CATÉGORIES LANGAGIÈRES ET COGNITIVES L’exemple des premiers apprentissages de l

CATÉGORIES LANGAGIÈRES ET COGNITIVES L’exemple des premiers apprentissages de l’écriture Par Jacques DAVID IUFM de Versailles Les récents débats sur l’étude de la langue en France et dans la francophonie ont ravivé des questions liées à certaines conceptions de son enseignement. Par exemple, l’opposition entre des grammaires dites de « phrases »vs de « discours » ou de « textes », la subordination de la description des faits de langue à l’apprentissage du langage oral et écrit, le rôle secondaire ou accessoire de la nomenclature grammaticale, les modes d’apprentissage de l’écriture clivés de ceux de l’orthographe1… Or ces questions ne se limitent pas uniquement à la définition des concepts ou des termes à utiliser en regard de telle ou telle approche didactique, ou en relation avec un modèle linguistique particulier qui serait plus ou moins préférable à un autre. En fait, nous avons remarqué que certains de ces débats évitent soigneusement de confronter des catégories d’enseignement parfois très évidentes, dont les fondements semblent aller de soi, et qui se trouvent reproduites d’un programme officiel à l’autre, d’un manuel à l’autre, d’un discours didactique à l’autre… Or si ces catégories masquées peuvent renvoyer à des écoles de pensée, à des théorisations ou des paradigmes de recherches particuliers, ceux-ci restent souvent nondéclarés et parfois sciemment laissés dans l’ombre. Nous nous proposons dès lors de passer en revue certaines de ces catégories sous-jacentes à l’enseignement du français, et de clarifier les notions impliquées dans les sciences du langage et de la cognition. Nous pensons qu’il est nécessaire de distinguer les catégories traditionnelles liées à l’étude des faits de langue, en l’occurrence du français, puis de monter les homologies possibles et les différences dans l’analyse linguistique des textes. Nous étudierons ensuite d’autres catégories, celles qui sont révélées dans la pratique de l’écriture, et plus particulièrement dans les écrits et les autoexplications produits par de jeunes scripteurs âgés de 5 ans. Nous monterons ainsi comment les catégories approchées à cet âge sont à la base des connaissances construites sur le fonctionnement du système écrit du français. Les catégories du langage et de la cognition : état de la question Quelles catégorisations dans l’étude de la langue et des discours ? Sous le terme catégorie, et en référence à la problématique de ce numéro, nous entendons approcher des notions, des conceptions, parfois des conceptualisations fermement définies, mais pas toujours clairement identifiées dans l’apprentissage des langues, et en particulier du français. De fait, nous ne limiterons pas notre définition de la notion de catégorie dans les termes classiquement repérés dans les différents dictionnaires de sciences du langage et dans la plupart des ouvrages d’initiation linguistique. Ainsi, dans le Dictionnaire de linguistique dirigé par J. Dubois et al ,les catégories de « premier rang » (les constituants immédiats de la phrase ou syntagmes), les catégories de « second rang » – ou « espèces » ( i-e classes) de mots ou « catégories lexicales » (comme le nom, l’adjectif, le verbe), sont distinguées des « autres catégories» qualifiées de grammaticales, telles que le genre, le nombre, la personne, le temps, etc. : […] On distingue aussi deux types de catégories. Les unes, les catégories syntaxiques, définissent les constituants selon leur rôle dans la phrase ; ainsi, le syntagme nominal et le syntagme verbal, constituants immédiats de la phrase, sont des catégories syntaxiques de premier rang ou catégories principales ; les parties du discours (ou espèces de mots), constituants des syntagmes, sont des catégories de deuxième rang. Les autres définissent les modifications que peuvent subir les membres de ces catégories de deuxième rang en fonction du genre, du nombre, de la personne, etc. C’est souvent à ce dernier emploi que l’on restreint l’usage du mot catégorie. Les catégories syntaxiques que sont le nom, l’adjectif, le verbe, etc., sont des catégories lexicales, parce que les membres de ces classes sont des morphèmes lexicaux ; le temps, la personne, le nombre, le genre sont des catégories grammaticales parce que les membres de ces classes sont des morphèmes grammaticaux (désinences verbales, flexion nominale). Les catégories lexicales sont dites catégories primaires ; les catégories grammaticales sont dites catégories secondaires. (Ibid., 1973, p. 78). Plus simplement, M. Arrivéet al., dans La Grammaire d’aujourd’hui, définissent les catégories par rapport aux classes de mots auxquelles elles sont généralement associées : Comme il arrive parfois en linguistique, catégorie (terme de la logique traditionnelle) constitue avec classe un couple de notions dont l’opposition n’est pas fixée de façon absolument stable. Le plus souvent, catégorie s’applique aux notions telles que le genre, le nombre, le temps, l’aspect, etc. Les catégories ainsi définies affectent les classes grammaticales telles que le nom, le verbe, etc., en sorte qu’il est possible de définir les classes en faisant l’inventaire des catégories dont elles sont porteuses. Cependant, on observe fréquemment des emplois de catégorieavec le sens de classe. Classe avec le sens de catégorie est plus rare. En linguistique de langue anglaise contemporaine, le terme catégorie est d’emploi généralement extensif. ( Ibid, 1986,p. 99). 2. Lire la « Présentation » de M.-A. Paveau & L. Rosier ( supra). De fait, l’approche linguistique des catégories est liée aux principes de description des langues ; mais c’est aussi souvent le cas pour d’autres notions linguistiques. Il ressort cependant que ces catégories sont généralement restreintes aux variations morphologiques, à valeurs sémantiques et/ou syntaxiques, qui affectent les mots, par exemple : l’aspect pour les verbes, le genre pour les noms, le nombre pour la majorité des adjectifs, la personne pour la plupart des pronoms personnels… Il reste que la relation entre classe et catégorie n’est pas simple à analyser : si les mots d’une même classe sont repérés en fonction de leur distribution syntaxique, leurs catégorisations peuvent varier. Les pronoms personnels, pour reprendre cet exemple, appartiennent à la même classe distributionnelle ou syntaxique, mais ils sont extrêmement hétérogènes et asymétriques du point de vue des catégories associées : les uns sont singuliers, les autres sont pluriels ; certains sont masculins d’autres féminins ; les mêmes peuvent être personnels ou impersonnels, avec une valeur anaphorique ou déictique… Mais ces catégories peuvent être analysées avec une autre ampleur, et parfois une acception sensiblement différente, dans d’autres descriptions et modélisations linguistiques. Il s’agit de catégories qui posent des problèmes de conceptualisation souvent redoutables pour la didactique des textes et des discours, à l’oral comme à l’écrit, en réception comme en production3. Nous avons ainsi remarqué que le terme catégorie est bien moins utilisé lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux propriétés des discours. De fait, la plupart des synthèses dans le champ de l’analyse du discours ne retiennent pas cette entrée par les catégories 4. Elles lui préfèrent les concepts de genre ou de type qui renvoient à des classifications spécifiques, liées à des approches théoriques souvent complémentaires : la rhétorique antique ou classique, l’analyse littéraire, la sémiotique textuelle, etc. Dans le champ de la linguistique textuelle, les travaux récents de J.-M. Adam (2005) semblent ainsi réifier le terme catégorie , mais pour l’opposer aux catégories de la langue, telles que les saisit la grammaire de phrase : La tâche de la linguistique textuelle est de définir les grandes catégories de marques qui permettent d’établir ces connexions qui ouvrent ou ferment des segments textuels plus ou moins longs. Ces marques ne recoupent que partiellement les catégories morphosyntaxiques définies dans le cadre de la linguistique de la langue. La cohérence du texte n’étant pas la résultante de faits de grammaticalité […], les domaines textuel et morphosyntaxique sont différents et assez largement indépendants. Cette “distorsion”, ce décalage entre les catégories de la grammaire et celles de la linguistique du texte ne doivent pas étonner : l’approche de la langue est traditionnellement une 3. Sur ces questions, on peut lire, entre autres, le numéro 128 de décembre 1999 de la présente revue, Le français aujourd’hui , dirigé par D. Ducard & M.-A. Paveau, relatif aux théories de l’énonciation et à l’approche des discours. 4. Le terme est, par exemple, absent des entrées du Dictionnaire d’analyse du discours dirigé par P . Charaudeau & D. Maingueneau (2002) ; il est en revanche présent dans le Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage de O. Ducrot & J.-M. Schaeffer (1995), mais uniquement dans la mise en relation des catégories logiques vs linguistiques, et non en fonction de leurs caractéristiques internes ou externes.approche phrastique de la grammaticalité des énoncés, ses catégories reposent donc sur des critères morphosyntaxiques (parfois implicites et masqués par des définitions de type sémantique). La linguistique du texte doit donc élaborer des concepts spécifiques et définir des classes d’unités “intermédiaires […] entre la langue et le texte”. ( Ibid ., p. 37) J.-M. Adam n’hésite pas à s’interroger sur les différentes catégories textuelles dans un chapitre entier intitulé: « Quelles catégories pourl’analyse des textes ? » (Ibid. : 36-64). Il retient ainsi des catégories transphrastiques spécifiques : i) la « classe textuelle des connecteurs » qu’ildéfinit par opposition à celle des « conjonctions de coordination » ; ii) les « constructions détachées » (relatives, parenthèses, incises uploads/Philosophie/ frances.pdf

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