l'emporte. Chez François de Sales, la nourriture sert de métaphore à la concupiscence. - Pourtant, L'Usage des plaisirs, le deuxième volume de l'Histoire de la sexualité, ne traite presque exclusivement -pour dire les choses comme elles sont -que de sexualité. - Oui. L'une des nombreuses raisons pour lesquelles j'ai eu tant de problèmes avec ce livre, c'est que j'ai d'abord écrit un livre sur la sexualité que j'ai mis ensuite de côté. Puis j'ai écrit un livre sur la notion de soi et sur les techniques de soi où la sexualité avait disparu et j'ai été obligé de récrire pour la troisième fois un livre dans lequel j'ai essayé de maintenir un équilibre entre l'un et l'autre. Voyez-vous, ce qui m'a frappé en parcourant cette histoire de la sexualité, c'est la relative stabilité des codes de restrictions et de prohibitions à travers le temps : les hommes n'ont guère été plus inventifs pour leurs interdits que pour leurs plaisirs. Mais je pense que la façon dont ils intégraient ces prohibitions dans un rapport à soi est entièrement différente. Je ne crois pas que l'on puisse trouver aucune trace de ce qu'on pourrait appeler « normalisation », par exemple, dans la morale philosophique des Anciens. La raison en est que l'objectif principal, la cible essentielle recherchée par cette morale était d'ordre esthétique. D'abord, ce genre de morale était seulement un problème de choix personnel. Ensuite, elle était réservée à un petit nombre de gens ; il ne s'agissait pas alors de fournir un modèle de comportement à tout le monde. C'était un choix personnel qui concernait une petite élite. La raison que l'on avait de faire ce choix était la volonté d'avoir une belle vie et de laisser aux autres le souvenir d'une belle existence. Sous la continuité des thèmes et des préceptes, il y a eu des modifications que j'ai essayé de mettre en évidence et qui touchent aux modes de constitution du sujet moral. - Donc, vous êtes parvenu à équilibrer votre travail en passant de l'étude de la sexualité à celle des techniques de soi ? - J'ai essayé de rééquilibrer tout mon pROJET autour d'une question simple : pourquoi fait- on du comportement sexuel une question morale, et une question morale importante ? Parmi tous les comportements humains, beaucoup sont, dans une société, objets de préoccupation morale, beaucoup sont constitués en « conduite morale ». Mais pas tous, et pas tous de la même façon. Je viens de citer la nourriture : domaine moral important autrefois, il est maintenant surtout objet d'hygiène (ou du moins de cette flexion morale qu'est l'hygiène). On pourrait prendre aussi l'exemple de l'économie, de la générosité, de la dépense, etc. Ou de la colère (qui fut un domaine de conduite morale si important dans l'Antiquité). J'ai donc voulu étudier comment l'activité sexuelle a été constituée en « problème moral » et cela à travers des techniques de soi permettant d'assurer la maîtrise sur les plaisirs et les désirs. -Comment avez-vous distribué votre travail ? -Un volume sur la problématisation de l'activité sexuelle dans la pensée grecque classique à propos de la diététique, de l'économique et de l'érotique, L'Usage des plaisirs ; puis la réélaboration de ces mêmes thèmes aux deux premiers siècles de l'Empire, Le Souci de soi ; puis la problématisation de l'activité sexuelle dans le christianisme au IVe -Ve siècle, Les Aveux de la chair. - Et qu'est-ce qui viendra par la suite ? Y aura-t-il d'autres livres sur les chrétiens lorsque vous finirez ces trois livres ? - Oh ! je vais d'abord m'occuper de moi !... J'ai écrit une esquisse, une première version d'un livre sur la morale sexuelle au XVIe siècle, où le problème des techniques de soi, l'examen de soi-même, la charge d'âmes sont très importants, à la fois dans les Églises protestante et catholique. Ce qui me frappe, c'est que, dans la morale des Grecs, les gens se souciaient de leur conduite morale, de leur éthique, des relations à soi et aux autres beaucoup plus que de problèmes religieux. Prenons ces exemples : qu'est-ce qui se passe après la mort ? Que sont les dieux ? Interviennent-ils ou pas ? Ce sont là pour eux des problèmes très, très insignifiants et qui ne sont pas liés immédiatement à la morale ou à la conduite morale. Ensuite, cette morale n'était liée à aucun système institutionnel et social - ou tout au moins à aucun système légal. Par exemple, les lois contre les mauvaises conduites sexuelles sont très rares et peu contraignantes. Enfin, ce qui les préoccupait le plus, leur grand thème, c'était de constituer une sorte de morale qui fût une esthétique de l'existence. Eh bien, je me demande si notre problème aujourd'hui n'est pas, d'une certaine façon, le même, puisque, pour la plupart, nous ne croyons pas qu'une morale puisse être fondée sur la religion et nous ne voulons pas d'un système légal qui intervienne dans notre vie morale, personnelle et intime. Les mouvements de libération récents souffrent de ne pas trouver de principe sur lequel fonder l'élaboration d'une nouvelle morale. Ils ont besoin d'une morale, mais ils n'arrivent pas à en trouver d'autre que celle qui se fonde sur une prétendue connaissance scientifique de ce qu'est le moi, le désir, l'inconscient, etc. - Vous pensez que les Grecs offrent un autre choix, séduisant et plausible ? - Non ! Je ne cherche pas une solution de rechange ; on ne trouve pas la solution d'un problème dans la solution d'un autre problème posé à une autre époque par des gens différents. Ce que je veux faire, ce n'est pas une histoire des solutions. Je crois que le travail qu'on a à faire, c'est un travail de problématisation et de perpétuelle reproblématisation. Ce qui bloque la pensée, c'est d'admettre implicitement ou explicitement une forme de problématisation, et de chercher une solution qui puisse se substituer à celle qu'on accepte. Or, si le travail de la pensée a un sens différent de celui qui consiste à réformer les institutions et les codes -, c'est de reprendre à la racine la façon dont les hommes problématisent leur comportement (leur activité sexuelle, leur pratique punitive, leur attitude à l'égard de la folie, etc.). Il arrive que les gens prennent cet effort de reproblématisation comme un « antiréformisme » reposant sur un pessimisme du genre « rien ne changera ». C'est tout le contraire. C'est l'attachement au principe que l'homme est un être pensant, jusque dans ses pratiques les plus muettes, et que la pensée, ce n'est pas ce qui nous fait croire à ce que nous pensons uploads/Philosophie/ foucault-genealogie-de-l-x27-ethique-travail-en-cours 1 .pdf
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- Publié le Jan 13, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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